loT<\ UNIVERSITÉ DE NEUCHÂTEL Faculté de droit et des sciences économiques L'obligation de réciprocité Pour une position stratégique de la Suisse face à l'Europe de 1992 THÈSE présentée à la Faculté de droit et des sciences économiques pour obtenir le grade de docteur es sciences économiques par Jean-Marie Brandt IMPRIMERIE CORBAZ S.A., MONTREUX 1990 L'obligation de réciprocité Pour une position stratégique de la Suisse face à l'Europe de 1992 UNIVERSITÉ DE NEUCHÂTEL Faculté de droit et des sciences économiques L'obligation de réciprocité Pour une position stratégique de la Suisse face à l'Europe de 1992 THÈSE PRÉSENTÉE À LA FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES POUR OBTENIR LE GRADE DE DOCTEUR ES SCIENCES ÉCONOMIQUES par Jean-Marie Brandt IMPRIMERIE CORBAZ S.A., MONTREUX 1990 Monsieur Jean-Marie Brandt est autorisé à imprimer sa thèse de doctorat es sciences économiques intitulée «L'obligation de réciprocité: pour une position stratégique de la Suisse face à l'Europe de 1992». Il assume seul la responsabilité des opinions énoncées. Neuchâtel, 2 mai 1990 Le doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques Claude Jeanrenaud \ Remerciements Mes remerciements s'adressent: — à M. Jean-Louis JUVET, professeur à l'Université de Neuchâtel et mon directeur de thèse, pour sa disponibilité, les contacts privilégiés dont il m'a fait bénéficier, notam- ment auprès de la Commission européenne, sans oublier les effets mobilisateurs de son enthousiasme, la clarté, le courage et l'originalité de ses prises de position; — à la Société de Banque Suisse, qui m'a ménagé l'autonomie nécessaire pour l'accomplis- sement de cette étude sans modification du cadre de mes activités, et plus particulière- ment à MM. Bruno HUG et Carlo JORG, ainsi qu'à Peter G. ROGGE; — aux personnalités qui ont bien voulu, lors d'entretiens, éclairer mon cheminement de leur expérience, à savoir, dans l'ordre alphabétique: Jean-Paul CHAPUIS, délégué du Conseil d'administration et secrétaire général de l'Association suisse des banquiers ; Paolo CLAROTTI, chef de division à la Commission européenne ; G. A. COLOMBO, chef suppléant du Bureau de l'intégration du Département fédéral de politique étrangère et du Département fédéral de l'économie publique; Hanspeter DIETZI, conseiller juridique attaché à la Direction générale de la Société de Banque Suisse; Etienne GRISEL, professeur à l'Université de Lausanne; Alain HIRSCH, professeur à l'Université de Genève; Alfred P. HUBER, directeur à la Société de Banque Suisse, à Genève; Charles PONCET, avocat à Genève ; Henri RIEBEN, professeur à l'Université de Lausanne; Pierre SAUVE, Economie Affairs Officer, GATT, Genève; Alexandre SWOBODA, directeur de l'Institut des Hautes Etudes Internationales, à Genève ; 7 Luc WEBER, professeur à l'Université de Genève; Jean ZWAHLEN, directeur général de la Banque Nationale Suisse; — à l'équipe de secrétaires dévouées et compétentes, sans l'engagement desquelles je n'aurais pas été en mesure d'assumer le double poids de mes tâches professionnelles et de la réalisation de ce travail ; j'ai nommé Mmes Jeannette OESTREICHER et Denise RUTA ; — à toutes les personnes qui, de près ou de loin, m'ont aidé dans la recherche d'une documentation qui demeure plutôt sommaire en Suisse, notamment M™ J. Christin, responsable du Centre de documentation de la Société de Banque Suisse, Genève, et Mme F. Ricci-Stighezza, Service de documentation de la Délégation permanente de la Commission des Communautés européennes à Genève, ainsi qu'à de nombreuses autres personnes, passionnées par la problématique de l'intégration européenne, et que je ne puis toutes et tous nommer ici. Pully, le 15 février 1990 J.-M. Brandt Préface Depuis 1948, date de son entrée à l'OECE (Organisation européenne de coopération économique), jusqu'en 1990, la Suisse a été capable de canaliser une politique économique extérieure empreinte de réalisme et de pragmatisme, politique qui lui a permis de préparer son identité politique et juridique. La volonté de maintenir ce cap dans l'optique de la coopération européenne se décelait nettement dans le rapport du Conseil fédéral d'août 1988 qui concernait le rapprochement de la Suisse avec la CE (Communauté européenne) sur une base sectorielle et bilatérale, dans le cadre de Y Accord de libre-échange Suisse-CE de 1972. Selon ce concept aux avantages indéniables, mais aux limites aujourd'hui bien connues, chaque partenaire — la Suisse, d'un côté, la CE, de l'autre — aurait pu définir, selon l'état d'urgence, les objets de négociations en excluant bien entendu les plus complexes, ou plutôt, les objets qui, pour la Suisse, par exemple, présentent des difficultés nationales considérées comme insurmontables dans la mesure où ils auraient entraîné dés modifications législatives substantielles. Cette approche a été balayée, en janvier 1989, par la proposition de Jacques Delors, président de la Commission de la CE, suggérant d'aborder le problème CE/AELE (Association européenne de libre-échange) de manière globale et multilatérale avec, à la clé, un traité. La distance qui sépare les concepts du Conseil fédéral de 1988 de la proposition Delors est considérable, car, en définitive, cette dernière mettra peu ou prou en cause l'ordre juridique de notre Etat. D'une part, des problèmes institutionnels sérieux devront être résolus par les Confédérés, ce à quoi ils ne sont peut-être pas encore préparés et, d'autre part, le transfert de l'acquis communautaire pertinent aux pays de l'AELE en vue de la réalisation en commun d'une partie importante des Quatre Libertés (biens, services, personnes et capitaux) interpellera en définitive chaque citoyen, tout en postulant des changements juridiques parfois profonds, sinon inattendus. On peut certes discerner dans l'offre de la CE un souhait d'éviter à ses cousins de l'AELE d'être de plus en plus discriminés par rapport à la CE à la suite de l'accélération de l'intégration communautaire résultant du Livre blanc de la Commission et de l'Acte unique 9 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE des Douze. Mais cette initiative comporte une équivoque sur la nature même des relations qui s'établiront, cas échéant, entre la CE et l'AELE, dans la mesure où les rapports entre les deux cercles de pays sont de nature relativement, sinon totalement, unilatérale. Les oppositions sur le principe de la «co-décision» révèlent d'ores et déjà qu'une ambiguïté devra rapidement être levée sur l'organisation des dispositifs juridiques qui régleront la vie économique de l'EEE (Espace économique européen). Mais quelle que soit l'issue formelle de ce débat, il faut s'attendre que les pays de l'AELE doivent entériner des décisions qui auront au début et la plupart du temps une portée CE, ce qui ne fera que consacrer, entre CE et AELE, une relative subordination tenant à la structure et à la finalité historique de chaque zone, l'une ayant en projet l'intégration économique et politique de notre Continent, l'autre ayant pratiqué de manière prudente la coopération dans un sens plus proche des principes du GATT. En tout état de cause, 1992 a une portée précise pour la Suisse: celle de changements significatifs politiques, psychologiques, économiques et sociologiques. L'acceptation par les autorités fédérales de participer à une difficile négociation présuppose une préparation de l'ensemble de tous les milieux suisses à concevoir et à accepter, pour la première fois depuis 1815, des modifications profondes des rapports que la Suisse entretient avec ses voisins européens. En d'autres termes, la réalisation d'un EEE impose à la Suisse, en raison de la complexité de sa structure constitutionnelle, une information à laquelle seront associées toutes les couches de la population. Or, une telle information doit d'abord se fonder sur les analyses multiples portant tout à la fois sur les questions institutionnelles et sur les problèmes concrets qui devront être résolus. Cette démarche montrera, dans un premier temps, les nécessaires adaptations de l'appareil juridique suisse qui seront sans doute exigées par la CE pour permettre à notre pays d'accéder à l'acquis communautaire et, par la suite, à un processus progressif d'intégration européenne. L'ouvrage de Jean-Marie Brandt présente un effort considérable de réflexion sur la nécessité d'une adaptation rapide de la Suisse à une évolution inexorable avec comme exemple celui du secteur bancaire, dont on aurait pu imaginer, il y a quelques années seulement, qu'il serait capable par son pouvoir d'attraction, de dominer sans heurt tout changement extérieur. En clair, Jean-Marie Brandt suggère que l'intérêt même de la Suisse est de s'efforcer de rendre compatibles nos dispositifs juridiques avec ceux de nos partenaires européens, afin d'éviter l'apparition, au-delà de 1992, d'obstacles sérieux aux développements attendus et nécessaires de notre appareil bancaire au sein de la CE. Il s'agit en réalité d'une tâche passionnante, dans la mesure où les directives communau- taires sont parfois en contradiction flagrante avec les principes en vigueur en Suisse. Jean-Marie Brandt analyse froidement les irréductibilités qui d 'ores et déjà apparais- sent, en suggérant des solutions parfois audacieuses, remettant en cause une idéologie nationale devenue vulnérable parce qu'on la croyait éternelle. En ce sens il rend un service eminent, tout à la fois à la profession bancaire en la préparant à une évolution dictée par les faits, et aux autorités en leur suggérant des adaptations de législation, afin de donner à un secteur clé de notre économie la possibilité d'exercer pleinement sa vocation européenne. 10 PRÉFACE Peu importe si les suggestions de Jean-Marie Brandt ne sont pas toutes retenues; l'essentiel est qu'elles forcent tous les intéressés —professionnels et autorités— à envisager un mouvement stratégique se substituant à la défense de positions tactiques vulnérables. Le travail de Jean-Marie Brandt, malgré ses critiques parfois sévères sur le manque d'audace de notre pays dans l'appréhension de son destin européen, est en définitive une incitation à accepter le changement dans une Europe qui, de manière parfois inattendue, est en train de retrouver une place de premier ordre dans l'histoire universelle. Les réflexions de l'auteur constituent autant de raisons de rechercher pour notre pays une voie qui l'incite à s'associer à la conduite d'un mouvement qui influencera l'avenir de nos concitoyens bien au- delà de ce que l'on aurait pu penser il y a quelques mois seulement. Avril 1990 Professeur Jean-Louis Juvet 11 Abréviations AELE Association européenne de libre-échange AF Assemblée fédérale ASB Association suisse des banquiers BIRD Bank for International Reconstruction and Development BRI Banque des règlements internationaux CE Communauté européenne CF Conseil fédéral CFB Commission fédérale des banques CFC Commission fédérale des cartels CJE Cour de justice européenne Commission Commission européenne CPS Code pénal suisse DPF Département politique fédéral GATT General agreements on tariffs and trade LFB Loi fédérale sur les banques NIF Nouveaux instruments financiers NPF Clause de la nation la plus favorisée OCDE Organisation de coopération et de développement économique OLFB Ordonnance d'exécution de la LFB OPA Offre publique d'achat TF Tribunal fédéral TN Traitement national UNCTAD Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement 12 1. Introduction La dynamique d'une coopération avec la CE constitue l'unique voie ouverte à la Suisse, si elle entend au mieux développer, au pire maintenir, le niveau actuel de ses relations, tant qualitatives que quantitatives, avec l'Europe dès Douze. Or, les lignes de force de ces relations définissent l'essence même de l'identité de la Suisse en tant que nation. En effet, la fiche signalétique d'une nation consistant dans son profil géographique, historique, culturel, social, politique, économique et financier, force est de constater que le destin de la Suisse, de l'origine à nos jours, tout en s'inscrivant dans un cadre universel, est partie intégrante du destin européen. En conséquence, il apparaît vital d'examiner dans quelle mesure la dynamique de notre coopération avec l'Europe demeure en phase avec la dynamique communautaire. En raison de l'action volontariste menée par la CE, qui consiste à définir des objectifs concrets et mesurables et à appliquer les stratégies que leur poursuite implique, la dynamique commu- nautaire subit depuis 1985 une poussée accélératrice qui lui a fait franchir, selon un consensus général, le point de non-retour. Même si l'horizon du 31 décembre 1992 ne définit évidemment pas l'achèvement du processus, il n'en reste pas moins qu'il marque une étape essentielle et que, plus le temps passe, plus il devient difficile pour la Suisse de trouver la voie optimale de la coopération, qui consiste à prolonger son destin de nation européenne, tout en conservant et son identité propre et son niveau de développement, tant culturel qu'économique voire, à plus long terme, son indépendance et sa souveraineté. L'examen doit donc être mené d'urgence, avec un caractère de priorité absolue. Objet du présent propos, cet examen portera sur l'attitude de la Suisse face à la dynamique européenne et les conséquences qui devraient en résulter. L'expression de cette attitude apparaissait, jusqu'à fin 1989, comme un ensemble hétérogène de tactiques différentes déployées sur trois axes différents : — l'axe multilatéral et plurisectoriel au niveau du GATT; — l'axe multilatéral et sectoriel au niveau de l'AELE; 13 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE — l'axe bilatéral et sectoriel au niveau de chacun des Douze, et de la Commission européenne. Il nous paraît qu'à l'heure actuelle, ces trois points d'ancrage de la dynamique de la coopération de la Suisse avec les processus de libéralisation en cours au plan mondial comportent un potentiel de rupture pour une approche qui, basée sur le principe de la réciprocité, consisterait à tendre à une réelle et efficace «équivalence des concessions», pour reprendre la définition d'Arthur Dunkel, directeur général du GATT (cf. § 4.3). Il y a rupture à nos yeux d'abord dans Vordre des priorités. Notre politique de la coopération définissait, toujours jusqu'à fin 1989, le plan universel comme première priorité, le plan communautaire comme deuxième priorité et le plan de l'AELE comme troisième priorité. Or, si notre vocation de nation s'inscrit dans un cadre de dimension universelle, il n'en reste pas moins qu'elle demeure avant tout et essentiellement de nature européenne, et la politique de la coopération de la CE définit le plan communautaire comme première priorité, le plan de l'AELE comme deuxième priorité (tant pour des raisons de renforcement naturel des structures et des ressources, que pour des raisons de futures diversifications de l'aide aux pays de l'Est), et le plan du GATT en troisième priorité (dans le sens que la CE y négocie les délais nécessaires à l'achèvement du Marché unique). Il y a rupture ensuite dans les objectifs poursuivis. Dans l'institution même du GATT, il y a rupture entre les objectifs fondamentaux, qui sont de nature commerciale, et les objectifs de Y Uruguay Round lesquels, de par l'inclusion du secteur des services, sont devenus de nature pluridisciplinaire. Il est vrai, en revanche, que les objectifs du GATT demeurent de nature essentiellement économique. En ce qui concerne l'AELE, les objectifs sont de nature commerciale, et consistent en l'échange de concessions tarifaires sur les marchandises. Les objectifs de la CE sont de nature politique, et consistent en l'échange de concessions sur les normes structurelles. Quant à la Suisse, elle a essentiellement limité jusqu'à ce jour ses objectifs à l'obtention d'avantages économiques, situés au niveau soit de ce qu'elle juge avoir d'ores et déjà concédé en termes de réciprocité, et le domaine bancaire nous paraît l'illustration même de ce type de comportement, soit au niveau du prolongement d'accords cadres tels que le Suivi du Luxembourg. Compte tenu du caractère spécifique des démarches entreprises par certains membres de l'AELE, il paraît justifié de se demander, de surcroît, dans quelle mesure il y a aujourd'hui concordance d'objectifs, au sein même de cette institution. Il y a également rupture dans les méthodes appliquées. Le grand mérite dont les Douze peuvent, à nos yeux, se prévaloir dans leur démarche d'intégration consiste dans le fait d'être parvenus à rendre crédible et à appliquer une méthode de travail somme toute élémentaire: le développement d'une stratégie comportant un objectif clair, mesurable et à forte résonance de mobilisation psychologique. 14 INTRODUCTION Le GATT cherche à extrapoler les méthodes de négociation qui ont fait leurs preuves sous l'influence d'une seule puissance dominante, et dans les limites d'un secteur économi- que donné, à l'ensemble des secteurs économiques soumis essentiellement à l'expression d'une hégémonie devenue tripolaire. Quant à l'AELE, on ne peut tout simplement que constater qu'elle n'a pas à ce jour développé une stratégie commune comportant des objectifs clairs et mesurables. Il y a rupture enfin au niveau des moyens mis en place pour le suivi de la coopération. Au sein du GATT, le processus décisionnel repose à la fois sur la pleine souveraineté des parties, et l'adaptation automatique des comportements par les lois du marché. Au sein de l'AELE, le processus décisionnel repose sur la pleine souveraineté des parties, et le consensus par la contrainte de l'unanimité. Au sein de la CE, le processus décisionnel repose d'abord sur l'abandon partiel de la souveraineté des Etats membres, la règle de la majorité et le corollaire de la sanction juridictionnelle. Il est évident, en outre, que le déséquilibre des ressources mises à disposition en matière de structure administrative entre les trois instances reflète la disproportion des ambitions en jeu. En conclusion, il y a rupture dans les priorités, les objectifs, les méthodes et les moyens. Or la dynamique de la coopération repose sur la compatibilité des comportements, et notre hypothèse de travail consiste dans le fait que l'obligation de réciprocité est le facteur déclenchant de cette dynamique, à la condition qu'elle s'applique dans le cadre d'une stratégie globale, multisectorielle, comportant la définition d'objectifs clairs et mesurables, également mobilisateurs au plan psychologique. Ce type de comportement nécessite préalablement une analyse courageuse de la structure de la relation que nous entretenons avec nos principaux partenaires. Il ne s'agit rien moins que d'accepter un processus de remise en cause de nos acquis tant politiques et juridiques, qu'économiques et financiers, par le biais d'un inventaire des avantages et des inconvénients qu'entraîne l'application d'une stratégie de la réciprocité, et des mesures à prendre pour atteindre les objectifs préalablement définis. Telle est la tâche à laquelle nous proposons de nous atteler dans la présente étude. En cherchant à analyser le concept de la réciprocité qui définit la structure de nos relations avec nos partenaires économiques, nous constaterons que son contenu, de nature juridique à l'origine, de par les implications économiques qu'il comporte, a évolué en une norme de nature politique, dont l'utilisation pourra dépendre d'arrière-pensées politiques, au niveau notamment des Etats membres de la CE. L'intégration de la réciprocité dans la structure de la coopération constitue un élément nouveau, correspondant à la volonté de la CE de protéger l'économie de ses membres contre les tierces puissances, en attendant la réalisation du Marché unique. Or, la Suisse compte, sinon au nombre des puissances visées, au moins au nombre des pays tiers, et c'est donc précisément l'intégration nouvelle de l'obligation de la réciprocité par la CE, dans la structure de sa relation avec les pays tiers, qui constitue le facteur déclenchant de la remise en cause de nos acquis. 15 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Nous serons amenés à observer que l'articulation de la relation avec la CE risque d'évoluer à court terme et de façon définitive, faute d'une stratégie basée sur l'obligation de la réciprocité, d'une structure bilatérale d'échange de concessions réciproques, à une structure multilatérale de confrontation, dans le cadre de laquelle les concessions risquent de prendre un caractère unilatéral marqué. Pour commencer, nous situerons le débat au niveau de la doctrine, en rappelant que la dynamique de la coopération est un phénomène qui, selon les observations dont il a fait l'objet, répond à des lois propres dûment explicitées. Nous définirons ensuite le comportement de la CE d'une part, et celui de la Suisse d'autre part, par rapport aux normes qui, selon la doctrine actuelle, définissent la dynamique de la coopération. Nous poursuivrons l'analyse des comportements que la Suisse a choisi d'afficher sur les différents théâtres de négociation où il lui est donné de figurer, en sélectionnant ceux que nous avons jugés essentiels pour notre propos, soit le GATT, l'AELE et la CE, sans oublier le Conseil de l'Europe dont nous limiterons la référence à un examen succinct. Nous constaterons, en conclusion, que la Suisse subit, suite aux méthodes appliquées par ses partenaires, des pressions qui, faute d'une réaction stratégique de sa part, risquent de déboucher sur un diktat, entraînant pour première conséquence, la perte d'une partie de sa souveraineté, sans possibilité de négocier en contrepartie un échange de concessions réciproques de façon équilibrée, et nous chercherons à proposer des comportements qui devraient, à nos yeux, permettre le déclenchement d'une dynamique de la coopération avec la CE qui nous maintienne en phase avec le processus de réalisation du Marché unique. 16 2. La dynamique de la coopération, doctrine et théorie 2.1. Généralités La coopération dans notre hypothèse de travail consiste, pour un Etat, en une démarche politique volontariste qui implique la définition d'objectifs, la mise en place d'une stratégie et Vallocation de ressources appropriées. Cette dynamique se développe par définition dans un cadre prospectif. Elle a pour but, en effet, de créer dans l'avenir une structure de la relation prédéfinie et qui n'aurait pas existé sans cette démarche. Réussir la coopération dans le monde politique n'est pas une tâche aisée dès lors qu'il n'existe pas de gouvernement supranational, qui aurait la compétence d'édicter des règles ou de promulguer des lois, et que les institutions internationales ne disposent que de faibles pouvoirs. De plus, la notion de dynamique de la coopération se réfère à un état de devenir, aux contours difficiles à cerner, qui peut se définir comme un point d'équilibre instable entre un état initial et un état final, entre des lignes de force politiques, économiques, financières et psychologiques aux vecteurs souvent divergents et rarement colinéaires. C'est pourquoi réussir la coopération implique de donner à la démarche une dynamique au contenu ciblé, concret, mesurable et dont l'analyse de faisabilité a préalablement démontré qu'elle représentait une option optimale dans un contexte donné par rapport à d'autres démarches possibles. En d'autres termes, la coopération implique de la part de chacune des parties des comportements réciproques, qui visent à permettre une amélioration du bien-être globale- ment supérieure à celle obtenue par la simple addition des bien-être individuels. La coopération implique donc une recherche systématique de coordination entre chacune des parties concernées, et exclut tout comportement déphasé dans la structure de la relation. C'est la raison pour laquelle la position de la Suisse, qui, sur ce point, consiste officielle- ment, vis-à-vis de la CE jusqu'à ce jour, à limiter le processus de coordination à l'introduction d'un test de compatibilité avec les normes européennes lors de l'examen de toute nouvelle règle législative, nous paraît se situer en deçà d'une dynamique dite de la coopération. 17 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Par ailleurs, la tactique dite des «passerelles» suivie jusqu'à ce jour par la Suisse, qui consiste à jouer un avantage au cas par cas, pour pragmatique qu'elle soit, nous paraît dépassée, dans une conjoncture de coopération globale basée sur la réciprocité. Nous chercherons à démontrer dans ce chapitre qu'un comportement volontariste de réciprocité, défini dans le cadre d'une stratégie globale, constitue le facteur déclenchant de la coopération, et que ce comportement est induit par l'édification, entre partenaires, de plates- formes de coordination. 2.2. Définition de la coopération Dans cette partie générale, nous nous référons à la théorie des jeux pour donner une définition à la dynamique de la coopération. Les différents scénarios développés par cette théorie montrent que la coopération est déclenchée par la coordination des comportements, et que cette attitude de coordination mutuelle et réciproque se trouve, à son tour, induite par l'application d'une stratégie de la réciprocité. Nous renvoyons à la doctrine pour plus ample informé sur cette théorie (soit à Robert Axelrod, cf. bibliographie N0 1, Robert O. Keohane, cf. bibliographie N°s 2 et 3 et Robert Jervis, cf. bibliographie N0 5), et nous adoptons la définition donnée par Kenneth A. Oye (cf. bibliographie N0 4): «La coopération se définit en termes de politique consciente de coordination, telle qu'elle apparaît nécessaire à la réalisation d'intérêts mutuels.» Pour nous, la coopération est une approche volontariste qui s'appuie sur des stratégies de comportement définies par des buts concrets et mesurables, et l'allocation des ressources nécessaires pour les atteindre dans la poursuite d'un bien-être global qui soit supérieur à la somme de différents bien-être juxtaposés. 2.3. Dynamique de la coopération La doctrine nous apprend que la structure de la relation est caractérisée par la propension à coopérer, que détermine un certain nombre de facteurs, et qui fait passer les partenaires d'un comportement ponctuel à un comportement itératif. Nous allons brièvement passer en revue ces facteurs, soit la structure des résultats attendus, l'ombre du futur, le nombre des protagonistes et le résultat lié, en ajoutant à cet inventaire devenu classique, deux autres facteurs : soit Y axe fort-faible (Pierre Allan et Pascal F. Bourqui, cf. bibliographie N0 6), et la segmentation de la coopération, facteur que nous proposons de notre propre initiative. 2.3.1. La structure des résultats attendus Dans l'espoir de bénéfices communs, les protagonistes marqueront leur préférence pour la coopération, alors que dans la crainte de conflits d'intérêts, ils marqueront une propension à la défection. 18 LA DYNAMIQUE DE LA COOPÉRATION Selon notre définition de la coopération, la coordination constitue l'acte volontaire qui permet à la dynamique de se déclencher. Or, il se trouve que cette préférence est avant tout fonction de la perception que chaque protagoniste a de la structure des résultats, et cette image ne peut être que différente d'un protagoniste à l'autre. De plus, la perception que chacun a de l'image que l'autre se fait de sa propre perception comporte un élément de distorsion d'autant plus important que le flou s'ajoute au flou. Enfin, l'environnement global dans lequel évoluent les protagonistes, mais qu'ils ne maîtrisent que très partiellement ou pas du tout, par une impulsion imprévue, peut en tout temps dévier ou briser l'axe de comportement choisi et remettre en question la structure des résultats. A titre d'exemple, mentionnons l'impact que peut comporter, pour la dynamique de l'intégration européenne, la récente libéralisation intervenue dans les pays de l'Est. Dans le scénario du «dilemme du prisonnier», caractérisé par la structure de la relation (DC > CC > DD > CD, ou C = coopération et D = défection), les protagonistes éprouvent tous deux un stimulus qui les pousse à faire défection; que le partenaire choisisse la défection ou la coopération n'y change rien. Si son partenaire coopère, le premier des deux préfère la défection (DC > CC), et si à l'inverse le deuxième fait défection, le premier préfère également la défection (DD > CD). Le dilemme consiste en ceci que si les deux font défection, les deux font pire que s'ils coopèrent (CC > DD), mais que si l'un des deux fait défection, il y gagne par rapport à la mutuelle coopération. Le scénario du dilemme du prisonnier s'applique également sur un axe fort-faible défini par exemple en termes économiques, à la condition que les deux protagonistes partent sur un pied d'égalité pour amorcer la coordination de comportement nécessaire au déclenchement de la dynamique de la coopération. Pascal-F. Bourqui (cf. bibliographie N0 6) nous paraît donner à ce propos une illustration intéressante, par l'exemple d'une négociation qui se déroulerait entre un pays en voie de développement et un pays développé, et qui porte sur l'approvisionnement en matières premières du pays développé. C'est au faible que revient l'initiative de la coordination, puisqu'il a davantage à perdre, et le fort davantage à gagner dans l'hypothèse de l'anarchie (par opposition à la coopération), qu'elle se traduise par l'exploitation du faible, ou par l'absence d'une dynamique de la coopération. Dans la liste d'actions que la doctrine inventorie, nous retiendrons les trois principes que le faible, selon Pascal-F. Bourqui, doit respecter pour déclencher le processus de la coopération : — le faible doit veiller à rendre ses propositions crédibles aux yeux du fort ; — le faible aura tout avantage à jouer et à montrer qu'il joue cartes sur table; — le faible doit se garder de laisser croire au fort qu'il se trouve dans l'obligation de négocier (voir ci-après le scénario dit de «La poule mouillée»). Faut-il conclure que la Suisse se trouve, avec une négociation jugée d'abord prioritaire dans le cadre du GATT, puis dans celui de l'AELE, dans le scénario du dilemme du prisonnier? 19 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Dans le scénario de la «poule mouillée», caractérisé par la structure de la relation (DC > CC > CD > DD), la tentation de la défection unilatérale est compensée par la crainte d'une défection mutuelle. A la différence du «dilemme du prisonnier», les parties jouent ici sur la dissuasion pour établir une coordination, amorce de coopération. Ce scénario s'applique également sur un axe fort-faible défini par exemple en termes économiques, à la condition que les deux protagonistes partent sur un pied d'égalité dans la négociation. Un tel scénario pourrait s'appliquer dans l'hypothèse où la Suisse entamerait avec la CE un processus de négociation globale sur base de réciprocité en avançant par exemple l'atout de la liaison nord-sud à travers les Alpes. L'idéal serait que la Suisse ne démorde en rien de son concept de ferroutage et de son refus d'accorder à court terme un couloir aux camions de 40 tonnes, et que la CE cède, notamment en excluant toute mesure de rétorsion et en acceptant de réaliser à son compte les modules manquants, comme la rampe d'accès italienne au Simplon (cf. bibliographie N" 7) (soit scénario DC). Les deux partenaires pourraient décider, l'un d'abandonner le projet de ferroutage pour des raisons économiques et l'autre parce qu'il n'entre pas dans ses priorités, ou tout au moins qu'il passe après le projet de ligne à grande vitesse par le Mont-Cenis (soit scénario CC). Dans l'hypothèse où la CE maintient sa volonté d'ouverture à travers les Alpes par la Suisse et n'accepte pas l'absence d'un corridor pour les 40 tonnes à court terme, et qu'elle le manifeste par des mesures de rétorsion, que l'on peut imaginer porter dans un premier temps sur l'ensemble des routiers suisses en Europe (qui y utilisent des 40 tonnes notamment) et dans un deuxième temps sur d'autres branches économiques, la Suisse pourrait être amenée à renoncer à son idée (soit un scénario CD). Le pire reviendrait évidemment à la situation dans laquelle la Suisse ne renoncerait pas à son concept de solution à moyen et long terme, et la CE maintiendrait son exigence d'ouverture à court terme. La Suisse investirait ainsi d'ores et déjà dans l'exécution du projet tandis que la CE passerait aux mesures de rétorsion et entamerait une implantation de contournement par le sud (soit un scénario DD). Faut-il en conclure que la Suisse se trouve face à la CE dans le scénario de la «poule mouillée» et qu'elle sera forcée de faire défection pour éviter la confrontation réciproque, et qu'elle y perdra sa crédibilité? Dans le scénario de 1'«impasse», caractérisé par la structure de la relation (DC > DD > CC > CD), la stratégie dominante consiste pour chaque protagoniste à faire défection, quel que soit le comportement d'autrui. A titre d'exemple de comportement du type «impasse» adopté par certains gouverne- ments, mentionnons la fuite en avant dans la course aux armements. Il faut, à nos yeux, prendre au sérieux le risque, pour la Suisse, de se voir entraînée dans l'un ou l'autre de ces scénarios et de glisser notamment dans celui de l'«impasse», vers lequel devrait la porter le comportement dit du «hérisson» ou du frileux repli sur soi. 20 LA DYNAMIQUE DE LA COOPÉRATION Nous proposons de tirer de ce qui précède la conclusion qu'une entité telle qu'un Etat, un organisme faîtier représentant les intérêts d'une branche économique ou une entreprise, a dans tous les cas intérêt à: — définir les structures de résultats que son comportement devrait induire dans un environnement relationnel donné ; — vérifier dans quel scénario elle se trouve placée en l'occurrence; — éviter dans tous les cas la poursuite d'un intérêt égoïste, soit basé sur les seules considérations propres à son identité et à sa dynamique propre ; — tirer les conséquences de ce qui précède en définissant une politique de coopération comportant des objectifs mesurables et une stratégie claire, susceptible d'en amener la concrétisation. Il y a lieu, en tous les cas, pour la Suisse, de chercher à faire comprendre à ses partenaires européens qu'elle entend coopérer, en affichant une attitude autre que celle jusqu'ici adoptée qui consistait à se montrer en situation de défection par rapport à la dynamique européenne. En tant qu'entité faible sur l'axe fort-faible, il lui faut, en outre, chercher à prendre l'initiative, en apportant un plus dans la négociation, de façon à convaincre la CE d'une attitude fondamentalement coopératrice, même si le but final du processus peut diverger fondamentalement de part et d'autre. En d'autres termes, la Suisse doit éviter de faire accroire à ses partenaires que les éléments fondamentaux de son ordre politique (démocratie semi-directe, neutralité perma- nente et armée, fédéralisme) constituent un obstacle incontournable pour la coopération. Il en va à nos yeux exactement de même pour nos autorités à l'égard du peuple suisse. 2.3.2. L'axe fort-faible dans la théorie des jeux Le problème, pour le faible, consiste à trouver le niveau de coordination avec le fort qui permettra de déclencher une dynamique de la coopération le situant, dans la négociation, sur pied d'égalité avec le fort. C'est ce que nous appelons «plate-forme» de coordination. A défaut, la relation entre les deux parties risque de sombrer dans l'anarchie, soit que leurs comportements mutuels demeurent totalement indépendants, soit que le faible tombe dans la position d'exploité. Le risque devient certitude à partir du moment où l'une des parties, ou les deux, choisit d'appliquer la stratégie de la réciprocité, sans que le faible ait pris la peine de se hisser à pied d'égalité avec le fort. Comme nous le verrons dans l'examen de la structure de relation appelée «l'ombre du futur» (cf. § 2.3.3.) la loi du comportement du «TIT for TAT» entraîne dans un tel schéma un effet pervers qui projette la phase dite d'anarchie comme un écho à l'infini. Or, c'est bien évidemment au faible qu'appartient Yinitiative du déclenchement de la coopération, car le fort, aussi libérale ou libre-échangiste que soit la doctrine qu'il affiche, tendra naturellement à phagocyter le faible, soit à l'exploiter, ne serait-ce que pour des besoins de politique interne, et notamment de justification vis-à-vis du souverain ou des groupes de pression. 21 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Il appartient donc au faible de définir des segments de coopération dans le cadre desquels il renforcera son pouvoir jusqu'au niveau de celui de son partenaire. Bien entendu, plus le contenu d'un segment est ciblé, plus les critères de réciprocité satisfont les paramètres qui sous'tendent une coordination optimale. Cette méthode de segmentation de la coopération sera analysée en détail plus loin (cf. § 2.3.6.). Pour l'instant mentionnons les trois segments ou dimensions présentés par Pierre Allan comme étant l'inventaire exhaustif des possibilités à disposition du faible: a) inclusion d'autres ressources; b) inclusion d'autres parties; c) inclusion d'autres normes. Afin d'illustrer notre propos, prenons à titre d'exemple le comportement qu'affichent nos autorités fédérales. En d'autres termes, tentons d'ores et déjà de déterminer dans quelle mesure la Suisse a adopté un comportement qui permette d'éviter que la relation fort-faible CE-Suisse ne chavire dans une phase dite d'anarchie. La Suisse consacre toutes ses ressources disponibles dans la bataille de la négociation, à l'exception probable des PME et PMI, lesquelles constituent l'essence même de notre tissu économique (selon l'OFIAMT, la PME/PMI se définit par le fait qu'elle emploie jusqu'à 100 collaborateurs et représente, approximativement, les 95% des entreprises suisses). Ces dernières, prises dans leur ensemble ou dans le cadre restreint de leurs organes faîtiers, nous paraissent plus angoissées qu'organisées, face à l'inconnu que représente pour elles la dynamique européenne. Quant aux autres entreprises d'obédience suisse, soit les grandes entreprises à vocation internationale ou les multinationales, on peut observer qu'elles déploient en général depuis quelques années une stratégie qui tient compte notamment du processus d'intégration européenne. Cela tant par les redéploiements, les acquisitions, les prises de participation intervenues en Europe et en Suisse, que par les mutations apportées aux structures. Les organismes faîtiers prennent également position. Mentionnons à titre d'exemple l'Union suisse du commerce et de l'industrie (cf. bibliographie N" 8), les associations patronales (cf. bibliographie N0 9) et l'Association suisse des banquiers (cf. bibliographie N0 10). En ce qui concerne nos autorités politiques, relevons que face au problème que pose pour un petit pays l'allocation des ressources nécessaires sur toutes les plates-formes stratégiques de la négociation, un effort considérable est mis en œuvre. L'action du Bureau fédéral de l'intégration européenne, à Berne, de nos délégations permanentes auprès du GATT et de la CE, notre participation active à l'AELE et dans diverses institutions de la CE notamment témoignent de l'intensité de l'engagement entrepris. Il resterait, dans le cadre du présent travail à se poser la question de savoir dans quelle mesure les conditions de mise en place de l'axe fort-faible développées par la théorie des jeux se trouvent satisfaites en l'occurrence. Un tel examen ne peut que rester, en ce qui nous concerne, au stade de la première approximation, car l'information sur les démarches officielles nous paraît caractérisée à l'heure actuelle par une politique de rétention dont nous ne prétendons pas juger de l'opportunité. 22 LA DYNAMIQUE DE LA COOPÉRATION Nos autorités politiques ont-elles pu déjà se hisser au niveau de coordination permettant le déclenchement de la coopération? Apparemment non, puisque négociation il y aura seulement depuis 1990 sous l'initiative de la CE. Concernant les pourparlers menés jusqu'à ce jour, on ne peut guère parler à nos yeux que de «prolégomènes» à une prénégociation, tant il est vrai qu'il s'agissait en réalité de discussions informelles engagées à titre exploratoire, dans le but de dresser le cadre institutionnel dans lequel pourrait se dérouler une éventuelle négociation à une date non précisée. Or ces rencontres informelles ont abouti à une structure de la relation caractérisée par la volonté marquée de part et d'autre de négocier un Espace économique européen dans l'esprit et selon l'acquis de la CE (cf. bibliographie Nos 11 et 12). Selon la théorie des jeux, dans une telle structure de la relation, le partenaire faible, soit le petit pays, risque de tomber en phase dite d'anarchie, par opposition à une phase dite de coopération, et de déboucher sur le scénario de l'impasse, soit de tomber dans la position d'exploité. Or, l'on peut objectivement à nos yeux se poser la question de savoir dans quelle mesure, au moins au plan des négociations, la Suisse, comme d'ailleurs ses partenaires à l'AELE, ne subit pas d'ores et déjà un diktat de la part de la CE. Le risque que le processus aboutisse à un scénario d'impasse nous paraît d'autant plus élevé que l'approche de la CE se développe dans le cadre d'une stratégie de la réciprocité, sinon toujours explicite (voir par exemple la Deuxième Directive de coordination bancaire, cf. bibliographie N0 31), du moins toujours implicite. Un partenaire faible, soit un petit pays comme la Suisse, aura d'autant plus de peine à se hisser au niveau d'une coordination nécessaire au déclenchement de la coopération que le partenaire fort, soit la CE, négociera sur le plan de la réciprocité. Et pourtant, il est indéniable que nous bénéficions d'atouts décisifs, tels que la maîtrise du verrou alpin sur l'axe nord-sud, une plate-forme de neutralité largement ouverte aux pays tiers, une balance commerciale fortement déficitaire vis-à-vis de la CE, un rang parmi les trois premiers investisseurs en valeur absolue dans la CE, l'alliance de facto d'une monnaie forte avec le SME contre les fluctuations du $US, une coopération monétaire efficace dans le Groupe des Dix, la responsabilité d'un employeur important de la CE, entre autres. Il reste à se poser la question de savoir dans quelle mesure nos autorités font entrer ces atouts dans le cadre d'une politique de la coopération coordonnée, propre à les faire valoir. De plus, le partenaire faible ne paraît en l'occurrence pas avoir fait preuve d'une initiative coordonnée au plan global pour la mise en œuvre d'une stratégie plurisectorielle qui permette de le hisser à un pied d'égalité avec le partenaire fort dans des segments de réciprocité où l'échange de concessions eût pu comporter des avantages réciproques. C'est à nos yeux la CE qui a pris réellement l'initiative pour la dynamisation de la coopération CE-AELE. Nous citerons deux événements qui illustrent notre propos (cf. «Journal de Genève», 11 et 12 mars 1989): a) avertissement donné en mai 1987 à Interlaken par Willy de Clerq, commissaire européen, aux Six, que la CE s'en tiendrait aux principes suivants: — la priorité absolue est dévolue à la réalisation du Marché intérieur par les Douze ; — le processus d'intégration est autonome et ne saurait être influencé par les particula- rismes des Six ; 23 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE — les avantages entre partenaires doivent être équilibrés et tout rapprochement entraîne des sacrifices; b) appel de Jacques Delors, président de la Commission européenne, le 17 janvier 1989 à Strasbourg, en faveur d'une approche multilatérale et non plus essentiellement bilatérale avec les Six. Ainsi la Suisse, partenaire faible dans l'axe fort-faible de la théorie des jeux, n'a plus d'autre ressource, apparemment, que de diluer ses actions au niveau de l'AELE, et de chercher à synchroniser son évolution en intégrant en bloc l'acquis communautaire, sans plus se trouver en mesure de faire valoir au plan bilatéral l'atout de ses segments de réciprocité. Même si nos autorités ont dressé l'inventaire des atouts à faire valoir en l'occurrence et élaboré une approche coordonnée de la négociation, il n'en paraît pas moins, encore une fois à première vue, que l'approche prête à la dispersion de tactiques non coordonnées dans le cadre d'institutions et d'organismes divers, aux intérêts et aux objectifs difficilement compatibles. De plus le faible, dans le même axe fort-faible de la théorie des jeux, se doit de prendre, de sa propre initiative, deux précautions préliminaires décisives pour la mise en place d'une structure de la relation à potentiel déclencheur de défection. D'abord par une politique claire d'information il se doit de faire passer le message auprès du partenaire fort selon lequel il est disposé à entrer en phase de coopération, et la position officielle de la Suisse, reflétée jusqu'à ce jour dans le Rapport du CF d'août 1988 (cf. bibliographie N0 13), tend à donner l'impression contraire. Ensuite une politique claire d'information doit mettre le souverain en position de compren- dre le problème par un inventaire des points forts, des points faibles et des mesures à prendre. Cet inventaire, s'il existe, n'a pas fait l'objet d'une information au public de notre pays. En conclusion, la Suisse, par la perte de l'avantage de l'initiative, a apparemment perdu sinon toute marge de manœuvre, du moins une part substantielle de marge de manoeuvre dans son approche de la coopération avec la CE. En bref, le fait d'utiliser toutes les ressources au plan tactique ne satisfait pas à l'exigence d'une stratégie dans la structure de la relation avec la CE. Une des manières de solution consisterait à définir les transports, soit les axes perpendiculaires nord-sud et est-ouest de transit comme un segment prioritaire. En intégrant cette ressource dont nous disposons de façon unique, nous nous mettrions peut-être en position d'égalité dans la stratégie globale de la négociation. C'est à notre avis au Politique qu'il incombe de reprendre cette tâche en s'appuyant dans sa démarche sur l'Economique et les Transports, et l'on peut à nos yeux de bon droit, se poser la question de l'opportunité d'une approche menée à la fois par le Département politique fédéral et le Département fédéral de l'économie, surtout si la coordination est institutionnellement reportée à un niveau inférieur, soit celui du Bureau de l'intégration. Un tel bureau, pour compétents que soient ses membres, a-t-il les moyens de sa politique dans une telle structure hybride ? Le faible peut également adopter la stratégie de l'alliance afin de se hisser à pied d'égalité avec le fort, tout en définissant un segment de coopération donné. 24 LA DYNAMIQUE DE LA COOPÉRATION A titre d'exemple, rapportons que la Suisse, dans une stratégie de coopération avec la CE eût pu, théoriquement tout au moins, s'allier avec l'Autriche dans l'unique segment des transports, et plus particulièrement dans l'approche d'une ouverture de l'axe nord-sud. Le fait que les finalités poursuivies eussent divergé, l'Autriche s'étant portée candidate à l'adhésion à la CE, n'aurait pas empêché cette alliance segmentaire. On imagine le poids de ces deux pays alpins et limitrophes dans la négociation d'une artère vitale pour l'Europe, dont les modalités d'ouverture auraient pu être négociées dans le but d'obtenir des concessions dans d'autres segments où les deux pays n'auraient pu agir de concert, ou peser du même poids. Pour notre part, nous ne voyons pas pour quelles raisons il serait trop tard pour adopter une telle approche basée sur une stratégie segmentaire de la coopération en l'occurrence avec l'Autriche. Le faible, pour se mettre sur pied d'égalité avec le fort, peut tenter soit de modifier unilatéralement la norme de référence, soit en inclure une complémentaire dans le processus. Dans le segment de coopération difficile et d'importance stratégique que représente la haute technologie, On peut par exemple imaginer qu'un Etat décide d'imposer une nouvelle norme dans un secteur où il détient une position dominante, afin d'éliminer la concurrence ou de négocier son utilisation en échange de concessions dans d'autres secteurs. Pour reprendre l'exemple de la Suisse, qui ne montre, à notre avis, une position dominante dans aucun domaine qui lui permette d'imposer à ses partenaires une norme spécifique, nos autorités cherchent à inclure dans leur processus de négociation avec la CE d'autres normes à savoir celles, notamment, qui se négocient dans le cadre du GATT et de l'AELE (pour cette dernière, sur ordre de la Commission européenne). En soi la tactique qui consiste à obtenir des concessions dans le cadre du GATT, de façon à ce qu'elles soient répercutées conformément au principe de non-discrimination, simultané- ment, automatiquement et inconditionnellement à toutes les parties aux Négociations générales donc y compris à la CE, peut paraître séduisante. Nous sommes d'ores et déjà partie au GATT, et ce cadre englobe également des pays tiers, ce qui porte le débat au niveau planétaire. Nous verrons néanmoins plus loin (cf. § 4.7) qu'une telle voie paraît sinon vouée à l'impasse, du moins semée d'embûches propres à lui ôter tout caractère de voie royale. Quant à l'AELE, la voie nous paraît plus fortement compromise encore, puisque cette entité n'a pas dégagé à Ce jour de stratégie comparable à celle de la CE et qu'elle est donc vouée vraisemblablement à la satellisation ou à l'échec. Les pays membres de l'AELE n'ont d'ailleurs pas même dégagé un comportement commun, si ce n'est un consensus apparent pour le renforcement notamment de leur secrétariat. Il faut bien constater que l'AELE ne dispose pas des moyens de son ambition, notamment du niveau de décisions supra-étatiques nécessaire pour faire face à la dynamique européenne, et que par ailleurs cette organisation tend à se vider de sa substance, ne serait-ce que parce que l'un de ses membres a fait acte de candidature à la CE, et que les intérêts des pays Scandinaves ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des pays alpins. En bref, nos autorités paraissent bien tenter d'inclure dans le processus d'autres normes ou institutions afin de se hisser à pied d'égalité avec leurs partenaires dans la négociation. 25 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Cependant le fait d'utiliser des normes ou institutions sans leur allouer des ressources coordonnées, leur assigner des objectifs qui correspondent à leurs potentiels spécifiques équivaut à risquer d'éparpiller les forces et de subir les stratégies tierces. En conclusion, la Suisse ne nous paraît pas avoir, à ce jour, mené la politique qui satisferait aux conditions lui permettant de se hisser à pied d'égalité sur l'axe fort-faible de la structure de sa relation avec la CE. 2.3.3. L'ombre du futur — Introduction de la notion de réciprocité Donner une perspective stratégique à un comportement, c'est lui conférer un caractère itératif dans une dimension temporelle. La structure du comportement jusqu'ici passée en revue selon la doctrine s'arrêtait au stade ponctuel d'une action-réaction. L'ombre du futur, pour reprendre le terme utilisé par la doctrine, est une notion qui nous permet d'intégrer le temps, soit une séquence de comportements dans une structure de relation donnée. La propension à coopérer est fonction, on l'a vu au chapitre précédent, de la structure des résultats. Elle est également fonction du poids ou de l'importance relative que pèse, aux yeux des protagonistes, l'action prochaine, par rapport à l'action actuelle. C'est ce que la doctrine appelle communément «l'ombre du futur» et nous allons voir que cette notion constitue la troisième condition requise pour passer de la phase dite d'anarchie à la dynamique de la coopération. Axelrod (cf. bibliographie N° 1) part de l'idée que les protagonistes attachent moins d'importance à une action future qu'à une action présente, et qu'ils recherchent le comporte- ment itératif qui leur sera le plus naturel. Se basant sur un nombre d'expériences aussi élevé qu'elles portent sur des sujets variés, il dégage une loi statistique du comportement selon laquelle les protagonistes adoptent le même type d'attitude, quelles que soient les structures ou les situations relationnelles dans lesquelles ils évoluent. Il s'agit du comportement communément appelé «TIT for TAT». Le «TIT for TAT» est la politique qui consiste à coopérer lors de la première action, puis à aligner son comportement sur celui du partenaire. En conséquence, la défection suit toujours la défection. A la question «quelle est la meilleure stratégie?» Axelrod répond qu'il n'existe pas de stratégie meilleure en soi. Celle-ci dépendra, dans tous les cas, de celle que le partenaire aura fait sienne. C'est ainsi qu'Axelrod introduit la notion de réciprocité. La meilleure des stratégies consiste dans celle qui se base sur, ou qui imite celle du partenaire, tout en déclenchant le processus par le biais de la coopération unilatérale. Ainsi, selon lui, la coopération suit une évolution en trois phases (cf. bibliographie N0 1, p. 1): a) la coopération naît entre ceux des protagonistes qui basent leur comportement mutuel sur la réciprocité; b) la coopération peut se développer même dans un monde où plusieurs stratégies diffé- rentes coexistent; c) la coopération, une fois basée sur la réciprocité, peut se prémunir contre l'invasion de stratégies à l'essence moins coopératrice, sinon hostile. 26 LA DYNAMIQUE DE LA COOPÉRATION Ainsi pour Axelrod, la stratégie qui gagne dans tous les cas, soit celle qui établit un niveau global et matériel optimal de coopération, est celle du «TIT for TAT». Elle implique par définition que les quatre règles suivantes soient respectées : a) «Ne pas se montrer envieux des succès du partenaire. » La structure du résultat est dans tous les cas positive, c'est-à-dire que le fait de suivre «TIT for TAT» plutôt qu'une autre séquence apporte dans tous les cas de meilleurs résultats. b) «Ne pas être le premier à faire défection. » Le fait d'initier en premier la défection s'avère dans tous les cas négatif car il implique le double risque de représailles et de mauvaise image. c) «Appliquer la réciprocité, aussi bien dans une situation de défection que dans une situation de coopération. » Il s'avère en effet que le respect de cette règle permet de réaliser un équilibre optimal entre les mesures de rétorsion, et l'oubli pur et simple. Si le danger principal consiste dans l'escalade que provoque un concert sans fin de - récriminations, un niveau généreux d'oubli devient approprié. A l'inverse si le danger provient de stratégies aptes à exploiter unilatéralement des règles trop libérales, un excès de laisser-aller ou d'oubli sera coûteux. d) «Ne pas être trop intelligent. » Plus la stratégie est sophistiquée, moins elle paraît transparente au partenaire, moins elle est comprise de ce dernier et moins la coopération et le bénéfice mutuel s'en trouvent élevés. En fait, le meilleur moyen à utiliser pour encourager la coopération consiste à faire clairement comprendre que l'on recherche la réciprocité. Comme l'énonce Axel- rod, les discours peuvent à l'occasion être utiles mais, comme chacun sait, «rien ne parle plus clairement qu'un ensemble d'actes». C'est la raison pour laquelle les actes faciles à interpréter de la stratégie «TIT for TAT» s'avèrent si efficaces. Dans la mesure où les protagonistes se rencontrent de façon itérative, la séquence d'interactions qui en résulte est donc susceptible de déclencher la dynamique de la coopération quand elle repose sur la réciprocité. La réciprocité, en outre, consolide la coopération et lui donne un caractère de stabilité ou de durabilité. Comment faire en sorte que, dans un environnement donné, l'attitude égoïste d'un protagoniste se trouve sublimée en comportement coopératif, même dans le cas où, à court terme, la structure des résultats ne peut paraître que négative? L'analyse détaillée de la notion de l'ombre que le futur fait planer sur les partenaires d'aujourd'hui, à laquelle ont procédé tant Axelrod (cf. bibliographie N0 1), que Oye (cf. bibliographie N° 4) et Axelrod et Keohane (cf. bibliographie N0 3), révèle une gamme de stratégies possibles pour déclencher la dynamique de la coopération. D'abord, dans l'idée d'Axelrod (cf. bibliographie N0 1, p. 128) il s'agit de développer Y ombre du futur, puisque plus les résultats futurs paraissent importants par rapport aux résultats actuels, moins les raisons de faire défection aujourd'hui auront de poids. Les partenaires disposent de deux moyens pour y parvenir: augmenter la fréquence de leurs attitudes interactives, et leur conférer un caractère de durabilité. Dans le cadre d'une négociation, on peut alternativement imaginer de découper dans le temps une action 27 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE représentant un pas majeur en un sous-ensemble d'actions plus aisées à accomplir. D'un côté chaque pas acquis en commun renforcera le processus; d'un autre côté, le fait que chaque partie sache que la défection de l'un peut entraîner celle de l'autre, amènera une attitude plus ouverte, plus constructive. Une autre possibilité consiste dans le changement volontaire de la structure des résultats. Par l'adoption ou la menace de représailles, par exemple, la coopération peut paraître la meilleure solution dans le court terme, quelle que soit l'attitude adoptée par le partenaire. Dans un tel cas de figure il n'existe évidemment plus de dilemme. Bref, comme le bon sens l'indique, il s'agit d'attribuer au long terme un stimulant tel que la coopération apparaisse plus bénéfique que la défection. La réciprocité doit devenir une attitude volontariste aidant à passer de la phase dite d'anarchie à celle de la coopération. Il s'agit d'un choix stratégique qu'il appartient à l'un des protagonistes, à la recherche de la coopération, d'arrêter. La doctrine parle de réciprocité conditionnelle. Par opposition, la coopération inconditionnelle, qui implique en quelque sorte de «tendre la joue aux coups de l'ennemi», entraîne l'exploitation et non la coopération. La réciprocité est basée sur l'équité et non sur la morale. L'adepte du «TIT for TAT» est le vainqueur, non pas parce qu'il fait mieux que ceux qui suivent d'autres stratégies, mais parce qu'il a mis en avant, dans le processus, l'intérêt mutuel davantage qu'il a exploité la faiblesse d'un tiers. L'attitude «TIT for TAT» suscite la coopération de la part du partenaire. Le désavantage du «TIT for TAT» consiste dans le fait qu'il comporte le risque potentiel de perpétuer à l'infini un comportement destructeur. La réciprocité connaît ses limites dans la mesure où elle peut également faire basculer les partenaires de la coopération dans l'anarchie. Les actions entreprises sur une base de réciprocité doivent prendre la valeur de repères pour l'ensemble des protagonistes. En effet, l'effet de catalyse qui permettra d'assurer le passage à la phase de coopération nécessite que les protagonistes puissent se référer à des précédents. Dans le suivi d'une tactique de réciprocité, il s'agira donc de veiller également à la fiabilité et à la rapidité des transformations. Plus l'action désirée sera simple, concrète et mesurable, plus la probabilité qu'elle serve de valeur de repère augmentera. Cette condition requiert la mise en place d'un système de contrôle qui permette de réagir à temps et de la façon qui convient. En conclusion, l'ombre du futur constitue un facteur qui, s'il est clairement concrétisé par l'un des protagonistes ou par un groupe de protagonistes dans une stratégie de réciprocité, peut faire basculer aux yeux de tous les protagonistes la structure des résultats dans le futur au niveau d'une première priorité par rapport à la structure des résultats évidente dans le présent, amorçant ainsi la dynamique de la coopération. Encore faut-il que les parties déclenchantes aient pris la peine d'analyser l'ombre du futur, de la définir et de développer, nous le répétons, une politique comportant des objectifs concrets et mesurables ainsi qu'une stratégie permettant de les concrétiser. La stratégie «TITfor TAT», ou la réciprocité, dégage une vue plus claire sur la façon dont le comportement présent peut affecter le comportement futur, et contribuer d'autant à augmenter l'élasticité de la coopération par rapport à la défection. 28 LA DYNAMIQUE DE LA COOPÉRATION L'adepte du «TIT for TAT» démontre à ses partenaires, en répondant à la défection par la défection, qu'il ne se laissera pas exploiter. D'un autre côté si un protagoniste constate qu'il lui est répondu par la réciproque à chaque mouvement de coopération et de défection, il s'y prendra à deux fois avant de suivre résolument une politique égoïste ou purement unilatérale, voire d'exploitation. Le «TIT for TAT» de surcroît permet à son adepte de choisir entre les partenaires qui coopèrent et ceux qui font défection. Or les partenaires qui coopèrent pratiquent de leur côté déjà une telle politique de sélection. Il se dégage ainsi un'effet de synergie qui accélère et renforce le processus de coopération global basé sur la réciprocité. Mais ce pas accompli risque de le faire tomber dans la situation d'exploité si un régime de normes réglant la problématique de la sanction n'est pas parallèlement mis en place, au plan unilatéral dans le cas où ce protagoniste se trouve en position suffisamment dominante, ou au plan multilatéral dans tous les cas où l'on veut que l'action se développe à long terme et s'institutionnalise. 2.3.4. Le nombre des protagonistes — La problématique de la sanction Abordons maintenant l'examen des conditions auxquelles doit satisfaire la réciprocité dans un cadre multilatéral. Selon Axelrod et Keohane (cf. bibliographie N0 3), ces conditions sont au nombre de trois: a) l'auteur de la défection est identifiable; b) la sanction peut être dirigée sur le responsable ; c) la motivation sur le long terme est suffisante. Maîtriser la problématique de la sanction nous apparaît difficile, voire une gageure dans un cadre multilatéral si elle dépend de l'initiative d'un protagoniste. Or, pour que la réciprocité entre partenaires développe son niveau d'efficacité jusqu'à déclencher la coopéra- tion, le tir de sanction doit pouvoir être calculé avec une absolue précision. A nos yeux, l'unique voie offerte en l'occurrence consiste à institutionnaliser la problématique au niveau international, en édictant des normes qui puissent fonctionner en tant que système de référence commun pour le calcul des déviations, la définition des sanctions et l'attribution des responsabilités. Un tel schéma revient en fait à hisser le débat du niveau multilatéral au niveau bilatéral pour un cas donné. C'est ainsi qu'une cour juridictionnelle élargie à son territoire pourrait représenter une condition nécessaire, mais non suffisante bien entendu, à l'élaboration d'un concept viable d'Espace économique européen. Or nous savons désormais (cf. bibliographie N012) que cette cour de justice est la CJE, et que la compétence de cette dernière serait étendue, notamment à la Suisse. Il apparaît clairement, à nos yeux, qu'un comportement de défection aboutirait en l'occurrence à un scénario de la «poule mouillée», puis de 1'«impasse» pour la Suisse, qui doit d'ores et déjà comprendre que ses valeurs fondamentales sont remises en question, qu'elle le veuille ou non. 29 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Par le biais de la sanction, la structure de la relation établie au niveau multilatéral AELE- CE passera au niveau bilatéral, et la Suisse sera supposée reconnaître le principe de la subsidiarité par rapport au juge étranger. 2.3.5. Le résultat lié Le concept du résultat lié, pour la doctrine, consiste dans la mise en place d'une stratégie de la réciprocité qualifiée de «diffuse». Comme nous le verrons de façon plus approfondie dans notre chapitre consacré à la notion de réciprocité (cf. § 3), la réciprocité est diffuse dans la mesure où elle porte sur deux objets, deux domaines différents et dont le seul dénomina- teur commun est précisément la stratégie en question (cf. bibliographie N° 4, p. 17). La réciprocité diffuse est un bras de levier qui permet à un protagoniste d'obtenir des résultats qui demeurent, soit impossibles, soit plus limités, dans le cadre d'une réciprocité directe. A titre d'illustration, prenons l'exemple suivant. Lorsque l'évolution menant à une pleine coopération se heurte à une impasse dans un domaine, celui des transports par exemple, un partenaire décide d'en faire jouer les effets de réciprocité sur le domaine bancaire. Grâce à cette stratégie du résultat lié, il peut ainsi forcer son antagoniste à débloquer l'évolution de la coopération dans le domaine des transports pour la raison que cette même évolution est, aux yeux de ce dernier, vitale dans le domaine bancaire. Quant à la segmentation (définie au § 2.3.6), voici ce que pourrait donner son application à un exercice volontariste de stratégie de réciprocité diffuse. Prenons l'hypothèse d'un objectif principal poursuivi par un protagoniste, qui ne peut être concrétisé par la réciprocité directe, soit que la négociation est dans l'impasse, soit que le protagoniste sait qu'il n'est pas à même d'offrir la réciprocité directe, soit parce que globalement il est en position de faiblesse. Dans l'ensemble que constitue le domaine de coopération dont il s'est préalablement donné la peine d'inventorier le contenu et de définir les limites, le protagoniste recherche un objectif dont la valeur de concrétisation dégage davantage d'importance pour son ou ses partenaires que pour lui, ou lui revient à un coût qu'il est de toute façon prêt à payer, pourvu qu'il parvienne par là à réaliser son propre objectif prioritaire. Il a ainsi défini deux segments, ou si l'on préfère un segment et un sous-segment du domaine (on pourrait parler du marché) de la coopération qu'il s'est fixé avec ses partenaires. Il sera désormais valablement en mesure de procéder à une économie de moyens en n'allouant les ressources qu'en fonction des buts, en mettant en veilleuse.l'action qu'il déployait jusque-là dans d'autres segments de coopération. Sur la base d'une planification de la coordination des actions à entreprendre en anticipation ou en réaction à celles de ses partenaires, il va déterminer également les horizons temporels à la limite desquels ses objectifs doivent être concrétisés. Il mettra à la tête de chacun de ses segments de coopération l'homme qui lui paraît le plus qualifié pour remplir une mission précise, dans un laps de temps donné, avec des moyens définis, et contrôlera périodiquement l'évolution de la situation. 30 LA DYNAMIQUE DE LA COOPÉRATION Ainsi, alors que la doctrine prétend que la mise en œuvre d'une stratégie de la réciprocité diffuse complique la coopération, pour la raison que ses effets en sont moins contrôlables, voire même risquent de se révéler pervers pour le processus, Ia segmentation de la coordination nous paraît, dans un tel cas notamment, constituer un instrument de travail propre à intégrer la stratégie de la réciprocité dans le cadre d'une méthodologie parfaitement maîtrisable. Le principe du résultat lié s'applique également dans l'analyse de l'impact qu'entraîne un comportement au niveau international sur une situation indigène, et vice versa. Développer une stratégie de coopération entre partenaires sans analyser préalablement et sans suivre de près, la dynamique une fois déclenchée, les interactions qu'elle entraîne ou les contraintes auxquelles elle se heurte au plan national ou interne, serait une erreur qui pourrait se révéler décisive. C'est là un lieu commun. Encore faut-il, en pratique, ne pas négliger de lui donner l'exacte dimension qu'il mérite. C'est la raison pour laquelle nous plaidons en faveur d'une information au souverain sur la dynamique de l'intégration européenne, qui soit compétente et ponctuelle. Jusqu'ici les segments de coopération pouvaient s'additionner jusqu'à composer l'ensem- ble de l'environnement ou du contexte de coopération: nous dirons qu'ils étaient compati- bles. Il se peut bien entendu que des segments de politique ou de stratégie fassent partie de contextes différents au point que leur intersection, vraisemblablement fortuite, entraînera des effets négatifs, soit qu'ils se situent en dehors des objectifs convoités, soit qu'ils grippent le processus. On parlera dans ce cas de politiques ou de stratégies incompatibles. Il va sans dire qu'il est là également décisif, pour un protagoniste, d'examiner dans quelle mesure la stratégie qu'il se propose de suivre comporte des éléments d'incompatibilité avec l'une ou l'autre de celles qu'il rencontrera sur le chemin qu'il s'est tracé pour la mise en place d'une dynamique de la coopération. On peut en déduire, à nos yeux, qu'une approche valable de la coopération avec la CE consisterait à en segmenter le contenu, en conférant aux différents sous-ensembles ainsi dégagés des ordres de priorité permettant le développement d'une stratégie qui serait le reflet de cet ordre de priorité. A titre d'exemple, on peut, en l'occurrence, à nos yeux, poser des questions telles que: le secteur agricole est-il prioritaire en Suisse par rapport au domaine des transports? ou Ie domaine bancaire l'est-il par rapport à ce dernier? Le contenu de la structure de la coopération de la Suisse avec la CE a-t-il fait l'objet d'un inventaire dressé par ordre de priorités ? Le résultat lié potentiel a-t-il été défini ou analysé entre les différents secteurs inventoriés ? Au sein même d'un domaine spécifique, comme le domaine bancaire, une démarche similaire a-t-elle été accomplie afin de se hisser à un niveau d'égalité dans ce segment privilégié par rapport à la CE? Quels sacrifices serons-nous appelés à consentir pour maintenir notre structure bancaire en Europe ? 2.3.6. La segmentation de la coopération Approfondissons cette notion de la segmentation de la coopération que nous venons d'aborder. 31 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Par environnement qualitatif de la coopération, la doctrine entend la nature du contexte dans lequel s'inscrivent les séquences d'interactions, qui concrétisent la dynamique de la coopération entre partenaires multiples. La nature du contexte exerce une influence directe sur la structure des résultats comme sur l'ombre du futur. <¦ Prenons l'exemple d'un contexte dans lequel les normes de référence pour l'application de la réciprocité ont été définies. Il s'agit d'un contexte interactif institutionnalisé. Il est évident que la structure des résultats pourra être modifiée, et l'ombre du futur agrandie, par l'existence d'une norme mutuelle qui définit des actions, en mesure la portée, voire en sanctionne certains comportements. A l'inverse, de par sa nature même, le contexte de la coopération peut être dépourvu de toute référence communément admise. Dans ce cas, il est fort probable que les protagonistes se référeront à des principes généraux non explicites et, en tout cas, non officialisés pour développer un comportement de coopération entre eux. Bien entendu, la réalité se situe quelque part entre ces deux extrêmes de comportements institutionnalisés et instinctifs. Elle se composera même d'un mélange complexe et hétéro- gène de normes communes et de règles propres, dont l'intersection générera par elle-même un surcroît d'impact sur la structure des résultats et l'ombre du futur. Axelrod et Keohane (cf. bibliographie N°s 1, 2, 3) parlent de scénarios à niveaux multiples. Nous proposons la notion de segments de coopération. Additionnés tous ensem- ble, les segments de coopération déterminent le contenu total de l'environnement de coopération et en définissent la dimension et le pourtour. Pris séparément, les segments de coopération dégagent des degrés d'influence différents. La mise en vigueur d'une stratégie de la coopération implique de définir les segments de la coopération, d'en examiner les effets, d'en déterminer les priorités. Il restera ensuite à décider, en fonction des buts poursuivis, sur quels segments l'on mettra l'accent. Les ressources seront allouées aux segments en fonction de leur importance relative. Les objectifs globaux que le protagoniste s'est fixés pourront être ventilés en buts à atteindre par segments. De même, la stratégie globale qu'il s'est résolu à appliquer pour atteindre ses objectifs pourra faire l'objet d'une ventilation au niveau des différentes tactiques appliquées par les segments. Les différents segments seront dotés d'un responsable en liaison directe avec l'artisan principal de la coopération, auquel ils rendront périodiquement compte de l'évolution de leurs travaux par rapport aux buts qui leur auront été assignés. Il appartiendra naturellement à l'artisan principal de contrôler l'état d'avancement et de conformité de l'ensemble. Il s'agit en fait de transposer dans les structures de la relation avec la CE, au plan de la négociation de notre pays, qui a entrepris ce que les médias appellent communément de «difficiles négociations» avec ses partenaires commerciaux, les méthodes de l'économie privée qui ont fait leur preuve dans des situations conflictuelles graves à haut caractère d'urgence. Par ailleurs, la segmentation appliquée à la méthode dite du «résultat lié» devrait, à nos yeux, lui apporter les avantages d'une systématique, d'un ciblage sur les buts à atteindre, d'une responsabilisation des acteurs, et d'une coordination de l'ensemble. 32 LA DYNAMIQUE DE LA COOPÉRATION 2.4. Conclusion La stratégie de la réciprocité permet de déclencher la dynamique de la coopération dans le cadre de scénarios bilatéraux. Il en va de même dans celui de scénarios multilatéraux par l'introduction de la sanction. Son application permet de détecter les dissidents et d'user de représailles à leur endroit. Tant que la structure des résultats à obtenir par la coopération paraît meilleure que celle résultant d'une défection mutuelle, même si les tentations de faire défection existent, la coopération est probable. Il s'agit pour les partenaires d'être conscients que la stratégie «TIT for TAT» peut déboucher rapidement sur un effet d'échos négatifs à l'infini, soit une cascade de défections. L'impasse doit être évitée par la mise en place de mesures communes. De plus, il s'agira d'éviter que, en application perverse du principe de réciprocité, des concessions potentielles servent d'otages à la négociation, et que la structure des résultats se trouve altérée par la tendance à substituer la négociation à la concession. Une attention particulière sera également vouée à la coordination générale, car les parties négociant séparément et successivement des comportements coopératifs liés, il peut arriver que des concessions en annulent d'autres, faisant naître un effet d'échos négatifs inattendus. L'application du principe de la réciprocité, concrétisé par la stratégie du «TIT for TAT» selon laquelle la première action vaut coopération, les suivantes se calquant sur celles du partenaire, constitue le meilleur catalyseur pour précipiter la réaction permettant aux protagonistes de passer de la phase dite d'anarchie à la phase dite de coopération, et de s'y maintenir. Encore faut-il que cette stratégie fasse partie d'une politique réfléchie, qui comporte des objectifs définis. Ces principes, valables dans le cadre bilatéral, le resteront dans le cadre multilatéral, mais une institutionnalisation de la réciprocité selon une norme commune constitue dans cette hypothèse un moyen de plus grande efficacité. La mise en place de telles politiques ne se base pas nécessairement sur des développements purement rationnels ou logiques. Elle doit dans tous les cas faire l'objet d'un suivi, d'un contrôle constant et garder toute la souplesse nécessaire pour s'adapter en fonction de circonstances souvent extérieures à son cadre, et indépendantes des expériences acquises. Dans tous les cas, le protagoniste visera la coopération, s'il cherche à améliorer le niveau de ses relations avec ses partenaires, voire à le maintenir. Il en va certainement de même pour son niveau de développement intérieur. Un Etat, une personne morale ou privée ne pourra se passer, si elle veut éviter de tomber en position d'exploité, de définir, nous le répétons, une politique comportant une liste de priorités, ainsi que des objectifs concrets et mesurables avec une stratégie du type «TIT for TAT» basée sur la réciprocité pour les atteindre et dans un contexte de coopération préalablement segmenté. L'intérêt de ce développement tient dans son potentiel de compatibilité avec le comporte- ment de la CE. Pays à vocation économique avant tout européenne, la Suisse ne peut négliger, bien évidemment, la structure de ses rapports avec le reste du monde. Confrontée à cette stratégie clairement définie que l'on peut résumer par l'expression fortement mobilisatrice d'Europe de 1992, elle est condamnée à vérifier avec le plus grand 33 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE soin que la structure de sa relation avec la CE demeure en phase dite de coopération, et qu'elle prend les mesures appropriées pour s'y maintenir à un niveau qualitatif et quantitatif au moins constant, voire si possible supérieur. Selon la doctrine, il s'agit pour elle, en tant que pays tiers en possession d'atouts importants, de hisser ses structures au niveau de coordination nécessaire pour déclencher la coopération et maintenir cette dernière à un rythme de compatibilité constante. Elle se doit, pour ce faire, d'afficher résolument et de façon claire aux yeux de ses partenaires, un comportement visant précisément à la coopération. La stratégie à suivre paraît être celle de la réciprocité, que devrait amener un comporte- ment du «TIT for TAT». Cette stratégie de la réciprocité paraît pouvoir, toujours selon la doctrine, aussi bien s'appliquer dans une approche bilatérale que multilatérale. Dans ce dernier cas cependant, la problématique de la sanction se posera et la nécessité d'une compétence juridictionnelle supranationale devra être envisagée. L'élaboration d'une stratégie de la réciprocité implique une définition de son principe, un inventaire de son contenu, la segmentation de la coopération en fonction des ordres de priorités, la coordination des objectifs et des moyens. En application du principe de la réciprocité diffuse, cette coordination implique une coordination intersectorielle, et l'évaluation précise des risques d'interprétation stricte de la réciprocité au niveau politique et non plus seulement au niveau juridique. L'effet de bras de levier du «résultat lié» doit être utilisé de façon optimale, et la relation fort-faible nécessite de ne pas perdre l'initiative. Même si cette dernière paraît, à première vue, non recouvrable aujourd'hui au plan global, la segmentation de la coopération devrait permettre de la récupérer dans le cadre de nos principaux atouts préalablement répertoriés et classés par ordre d'importance. A ces conditions, le fait de devoir passer, globalement d'une approche bilatérale à une approche multilatérale permettrait de conserver l'avantage dans l'exploitation d'une obliga- tion de la réciprocité pour une dynamique de la coopération avec l'Europe de 1992. 34 3. La réciprocité, définition et évolution 3.1. Introduction La réciprocité est une notion ambiguë, qui prête à confusion. De façon générale, on peut dire que la réciprocité consiste en un principe de base, auquel se rattache toute norme internationale visant à la coopération. La réciprocité est une politique de coopération, qui est utilisée aussi bien de façon unilatérale par un seul protagoniste, que par un ensemble de protagonistes, en tant que moyen concret d'action, ou comme concept académique, comme symbole d'une attitude donnée, ou comme justification à des mesures de représailles. Elle a été certainement utilisée de tout temps, aussi bien par exemple comme norme sociale dans le cadre biblique de la Loi du Talion, que comme norme commerciale dans celui du GATT. Elle est, aux Etats-Unis, selon Keohane (cf. bibliographie N0 2), associée à la doctrine libérale depuis la promulgation du Trade Agreements Act de 1934. D'après cet auteur, la notion de réciprocité est devenue si largement intégrée à tout processus d'échange économi- que, que même les opposants au régime libéral l'utilisent «en récupération» quand ils proclament que les partenaires des USA devraient accorder aux biens, services et investisse- ments de cette nation, le même traitement que les USA accordent aux biens, services et investissements de leurs partenaires. Dans le même ordre d'idée, Keohane (cf. bibliographie N0 2, p. 3) mentionne un sénateur qui, sous l'administration Reagan, proclamait que réciprocité signifiait pour lui tendance à équilibrer les échanges avec le Japon, plutôt que de maintenir un important surplus en faveur de ce pays. Or l'équilibre bilatéral du commerce est exactement ce que les artisans du GATT ont voulu éviter, dans la crainte que les relations économiques internationales débouchent sur le scénario de l'impasse. Mentionnons que, dans le cadre du Trade Act de 1988, le Congrès des USA a institutionnalisé le principe en vertu duquel ce pays se donne le droit de prendre des mesures correctives à l'égard des Etats entretenant avec lui un surplus commercial. 35 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE La menace s'est trouvée immédiatement sous contrôle, par le fait que les Etats qui auraient pu la brandir en auraient été les victimes. Il n'existe donc pratiquement pas de moyen juridique de la sanction dans le cadre du GATT. En fait, les déséquilibres externes reflètent des déséquilibres internes, et l'on peut se demander sur quelles perspectives va déboucher la réciprocité dans un tel contexte. Bien qu'elle risque d'être utilisée comme alibi quand elle consiste à rétablir, au moins à court terme, des structures de déséquilibre externe, avec l'objectif non avoué de réduire à long terme les déséquilibres internes, elle ne palliera jamais le manque de cohérence des politiques internes, telles celles qui se caractérisent par un niveau d'investissement supérieur à celui de l'épargne. En fait, la réciprocité, son interprétation et l'utilisation concrète de sa portée, reste une affaire floue, aux contours mal définis, d'une essence plus politique que juridique. Afin d'expliciter l'évolution suivie par la réciprocité au cours de ces dernières années, nous adoptons la distinction que fait Keohane (cf. bibliographie N0 2) entre réciprocité spécifique et réciprocité diffuse. Avec l'aide de William R. Cline (cf. bibliographie N0 14) nous proposons d'examiner l'application de cette distinction dans le cadre spécifique du GATT. Nous verrons également que la CE base son approche sur la réciprocité, notamment en ce qui concerne la coopération avec les pays tiers dans le domaine bancaire, que nous approfondissons plus loin (cf. § 6). La résurgence de la réciprocité, davantage encore que l'appréciation de la réciprocité dite «diffuse», notamment par le biais des taux de change flottants, nous paraît refléter une tendance à la régression dans le cadre des termes mondiaux de la négociation portant sur les échanges, et nous aborderons également cet aspect (cf. § 4.8). Il nous faut cependant commencer par essayer de donner une définition à la notion de réciprocité. 3.2. Définition de la réciprocité La réciprocité consiste en un ensemble d'actions et de réactions, l'existence de celles-là étant également conditionnée par l'apparition de celles-ci, dans la mesure où il existe au moins une forme d'équivalence grossière entre les unes et les autres. La doctrine émet le principe de l'équivalence des bénéfices dans le cadre des relations internationales. Axelrod (cf. bibliographie N0 1, p. 7) envisage de limiter son contenu à l'équité, comme propriété commune à de nombreuses règles basées sur la réciprocité, tandis que Arthur Dunkel parle A'« équivalence de concessions» (cf. § 4.3). En fait, la notion de réciprocité n'est pas définie pratiquement, même dans les accords du GATT où elle n'apparaît jamais de façon explicite. De toute façon, il faut bien admettre qu'une mesure précise de la réciprocité est difficile, voire même le plus souvent impossible. Pour la doctrine, la réciprocité n'établit pas de distinction entre échanges bénéfiques et néfastes. Elle peut s'étalonner aussi bien sur l'intérêt égoïste ou unilatéral, que sur un 36 LA RÉCIPROCITÉ concept mutuellement admis de droits et d'obligations, et s'inscrire dans un système de références où la valeur des termes de l'échange est comparable, ou ne l'est pas. La distinction entre réciprocité spécifique et diffuse nous permet avec Keohane de proposer un système de définitions plus précis. 3.3. Réciprocité spécifique Selon Keohane (cf. bibliographie N0 2), la réciprocité spécifique est la structure interactive dans laquelle les termes de l'échange entre partenaires donnés sont de valeur équivalente et procèdent selon une séquence définie. Adopter une stratégie de la réciprocité spécifique paraît constituer la voie la plus facile pour déclencher la dynamique de la coopération. Les partenaires travaillent en effet sur un objet concret, définissable, mesurable et l'optimisme règne généralement lorsqu'un tel processus de négociation est adopté. Les déviations, voire les défections, seront faciles à constater, à mesurer et les représailles passeront pour équitables. Une telle politique entraînera facilement le consensus du souverain dans le cas où l'exécutif lui doit des comptes, qu'il s'agisse d'un Etat démocratique ou d'une personne morale. Nous avons déjà décrit les risques que comporte un tel processus. Nous verrons plus loin l'évolution suivie au plan institutionnel par la clause conditionnelle de la nation la plus favorisée (cf. § 4.4), concept qui concrétise la réciprocité spécifique au plan pratique, notamment dans le cadre du GATT. Une stratégie de réciprocité spécifique n'implique pas nécessairement que les protago- nistes soient liés par des obligations ou des droits réciproques. Ils peuvent suivre dans ce cas le schéma du «TIT for TAT», poussés par une seule motivation égoïste ou unilatérale. C'est la raison pour laquelle la doctrine n'aborde généralement pas la problématique de l'obligation dans le cadre de la réciprocité. Il s'agit donc d'envisager avec Keohane (cf. bibliographie N° 2) une notion plus étendue de la réciprocité, celle qui implique une obligation. La réciprocité spécifique vaudra soit pour un environnement primitif où le sens général d'obligation n'a pas encore trouvé prise de définition, soit pour un environnement primaire, où la coopération doit encore être mise en œuvre ou trouver sa propre force d'auto- émulation. Une stratégie de la réciprocité spécifique peut être utile pour aider à passer au stade de la réciprocité diffuse en partant d'un stade primaire où la notion d'obligation se trouve déjà conceptualisée, mais où la structure de la relation demeure en phase dite d'anarchie. Le GATT et le FMI, dans l'idée qui a prévalu à leurs conceptions, se partageaient une tâche complémentaire, celui-ci devant garantir à celui-là la cohésion monétaire nécessaire à la pratique de la réciprocité dans le domaine commercial. Cette cohésion se traduisait notamment et essentiellement par un régime de taux de change fixes. L'instauration d'un régime de taux de change flottants a eu pour conséquence, notam- ment, de biaiser la structure de la relation basée sur la réciprocité. 37 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE 3.4. Réciprocité diffuse Keohane (cf. bibliographie N0 2) définit la réciprocité diffuse comme étant la stratégie dans laquelle les interactions se mesurent soit sur un groupe de partenaires chez lesquels structure des résultats et ombre du futur varient, soit sur un système de références communément admises comme étant coercitives. Une stratégie de la réciprocité est qualifiée de diffuse dans la mesure où la réaction porte sur des domaines étrangers ou sans lien avec ceux dans lesquels évolue l'action. La doctrine parle dans ce cas également de réciprocité sectorielle. Elle parle encore de réciprocité agressive, exprimant par là la puissance du bras de levier que peut dégager une telle stratégie. L'obligation peut consister en une manifestation du sens commun, non explicitée et a fortiori non institutionnalisée. Elle implique que personne ne cédera à la tentation de faire cavalier seul, car tous acceptent de s'atteler à une œuvre commune dans le cadre d'un consensus général. Tandis que la réciprocité spécifique tend à s'exercer dans une seule dimension, celle de la simultanéité, la réciprocité diffuse se concrétise selon le processus itératif. Dans le premier cas, action et réaction seront, sinon exécutées, du moins décidées au même moment et l'échange étant effectué réciproquement, les conditions requises pour faire naître une obligation n'existent pas. Dans le deuxième cas, l'obligation naît du fait qu'elle constitue le seul lien qui permette de relier action et réaction. Sans obligation, il n'est pas de réciprocité diffuse. En pratique, la distinction entre les deux types de réciprocité n'est pas aisée, cela d'autant plus qu'elles se trouvent souvent combinées. L'exemple même de la réciprocité simultanée est le Tokyo Round, dans le cadre duquel les décisions se réfèrent néanmoins aux rounds précédents. La réciprocité diffuse se concrétise notamment dans le GATT par la clause incondition- nelle de la nation la plus favorisée. Les tierces parties n'hésitent plus à réclamer la réciprocité pour des concessions accordées à d'autres, puisqu'elles sont automatiquement étendues à tous. En conclusion, en cas d'absence de norme efficace de référence pour définir et sanctionner l'obligation, la réciprocité diffuse expose son adepte à être exploité, et la réciprocité spécifique fournit une aide efficace contre ce genre d'abus. Il apparaît clairement, à nos yeux, que l'approche de la CE consiste, au plan juridique, en une réciprocité spécifique, telle qu'explicitée par exemple dans la Deuxième Directive de coordination bancaire, alors qu'elle se mue potentiellement en réciprocité diffuse au plan politique, de par les implications économiques qu'elle peut comporter, en fonction de l'interprétation qui lui sera conférée. D'où l'absolue nécessité, à nos yeux, d'une démarche globale comportant l'obligation de réciprocité au plan multilatéral et intersectoriel pour une dynamique de la coopération avec la CE. 38 LA RÉCIPROCITÉ 3.5. La réciprocité selon la Loi fédérale sur les banques 3.5.1. Introduction Il nous a paru utile d'esquisser la notion de réciprocité, telle qu'elle est appliquée en Suisse, dans le cadre de la LFB et de son Ordonnance d'exécution (OLFB) (cf. bibliographie Nos 73 et 74), de dégager les tendances de la pratique en l'occurrence, et de tenter de situer cette notion par rapport aux lignes de force théoriques tirées de la doctrine. Cet examen demeurera de caractère sommaire, pour la double raison que notre étude ne porte pas sur la réciprocité pratiquée par la Suisse dans le secteur bancaire, et que cette dernière peut être qualifiée avant tout de notion juridique. Or, notre étude aborde la réciprocité au plan d'une approche stratégique de caractère global, et de nature relationnelle au sens large. Il n'en reste pas moins que la réciprocité selon la LFB devait, à nos yeux, être à tout le moins abordée pour deux raisons, à savoir qu'elle conditionne au moins partiellement, et par définition, la réciprocité que peuvent nous accorder nos partenaires européens, et que de par sa longue pratique, elle pourrait servir de cas d'école ou de système de référence dans une certaine mesure. Afin de situer le débat davantage au niveau de l'esprit de la loi qu'à celui de la technique juridique, nous proposons, avec Nikolaus B. Senn (cf. bibliographie N° 15) et Daniel Bodmer I Beat Kleiner I Benno Lutz (cf. bibliographie N0 16), sans oublier Hans Peter Dietzi (cf. bibliographie N° 17), de concentrer notre esquisse sur l'évolution suivie par ce concept de réciprocité jusqu'à ce jour, pour lui donner une définition qui permette de la situer dans le cadre de la présente étude. 3.5.2. La LFB du 8 novembre 1934. Evolution de la réciprocité Le but premier de la LFB consiste dans la protection des créanciers. C'est ainsi que l'autorisation d'exercer n'était accordée à l'origine que dans la mesure où les exigences prudentielles élémentaires étaient satisfaites, et que la réciprocité passait alors au second plan. En raison de leur faible implantation en Suisse à l'époque, l'assujettissement des banques étrangères à la loi ne donna lieu pratiquement à aucun débat, et c'est ainsi qu'elle s'applique aux sièges, succursales, agences et bureaux de représentation sous contrôle de banques étrangères, aux banques suisses en mains étrangères, de la même manière qu'aux banques suisses. Ces établissements sont donc considérés comme des établissements de droit suisse. On peut parler de traitement national et de non-discrimination. C'était l'opinion du CF que de viser, à propos des banques étrangères, la protection des créanciers. Le Conseil des Etats, suivi par le Conseil national, imposa une condition supplémentaire pour l'octroi de l'autorisation d'exercer des banques étrangères, à savoir que l'Etat originaire assurât la réciprocité. En droit, cette condition énoncée de façon explicite faisait partie d'un ensemble de conditions non explicites que le Conseil fédéral avait à l'origine compétence, sur préavis de 39 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE la CFB, de décider comme étant remplies en l'occurrence. Il s'agissait de donner à l'instance politique la marge de manœuvre nécessaire pour juger au plan pratique, et cas par cas, de l'opportunité d'autoriser une banque étrangère à exercer. En fait, l'autorisation, dès l'origine, fut obligatoire, dans la mesure où la condition de réciprocité était jugée comme étant satisfaite. Entre autres conditions, il avait été évoqué les conventions de double imposition, ainsi que la protection des créanciers notamment. Mais la philosophie de base consistait dans l'aide à l'expansion, qu'il incombait au Conseil fédéral d'apporter aux banques suisses à l'étranger. Ainsi, dès l'origine, le but de la LFB, en ce qui concerne les banques étrangères, était ambigu puisqu'il consistait à la fois à assurer la protection des créanciers (prescription de police) et l'expansion des banques suisses à l'étranger (objectif de politique économi- que), et que seule l'autorité politique était compétente dans un domaine somme toute technique. Or, la notion de réciprocité contenue dans la Deuxième Directive de coordination bancaire est de nature politique, puisqu'elle vise à assurer un traitement au moins égal aux banques communautaires dans les pays tiers. Elle est également politique dans la mesure où il relève de la compétence de la Commission, organe exécutif de la Communauté, de décider de son application ou de son utilisation en tant que moyen de négociation. Elle est politique enfin, à nos yeux, car elle est destinée à protéger, à mettre «en couveuse» l'intégration financière et la réalisation du Marché financier unique. Bien entendu, le contenu de la réciprocité s'étend également aux normes prudentielles, mais celles-ci font l'objet de directives spécifiques. Bien que plus ambiguë, notre philosophie de départ nous paraît proche de la philosophie communautaire actuelle par son caractère politique. Elle s'exprime résolument en faveur d'une aide à l'expansion, soit met en jeu une réciprocité positive. En revanche la réciprocité communautaire peut s'interpréter de façon restrictive au moins provisoirement, dans la mesure où il s'agit de préserver le délicat processus d'intégration financier de chocs anarchiques provoqués de l'extérieur. Dans les années soixante, la position des banques étrangères en Suisse se modifia radicalement. Grâce notamment à la stabilité de ses structures politiques, aux retombées positives de sa politique monétaire, la place financière suisse put jouer un rôle prépondérant même pendant des crises graves, comme celle de Suez. L'absence de limitation au trafic des paiements et de contrôle de devises, ainsi que le secret bancaire, le prestige et la pression de la concurrence expliquent entre autres la floraison des implantations étrangères en Suisse à cette époque. L'application de la loi se faisait de façon souple. Seule une autorisation formelle était nécessaire, la CFB ne vérifiant que si l'organisation interne satisfaisait aux principes généraux, et ne se préoccupant pas des spécificités du fondateur ou du dirigeant. La loi ne s'appliquait que dans le cadre de la fondation d'une nouvelle filiale d'une banque étrangère en Suisse et non pas de façon active pour l'ouverture de banques suisses à l'étranger. De plus les banques étrangères établissaient des succursales en lieu et place de filiales en Suisse, puisqu'elles remplissaient la fonction économique de filiale, tout en étant revêtues de la forme d'une société de droit suisse indépendante de la LFB, et que la clause de réciprocité 40 LA RÉCIPROCITÉ ne s'appliquait pas aux succursales. En d'autres termes, le caractère libéral de la LFB permettait à l'étranger de créer en Suisse des émanations bancaires, même si les banques suisses ne jouissaient pas de la même possibilité à l'étranger, ou au moins pas dans la même mesure, et même si les pays concernés n'offraient pas la réciprocité à la Suisse. Citons l'exemple de la Banque Russe de Commerce Extérieur, dont l'établissement sous forme d'une société anonyme de droit suisse suscita une vive controverse. Avec les candidatures hongroise et chinoise, pays qui n'offraient aucune réciprocité et la «vague d'implantation» de banques étrangères, la révision de la LFB parut urgente. C'est ainsi que l'arrêté fédéral du 24 juin 1971 (cf. bibliographie N0 75) étendit la règle de la réciprocité aux banques suisses en mains étrangères. Depuis lors, toute émanation bancaire dominée par une influence étrangère est traitée de façon identique aux termes de la condition de réciprocité pour l'octroi de l'autorisation d'exercer. Ce n'est plus la forme juridique ou la manière de créer une banque qui sert de critère, mais le fait de la dominance étrangère. D'après la loi révisée, les conditions suivantes devaient désormais être remplies: — octroi de la réciprocité ; — utilisation d'une raison sociale qui ne laisse pas accroire du caractère suisse de l'établissement; — abstention de toute publicité importune tant en Suisse qu'à l'étranger; — nomination d'un organe directeur irréprochable ; — confirmation de la BNS que l'établissement se conforme aux politiques monétaires et de crédit de la Suisse. Il y eut même une controverse quant à la nécessité de promulguer une clause générale laissant aux autorités compétentes la possibilité de conférer à cet ensemble de conditions le caractère de non-exhaustivité. Le CF utilisa dans l'arrêté une expression quelque peu édulcorée en stipulant que l'autorisation dépendait de «certaines conditions, dont notam- ment... ». En fait, le Parlement craignait les conséquences d'une interprétation négative de la réciprocité de la part de l'étranger qui, à la limite, aurait été en droit de se demander si la Suisse offrait en réalité la moindre réciprocité. La menace, aux yeux du CF, aurait pesé si lourdement sur la place financière, et notamment les mesures immédiates de rétorsion, qu'il plaida pour l'utilisation de la clause d'urgence. Le Conseil des Etats exprima tout d'abord, quant à lui, l'idée d'une application rétroactive. Le Parlement se décida néanmoins en faveur d'une application courante, estimant que la rétroactivité entrait en collision avec le principe des droits acquis. Il nous a paru intéressant de relever le souci dont ont fait preuve, à l'époque, nos autorités, pour trouver un compromis entre la nécessité de sauvegarder l'Etat de droit, l'un des éléments décisifs pour l'attrait de notre place financière, et un comportement suffisamment coopératif, bien que basé sur une réciprocité en priorité négative, pour ne pas prêter à des mesures de rétorsion, tout en évitant de déraper dans une politique de «numerus clausus». Nous risquions de tomber dans un scénario d'impasse avec échos négatifs. 41 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE La loi ainsi modifiée stipule que l'autorisation dépend entre autres des garanties de réciprocité, telles qu'elles apparaissent dans les Etats où les fondateurs étrangers ont leur domicile ou leur siège social. Comme les étrangers ne jouissent pas en Suisse de la liberté constitutionnelle du commerce et de l'industrie, cette mesure, restrictive dans son essence, est considérée comme légale. Il fallait néanmoins que, pour être appliqué, le droit à la réciprocité fût explicité, car il s'agit d'un principe pour lequel il n'existe aucune base légale reconnue (cf. bibliographie N" 15, p. 26 foot note N0 39). Le fait même de conditionner l'autorisation d'exercer à la garantie de la réciprocité implique théoriquement un traitement discriminatoire vis-à-vis de l'étranger en général, soit une dérogation au principe du traitement national. Désormais, les banques suisses doivent jouir de la possibilité effective de faire jouer la clause de réciprocité,.dans le pays concerné, et d'y mettre en œuvre une activité significa- tive. Une déclaration formelle et générale de l'Etat partenaire ne suffit pas. Il suffit par contre qu'une banque suisse, même si elle ne l'exerce pas, ait la possibilité politique, légale et économique de s'établir dans le pays concerné. En fait, il existe des pays où la notion de banque universelle telle que pratiquée en Suisse n'est pas mise en pratique. C'est ainsi qu'aux USA et au Japon, par exemple, les banques n'ont pas le droit d'être actives à la fois sur le marché des papiers-valeurs et sur celui des crédits. C'est pourquoi il a été renoncé à la formulation explicite d'une «pleine» réciprocité car «nous ne pouvons pas exiger de l'Etat partenaire qu'il octroie les mêmes possibilités d'activités qu'en Suisse» (cf. bibliographie N0 15, p. 22). La Deuxième Directive va plus loin, puisqu'elle parle d'équivalence par rapport aux normes communautaires. Le jugement devant être porté au plan objectif, il fut décidé d'en confier la compétence à la CFB, organe politiquement indépendant ou en tout cas moins soumis aux contraintes et à la pression politiques que le CF. La CFB paraissait d'ailleurs, de par sa fonction, devoir être mieux informée sur la pratique que le CF. Le CF, dans le cadre de l'arrêté, ne resta compétent que pour les autorisations destinées à des succursales non-indépendantes (cf. bibliographie N0 15, p. 23). Il s'agissait vraisemblablement de conserver l'esprit de l'ancienne LFB, qu'un arrêté seul ne devait pas modifier. Il fut en outre décidé que les autorisations déjà en vigueur ne feraient pas l'objet d'un réexamen, même si la réciprocité n'était pas garantie. Dans la pratique, la «vague d'implantations» étrangères stoppa, même si l'application paru parfois excessivement large. C'est ainsi, par exemple, que la First National Bank of Chicago se vit autoriser une filiale, bien que l'Etat de l'Illinois n'accordât aucune réciprocité. Enfin, par le biais du TF fut introduite la notion de fondateur effectif, qui pourrait à nos yeux correspondre à la notion anglo-saxonne du «beneficial owner» final, dans le but d'éviter que la loi soit contournée par le jeu des sociétés-écrans, des prête-noms, des intermédiaires agissant en leur nom, mais pour le compte de tiers. Ainsi la clause de réciprocité perdit de son ambiguïté dans le sens qu'elle devenait l'affaire d'une entité spécialisée, en principe indépendante de l'autorité politique, et que la définition de son contenu reposait intégralement sur une norme légale. Elle limita même son 42 LA RÉCIPROCITÉ application à la protection des créanciers et à l'assurance formelle d'une possibilité d'activité à l'étranger, jusqu'à ce que les banques japonaises et les sociétés financières japonaises parabancaires eussent connu en Suisse un développement nettement déséquilibré par rapport aux réelles possibilités d'implantations suisses au Japon. 3.5.3. Définitions et formes de la réciprocité bancaire selon la doctrine «La réciprocité, en tant que principe juridique trouve sa signification la plus marquante dans le cadre du droit des peuples et des étrangers. D'après la terminologie du droit public international, on parle de réciprocité quand un Etat s'engage envers un autre Etat à faire profiter ce dernier ou ses ressortissants des mêmes avantages ou des mêmes traitements qu'il prodigue lui-même à ses ressortissants ou qu'il s'engage à prodiguer à l'avenir. » (cf. bibliographie N0 16, p. 31) La réciprocité formelle est le fait de traiter de façon identique les ressortissants et les non- ressortissants d'un Etat, sous la réserve que les ressortissants de cet Etat bénéficient de ce même traitement dans le pays étranger concerné. La nature de cette réciprocité est dite juridique dans la mesure où elle se réfère à un cadre normatif. Son principe ne s'étend pas à l'obligation de faire bénéficier les non-ressortissants des mêmes conditions dont ils peuvent se prévaloir dans leur pays d'origine. La réciprocité matérielle est le fait d'accorder aux non-ressortissants rigoureusement les mêmes conditions que leur Etat d'origine accorde aux non-ressortissants chez lui. La nature de cette réciprocité est dite matérielle, dans la mesure où elle porte sur l'exacte et objective similarité des conditions d'établissement et d'activité. On parle de réciprocité-OT/roiV quand elle est appliquée de façon stricte à un ensemble bien défini d'objets. La réciprocité unilatérale est le fait d'étendre, de sa propre initiative, les conditions internes aux non-ressortissants, de la même façon qu'aux ressortissants. 3.5.4. La réciprocité dans la LFB et l'OLFB. Esquisse La réciprocité peut soit signifier l'absence de discrimination, soit que les banques suisses sont soumises aux mêmes conditions juridiques que les domestiques (réciprocité formelle), soit que les conditions d'établissement et d'activité développent un contenu rigoureusement symétrique au plan pratique (réciprocité matérielle, souvent également appelée réciprocité- miroir). Dans l'esprit, c'est la réciprocité matérielle qui doit être satisfaite, bien que de façon relativement souple. Il s'agit pour la banque suisse d'obtenir l'application effective de l'engagement de réciprocité, et c'est l'ensemble du droit et de l'ordre économique, de même que la pratique administrative, notamment, qui doivent être pris en compte. Bien entendu, vu l'état hétérogène des structures bancaires à travers le monde, le principe de la réciprocité- miroir ne peut être considéré comme réaliste. Ainsi la clause de réciprocité, dans son état actuel, suit un double objectif à la fois restrictif et expansif. 43 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Restrictif parce que notre pays est de taille modeste et de ressources limitées. La disproportion entre le poids des banques étrangères en Suisse et des banques suisses à l'étranger au plan de l'expansion potentielle, en application du principe de la réciprocité, constitue un risque immédiat de déséquilibre, aggravé par la nature libérale de nos structures. Il ne s'agit donc pas de protéger les banques suisses contre la concurrence étrangère, mais d'assurer le dosage qui permettra une coexistence équilibrée. En conséquence, le critère est numérique et non pas qualitatif, si bien que la réciprocité ne fonctionne pas en tant que critère de sélection pour la protection des créanciers, la qualité des structures bancaires, le potentiel de développement économique par exemple. Nous verrons (cf. § 7) que les notions de réciprocité communautaires font appel au contraire largement à ces critères qualitatifs, comme les règles prudentielles, la position de dominance de marché par exemple. Expansif, le but l'est dans la mesure où la réciprocité, clairement, doit être utilisée comme arme dans la négociation pour l'expansion de notre réseau bancaire à l'étranger. C'est bien la preuve que le législateur a considéré en l'occurrence l'obligation de réciprocité comme moyen pour dynamiser la coopération. Or, s'il appartient à la CFB de statuer sur l'existence de la réciprocité avant de délivrer l'autorisation d'exercer, c'est au CF qu'il revient de négocier, voire de s'informer et d'informer la CFB. Nous pouvons, dans le contexte de la dynamique de l'intégration européenne, difficile- ment nous empêcher de penser qu'il se trouve dans l'énoncé de ces deux règles, à savoir la réciprocité, moyen d'expansion reposant sur des intérêts matériels et généraux, et l'utilisa- tion de ce moyen par l'autorité politique, la base politico-légale d'un mandat pour la négociation de la réciprocité avec la Commission européenne et les Douze par le CF, sur préavis et en étroite coordination avec la CFB. Ainsi la LFB et l'OLFB pourraient peut-être servir de point d'ancrage pour une coordination basée sur l'obligation de réciprocité, dans le cadre d'une approche négociée de la Suisse vers la CE, dans le domaine bancaire. Resterait à déterminer dans quelle mesure un tel segment de réciprocité présente suffisamment le caractère d'atout majeur pour servir de bras de levier, parmi d'autres segments tels les transports par exemple, pour l'instauration d'une réciprocité diffuse qui hisserait notre pays à pied d'égalité dans l'axe fort-faible d'une négociation avec la CE. Admettons un instant que tel soit le cas, et que le domaine bancaire constitue précisément l'un des segments de la coopération par le biais desquels la coordination nécessaire au maintien et au développement d'une structure de coopération devienne possible. Deux options politiques s'ouvrent aux banques suisses dans cette perspective: — se fonder sur l'acquis en partant de l'idée que le contenu de la réciprocité selon la LFB et la pratique confèrent une force suffisante à l'obligation de réciprocité, pour bénéficier automati- quement du dynamisme de l'intégration financière européenne sans risques de confrontation ; — renforcer la structure de la relation en affichant résolument un comportement coopératif tout en gardant l'avantage de l'initiative, de façon à induire, par le biais de l'obligation de réciprocité, une réaction du type «TIT for TAT» en leur faveur. 44 LA RÉCIPROCITÉ La première attitude nous paraît grevée d'une double hypothèque, à savoir: — incertitude quant au degré de compatibilité de deux contenus différents de la réciprocité ; — incertitude quant au degré de comparabilité des deux forces en présence sur l'axe fort- faible. Nous aborderons plus loin l'analyse du degré de compatibilité entre la Suisse et la CE dans le domaine bancaire, et les contraintes en matière de qualité et de compétitivité dans ce même domaine dans la partie pratique de la présente étude (cf. § 6). Qu'il nous suffise de souligner ici que deux des conditions, qui nous paraissent nécessaires au maintien et au développement de notre position en l'occurrence, se trouvent compromises au moins provisoirement, soit la stabilité du franc suisse et son coût bon marché. La seconde attitude nous paraît préférable, pour les deux raisons suivantes: — Un message coopératif clair est adressé non seulement à nos partenaires, mais également au peuple suisse et à la clientèle bancaire. Les banques auraient, à nos yeux, tout à gagner à une politique de l'information marquée par davantage de transparence. Nous nous référons, en ce qui concerne la structure de la relation avec la CE à la théorie des jeux et, en ce qui concerne le peuple suisse et la clientèle, à la politique d'information suivie dans le cadre de l'initiative socialiste contre les banques, laquelle fut refusée par les 73% du peuple et la totalité des cantons le 20 mai 1984 («Journal de Genève» du 21 mai 1984). — Nous balayons devant notre porte avant de prétendre franchir le seuil du voisin. D'abord nous supprimons le droit de timbre qui provoque une hémorragie de fonds, et par conséquent de transactions et de revenus fiscaux, soit politiquement par une approche lobbyiste au niveau parlementaire confiée à des professionnels par l'ensemble de la place financière suisse, soit de facto par la mise en place des dérivatifs que nous commandent les lois du marché, l'un n'excluant d'ailleurs pas l'autre. Ensuite nous prenons acte courageusement de notre dépendance monétaire vis-à-vis de l'Allemagne, nous mandatons des professionnels pour une analyse de situation et débou- chons vraisemblablement sur l'option d'une adhésion au SME. Les interventions politiques, sous la forme d'interpellations ou de postulats ne suffisent plus. Il faut faire intervenir des professionnels de la pratique et informer le souverain suisse et la clientèle, puis donner à nos autorités l'éclairage de cette même pratique, afin que les autorités compétentes affichent le comportement coopératif qui s'impose (cf. § 8). Nous venons d'envisager une approche bilatérale de la dynamique de la coopération portant sur la coordination dans le secteur bancaire. Qu'en sera-t-il dans l'hypothèse d'une approche multilatérale par exemple, dans le cadre de l'AELE et dans ce même segment de la coopération du domaine bancaire? Comme nous l'avons vu dans l'examen de la théorie des jeux, une telle approche peut en principe se concevoir de la même façon qu'une approche bilatérale, à la différence près de l'instauration d'un cadre juridictionnel pour la sanction. Encore faut-il que l'AELE en l'occurrence se hisse à pied d'égalité sur l'axe faible-fort dans le domaine concerné et réalise une compatibilité interne au niveau du contenu de la réciprocité, suffisante pour permettre la coordination des comportements, tant au plan des dispositifs normatifs qu'à celui des activités bancaires. 45 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Soulignons en passant qu'a priori, dans une approche sectorielle multilatérale de ce type, la Suisse perdrait deux atouts, celui du contenu large de sa réciprocité et celui de sa pénétration européenne, dans le domaine bancaire. L'approche multilatérale entraînera en effet un nivellement par le bas et la Suisse, de par l'importance relative de sa place financière, sera, des Six, le pays le plus touché. Relevons ensuite que la norme communautaire supprime l'exigence de la réciprocité dans le cadre des Douze, tandis qu'elle l'institutionnalise à l'endroit des pays tiers. Pour les pays tiers, cette règle nouvelle revient à établir treize niveaux de confrontation possibles, puisque la Commission européenne ainsi que chacun des Etats membres pris individuellement nous paraissent compétents en matière de réciprocité bancaire. Pour que l'AELE se hisse à un niveau qualitatif comparable en l'occurrence avec celui de la CE et qu'une coordination puisse s'instaurer dans le domaine bancaire sur pied d'égalité, il faudrait à nos yeux qu'une méthodologie similaire soit préalablement appliquée au sein de l'AELE, à savoir: — harmonisation des règles prudentielles jugées essentielles ; — reconnaissance mutuelle pour les autres règles et procédure d'agrément unique (principe de l'équivalence); — surveillance par le pays d'origine. Il est évident qu'à l'heure actuelle l'articulation AELE-CE du segment bancaire, dans le cadre d'une négociation portant sur la création d'un Espace économique européen, se situe à un niveau tel dans la structure de la relation que nous devons désormais davantage nous adapter, que nous pouvons coordonner: c'est là la différence entre la coopération et l'intégration, évolution à laquelle nous sommes déjà confrontés, notamment dans le cadre de la politique monétaire. 3.5.5. Evolution récente et conclusion Voyons avec Nikolaus B. Senn (cf. bibliographie N0 15) la tendance que paraît suivre la notion de réciprocité, dans le cadre du projet de révision totale de la LFB, projet en cours depuis 1975. Dans l'idée d'un nouvel ordre juridique libéral, il a été proposé dans une première mouture, en 1982, que la réciprocité devait répondre aux critères du traitement national, si possible, et à celui de la non-discrimination, au moins. Il s'agirait donc d'une tendance à la réciprocité formelle qui refléterait une volonté de libéralisation par rapport à la situation actuelle, plutôt marquée par l'application d'une réciprocité matérielle. Nous sommes d'avis, pour notre part, que le projet de révision devrait être repris à la lumière des directives communautaires, et notamment la notion de réciprocité, et que cette décision devrait faire l'objet d'une information officielle à la Commission, éventuellement par le biais de l'Association européenne des banquiers et du Bureau de l'intégration européenne, ainsi qu'à la clientèle internationale. 46 LA RÉCIPROCITÉ Sans qu'un engagement quelconque d'harmonisation ne soit pris à ce stade, une telle décision reviendrait à reconquérir l'initiative, et contribuerait à nous hisser à pied d'égalité sur l'axe faible-fort de la structure de la relation, par l'utilisation d'un segment de la coopération dans lequel nous nous trouvons très vraisemblablement en position de force. Pourquoi ne pas essayer de nous démarquer objectivement de la démarche multilatérale AELE-CEE, et nous ménager l'utilisation du bras de levier de réciprocité diffuse, ou inter- sectorielle? Pourquoi ne pas coordonner cette démarche avec celle dont l'objet porte sur les transports, tout en trouvant une voie commune avec l'Autriche? Il n'est pas inutile de mentionner, avec la BNS, qu'au troisième trimestre 1989, les avoirs nets des banques suisses à l'étranger ascendaient à 136,6 milliards de francs (cf. bibliogra- phie N0 76, p. 6), et qu'à fin 1987, la position extérieure nette des avoirs et des engagements extérieurs de la Suisse s'élevait à 214 milliards de francs, mettant ce pays en troisième position, en valeur absolue, après la Grande-Bretagne (301 milliards de francs), et le Japon (290 milliards de francs) (cf. bibliographie N0 77, p. 347). Nous pourrions annoncer que nous allons examiner l'opportunité d'une réactualisation globale de la LFB, dans le but de ménager une synergie optimale avec le processus d'intégra- tion financière dans la CE, y compris le secret bancaire, à l'exclusion des relations privées. Ce comportement serait, à nos yeux, mieux accepté des marchés étrangers et suisses que l'attitude frileuse du hérisson, qui contribue à jeter l'incertitude quant à l'avenir de la place financière suisse. Pourquoi ne pas faire en outre du Luxembourg notre allié privilégié dans cette démarche? Nous ne saurions être complets dans cette analyse de l'évolution récente sans mentionner la modification intervenue au 1er janvier 1990, et dont l'objet porte sur l'extension de l'OLFB à «certaines sociétés financières» et notamment aux «parabanques». Nous nous référons aux articles publiés dans le «Journal de Genève» des 24, 26 et 27 août 1989, ainsi que dans l'«AGEFI» du 24 du même mois. Les deux types de sociétés financières visées comprennent celles qui «effectuent à grande échelle certains types d'opérations financières, notamment les émissions de titres, et les entreprises qui se financent de manière importante auprès de banques, de sociétés finan- cières, d'assurances ou de sociétés financières répondant à l'un des deux critères suivants: a) sociétés qui se refinancent de manière importante auprès de plusieurs banques ne participant pas dé façon notable à leur capital dans le but de financer pour leur compte des personnes ou des entreprises avec lesquelles elles ne forment pas d'entité économique; b) sociétés qui prennent ferme ou à la commission des papiers-valeurs ou des droits-valeurs en les offrant publiquement sur le marché primaire». Les trois raisons invoquées pour cette démarche en révision tiennent dans la titrisation (ou «sécuritisation», soit le déplacement important des activités bilancielles en activités hors bilan), le fait de l'imbrication naissante entre les activités de crédit et le marché des capitaux, ainsi et peut-être surtout le fait que la «condition de réciprocité pouvait être facilement contournée». Il a en outre été annoncé par la CFB que les sociétés existantes en mains étrangères ne bénéficieraient pas des droits acquis. Ainsi il y a, à nos yeux, rétroactivité dans l'application du principe de réciprocité qui se traduit par la politique économique d'ouverture à l'étranger. 47 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE De 1971 à 1988, le nombre des sociétés assimilées à des banques avait pratiquement doublé, passant de 63 à 130, parmi lesquelles seules quatre faisaient appel public au dépôt de fonds. D'après l'estimation de la BNS, ce ne sont pas moins de 1600 sociétés financières au sens large qui existent. Le nombre des sociétés assimilées aux banques qui se trouvent en mains étrangères avait passé dans la même période de 23 à 90. Ainsi certaines sociétés financières pouvaient déployer des activités à caractère de différentiel d'intérêts ou de type indifférent, sans avoir le caractère de banque. Les instituts étrangers, et tout particulièrement les instituts bancaires étrangers, ont joui ainsi de la possibilité d'être actifs en Suisse sans y constituer de société affiliée, ou de succursale, bref de pratiquer l'ensemble des opérations bancaires sans que la clause de la réciprocité ne s'applique. Ce sont surtout les banques japonaises qui ont utilisé ce que nous voulons qualifier d'ancienne lacune interne dans la politique d'expansion pour la Suisse bancaire à l'étranger. A cela s'ajoutait le fait que les banques étrangères choisissaient la forme d'une société financière assimilée à une banque par le biais d'une banque ou d'une succursale, de façon à occuper des segments d'activités principales qui leur étaient interdits dans leur pays d'origine, par exemple les émissions et le commerce de papiers-valeurs pour les banques japonaises. Tel pourrait également être le cas pour les banques américaines. En conséquence les banques suisses, qui répondent à une structure de type dit universel, étaient doublement touchées, à la fois au plan domestique et à celui de leur expansion à l'étranger. Cette nouvelle application de la réciprocité présente, à nos yeux, notamment l'avantage d'éclaircir un statut qui aurait pu prêter à confusion dans la structure de la relation avec la CE. En effet, dans le cadre d'un éventuel Espace économique européen, les banques japonaises, comme les américaines notamment, auraient pu utiliser la place financière suisse comme tête de pont sur la CE, sans avoir à satisfaire aux critères de réciprocité communau- taires. 48 4. L'évolution du GATT 4.1. Introduction A l'origine, soit en 1948, le GATT était conçu comme un instrument de négociation multilatérale destiné à permettre la suppression des tarifs douaniers sur les marchandises échangées entre 23 pays industrialisés. Tandis que «le GATT est au centre des efforts déployés sur le plan mondial pour favoriser le libre-échange des marchandises, ... le Fonds monétaire international est le gardien multilatéral des paiements pour les opérations courantes» (cf. bibliographie N0 79). Ainsi les processus de libération des échanges de marchandises et des flux de capitaux y afférents ont tout naturellement trouvé un cadre institutionnel complémentaire. Ce chapitre portera essentiellement sur l'évolution suivie par le concept de réciprocité, au plan mondial, à travers l'institution du GATT. Nous verrons que la réciprocité, quoique toujours sous-jacente dans l'esprit des négocia- teurs, a d'abord suivi une tendance à !'eradication, au bénéfice d'une application progressive de deux concepts complémentaires : — le traitement national (TN) ; — la clause de la nation la plus favorisée (CNF). Nous constaterons ensuite un regain de tendance à l'application de la réciprocité, notamment de la réciprocité diffuse par l'apparition du régime de taux de change flottants, et que les Accords généraux n'ont pas permis d'éviter la résurgence d'une approche institution- nalisée de la réciprocité dans le cadre de la CE depuis VActe unique. Nous remarquerons que le poids des régimes préférentiels, et des subventions étatiques déguisées, tend à placer l'institution du GATT dans un état d'équilibre instable, état aggravé par le problème de l'absence de sanction. Nous noterons que le GATT ne constitue pas a priori le cadre approprié pour une négociation portant sur la libéralisation des services et la libération des flux de capitaux. 49 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Nous conclurons en émettant des doutes sur l'efficacité, pour la Suisse, d'une démarche en libéralisation des services et en libération des flux de capitaux qui porte en priorité sur le GATT, par rapport à une même démarche qui porterait en priorité sur une approche bilatérale Suisse-CE, ou éventuellement multilatérale AELE-CE dans le cadre d'un Espace économi- que européen. Afin de bien définir notre point de départ dans l'analyse de l'évolution suivie par le GATT, nous proposons de passer rapidement en revue, avec Thiébaut Flory (cf. bibliogra- phie N0 18), l'inventaire des grandes normes qui régissent le GATT sous l'angle du droit international. 4.2. Le principe de non-discrimination Le principe fondamental, sur lequel repose le processus des négociations institutionnali- sées dans le cadre du GATT, consiste dans l'application normalisée d'un comportement égalitaire, que les signataires d'un accord donné s'engagent à respecter. Il s'agit du principe dit de «non-discrimination». Dans la dynamique de la coopération, ce processus apparaît d'abord comme un refus du protectionnisme; c'est l'aspect dit négatif du principe. Il consiste ensuite en une volonté de promouvoir l'expansion des échanges internatio- naux; c'est l'aspect dit positif du principe. 4.3. Une application de la réciprocité Le principe de non-discrimination consiste en l'occurrence en une application de la stratégie de la réciprocité, en tant qu'amorce de la coopération. Comme l'énonce Arthur Dunkel, l'actuel directeur général du GATT, les Accords généraux reposent sur le principe de !'«équivalence des concessions» (cf. bibliographie N° 19). La réciprocité est donc le comportement choisi en l'occurrence par des partenaires commerciaux, comme méthode ou stratégie devant leur permettre d'instaurer une phase de coopération, par opposition à la phase dite d'anarchie, selon la sémantique que nous avons jusqu'ici appliquée, phase qui a caractérisé les échanges mondiaux dans l'immédiat après- guerre. Nous référant à la doctrine (cf. bibliographie N018 ainsi que § 3.3), nous qualifierons la réciprocité normalisée, dans le cadre du processus des négociations institutionnalisées par le GATT, de réciprocité spécifique et inconditionnelle. Ainsi la réciprocité apparaît-elle comme sous-jacente aux Accords généraux dès l'origine par le biais du principe de la non-discrimination, et sous la forme de la réciprocité spécifique et inconditionnelle. 50 L'ÉVOLUTION DU GATT 4.4. La clause de la nation Ia plus favorisée (NPF) L'application du principe de la non-discrimination en matière commerciale implique celle de la NPF. La NPF trouve son extension institutionnelle dans la réalité du GATT. Elle est énoncée aux articles I et II des Accords généraux. Cette clause, dans son acception générale, signifie «une stipulation conventionnelle par laquelle les deux parties contractantes A et B conviennent que si, ultérieurement, l'une d'elles conclut avec un Etat tiers C un traité de commerce accordant à C des avantages particuliers, ces avantages seront accordés ipso facto au contractant initial» (cf. bibliogra- phie N0 18, p. 3). L'idée consiste à hisser la réciprocité du niveau bilatéral au niveau multilatéral. Cette clause, apparue dans les traités dès le XVIIe siècle, était d'abord appliquée de façon inconditionnelle. En d'autres termes tout pays tiers, partie à la NPF inconditionnelle, était en droit de recevoir automatiquement le même traitement que celui institutionnalisé entre deux parties, même si l'une des deux n'avait pas signé ladite clause. L'inconvénient consiste dans le fait que les avantages ainsi accordés peuvent être largement étendus, sans faire l'objet de négociations amenant une quelconque concession. Un autre danger consiste dans le fait qu'une mesure protectionniste, ou de représailles, qu'une partie inflige à une autre, peut être étendue par cette dernière à l'ensemble de ses partenaires. Une solution bien entendu est envisageable : porter les négociations au niveau multilaté- ral. C'est précisément ce que les derniers rounds du GATT ont institutionnalisé. En 1945, les USA, conscients de cette problématique, se sont profilés en quelque sorte comme fédérateurs mondiaux, et ont proposé le GATT en tant qu'expression politico- économique d'une puissance dominatrice. Cette méthode, pour s'être révélée très efficace au départ, puisque, à la limite, les USA se retrouvaient à négocier avec eux-mêmes, aboutit aujourd'hui au point que rien ne paraît plus être réellement négociable au GATT, puisqu'il n'existe plus de fédérateur mais une fragmentation de cette puissance en trois pôles différents et en une multitude d'entités dont l'économie ne justifie pas toujours de la qualité d'entité. Selon Jacob Viner (cf. bibliographie N0 20), les USA ont mis en pratique, dès la fin du XVIIIe siècle, la version conditionnelle de la NPF. L'avantage réside dans le fait qu'un privilège accordé à une partie ne l'est pas sans concession à un tiers. D'un autre côté, ce type de clause institutionnalise le droit, dont une partie se prévaut, de n'étendre une concession ou un comportement de libéralisation que dans la mesure où elle le juge utile pour elle-même. Dans le cas d'une partie dominante, elle peut par là renforcer le comportement de dépendance des tiers. Les deux types de NPF, la conditionnelle et l'inconditionnelle, sont incompatibles. C'est ainsi que les USA, pratiquant la clause conditionnelle, par le nombre de leurs relations et leur enchevêtrement, ont reçu de facto le traitement de la clause inconditionnelle de la part de leurs partenaires, qui le pratiquaient tous, et ce sans qu'ils aient à offrir de quelconques compensations. 51 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Comme le relève Viner (cf. bibliographie N0 20, p. 104): «L'existence d'une seule clause inconditionnelle transforme tous les autres engagements, quelles que soient leurs formes, en clauses inconditionnelles. » La NPF inconditionnelle, qui s'applique dans le cadre du GATT, se traduit en fait par une tendance à l'uniformité dans les tarifs, ce qui doit être considéré comme un obstacle au libre-échange. En effet, l'uniformité ne peut que reposer sur une base artificielle qui ne tient pas compte des idiosyncrasies. Les partenaires ne sont pratiquement jamais égaux en termes d'échanges, en bases de références, en développement technologique à l'instant où entre en vigueur la mesure de non-discrimination. Cette dernière a pour effet dès lors de cristalliser les différences et de créer un protectionnisme institutionna- lisé, sous couvert de libre-échangisme. De plus, la NPF, en matière commerciale, exige seulement d'une nation qu'elle applique l'égalité de traitement à l'ensemble des biens étrangers, tout en se réservant de faire prévaloir, pour les biens de sa production propre, un traitement privilégié. Le contenu de la clause est suffisamment large pour s'étendre des droits de douane à l'ensemble des «avantages, faveurs, privilèges et immunités» de toutes sortes, qu'il s'agisse des importations ou des exportations. Elle stipule explicitement que les parties appliquent à toute contrepartie de façon généralisée, immédiate, simultanée et inconditionnelle, tout avantage négocié avec un tiers. Dans l'esprit, le GATT et tout particulièrement la NPF reposent également sur le principe de la confiance mutuelle ou du «fair trade». Précisons encore que les dispositions de l'article I s'appliquent également aux transferts de fonds, mais sous réserve qu'ils soient liés à des échanges de marchandises. Pour donner à la clause une portée pratique, la liste des concessions a été dressée sous forme d'annexé, partie intégrante au traité. Notons au passage que, dans la mesure où les accords comportent des modifications de normes internes aux Etats et où les instances du GATT ont un droit de procéder à des contrôles de bonne exécution et d'énoncer des recommandations, les accords entraînent une limitation de la souveraineté des Etats membres, dont la Suisse. En effet, la procédure de négociation énoncée à l'article XXV requiert la majorité des deux tiers des votes émis, à condition qu'elle comprenne la moitié au moins des parties contractantes, et implique des décisions au caractère exécutoire dans tous les Etats parties à la négociation. 4.5. Les exceptions régionales Alors que la CECA a bénéficié d'une dérogation, les unions douanières et les zones de libre-échange constituent une exception aux Accords généraux, légalisée à l'article XXIV. Par union douanière le GATT entend «la substitution d'un seul territoire douanier à deux ou plusieurs territoires douaniers, lorsque cette substitution a pour conséquence: a) que les droits de douane et les autres réglementations commerciales restrictives sont éliminés pour l'essentiel des échanges commerciaux entre les territoires constitutifs de l'union, ou tout au moins pour l'essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires de ces territoires ; 52 L'ÉVOLUTION DU GATT b) et que les droits de douane et les autres réglementations, appliqués par chacun des membres de l'union au commerce avec les territoires qui ne sont pas compris dans celle- ci, sont identiques en substance». Cette définition de l'union douanière comporte un double aspect interne et externe. Au plan interne, l'union douanière doit porter sur l'ensemble des échanges commerciaux, ce qui a pour effet de rendre illicites les unions partielles portant sur un nombre limité de produits ou relatives à un nombre restreint de secteurs économiques. Au plan externe, l'union implique que soit institué un régime commun de tarification à l'endroit des pays tiers. A la différence de l'union douanière, la zone de libre-échange ne présente que l'aspect interne ci-dessus décrit. S'il va de soi qu'une telle zone aura des conséquences économiques et commerciales sur des pays tiers, elle ne comporte pas juridiquement de réalité propre au double plan commercial et douanier. Relevons que la création d'une zone de libre-échange a généré l'institution d'une exception au sein du GATT: l'agriculture. Les USA, dans le but de mieux contrôler la CE, ont fait en l'occurrence preuve d'attentisme. Il n'en reste pas moins que les pays à la fois tiers à la zone de libre-échange et partenaires du GATT n'auraient, au plan formel, pas dû tolérer une telle exception. On se souviendra de la conclusion que Pescator, juge à la CJE, a tirée de cet état de choses, à savoir que dans l'hypothèse où la Suisse viendrait à négocier dans le secteur de l'agriculture, si les USA donnaient leur accord, il s'ensuivrait nécessairement que tous les autres signataires du GATT devraient à leur tour se déclarer d'accord. Il faut noter qu'à cette époque la CE ne s'inscrivait en l'occurrence pas comme exportatrice, et que les USA partaient de l'idée que l'AELE pouvait importer leurs produits agricoles à eux. Les deux types d'intégration régionale que sont les créations d'unions douanières et de zones de libre-échange sont autorisées, à la condition qu'elles n'aient pas pour effet de créer une diversion des flux commerciaux au détriment des pays tiers, mais au contraire qu'ils les renforcent (notions de «trade creation» et de «trade diverting»). C'est en l'occurrence l'une des applications du principe fondamental de non-discrimina- tion sous forme de consolidation des concessions tarifaires. Dans le cadre d'une union douanière cette obligation, par nation, s'applique à l'union en tant que telle, soit vise à la fois le tarif extérieur commun et la réglementation commerciale interne, alors qu'elle ne vise que les territoires constitutifs de la zone de libre-échange. Aux termes de l'article XXIV, toute partie contractante a l'obligation de notifier ses intentions quand elle veut adhérer à ce type d'accord, en fournissant toute information utile. La création d'un nouvel accord est soumis obligatoirement au GATT, dont le droit consiste à demander toute information qu'il jugerait nécessaire, et qui a pour devoir de mettre le projet en consultation auprès de ses membres, lesquels prendront une décision à la majorité simple. Cette instance est ainsi le seul organisme international qui ait compétence pour contrôler l'établissement d'unions douanières et de zones de libre-échange. 53 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Cas échéant, le GATT émettra des recommandations aux candidats à de tels accords régionaux, lesquelles ont valeur exécutoire. Les candidats auront dès lors le choix entre l'abandon ou la modification de leur projet, s'ils ne veulent pas subir des mesures de rétorsion dûment légalisées. 4.6. La clause du traitement national (TN) La TN constitue l'indispensable complément de la NPF, pour étendre l'application de la réciprocité au comportement d'un Etat, lorsque ce comportement est le plus favorable. Il ne suffît pas en effet d'aligner de façon linéaire et généralisée les concessions accordées sur une base bilatérale. Pour éviter une stratégie basée sur un intérêt purement unilatéral ou égoïste, que l'application de la NPF ne peut que renforcer, il faut encore qu'une nation accorde au moins les mêmes avantages aux marchandises importées qu'à celles qu'elle produit elle-même. Tel est le principe de la TN énoncé à l'article III des Accords généraux. La doctrine du traitement national devrait permettre d'éviter que l'application de la NPF se traduise par un protectionnisme institutionnalisé. Néanmoins, elle implique qu'une partie soit disposée à perdre de sa souveraineté, dans la mesure où le comportement de sa contrepartie modifie son propre comportement domestique. Il est évident par ailleurs que cette doctrine permet de justifier, cas échéant, une stratégie qui consiste à sélectionner ses points forts, et à les imposer à ses contreparties, sans qu'il s'ensuive nécessairement un avantage globalement équivalent. C'est ainsi que, actuellement, dans le cadre de l'Uruguay Round, les USA se réfèrent à leur propre politique de subventions agricoles, pour attaquer la politique agricole de la CEE. En fait, il ne s'agit là que d'une stratégie permettant d'utiliser le prétexte d'une non- équivalence pour gagner une équivalence sur d'autres terrains, sans pour autant perdre l'avantage qu'apporterait pour les USA la diminution de l'aide étatique aux agricultures européennes. La TN telle qu'appliquée dans le cadre du GATT tire son essence d'un accord général de nature commerciale. Dans le secteur bancaire, une telle clause a pour objet le contenu des conditions d'établissement d'une banque en pays étranger. Or, cet établissement peut devenir un élément dominant dans la constellation des facteurs économiques du pays d'accueil, alors même qu'il reste juridiquement dépendant de facteurs externes. Il est probable que, suite à une telle évolution, des rapports de force puissent s'instaurer entre le pays d'accueil, cette entité, et peut-être le pays d'origine. L'extension des accords du GATT au secteur des services, implique que l'article III étende son champ d'application à l'établissement d'unités bancaires, d'où le risque d'une certaine ambiguïté. Il y a en effet d'abord le phénomène de la prépondérance économique d'une entité multinationale dans un territoire donné, qu'il s'agisse d'ailleurs d'une banque, d'un com- 54 L'ÉVOLUTION DU GATT merce ou d'une industrie, qui suivra un comportement propre sans nécessairement l'axer sur les profils du GATT. Vu l'importance relative des ressources en mains des multinationales, il y a là indéniable- ment un potentiel de distorsion dans l'application des Accords généraux. Ce potentiel va se renforçant avec la vague de concentrations d'entreprises que soulève la déréglementation en général, et l'intégration européenne en particulier. Il y a ensuite le fait que le domaine bancaire est régi par des lois propres, complexes, variant d'un Etat à l'autre, et que les prestations qu'il fournit ne sauraient être soumises sans autre aux principes de déréglementation commerciale que sont la TN et la CNF. C'est la raison pour laquelle la méthode instaurée par Y Acte unique européen (cf. bibliographie N0 21), et qui consiste à harmoniser les seules règles considérées comme essentielles, et à pratiquer le contrôle par le pays d'origine pour le reste, nous paraît plus appropriée en l'occurrence. Enfin, le fait que la structure bancaire comporte, pour rôle premier, de soutenir les structures économiques, le fait qu'elle agisse également pour compte propre, ou à des fins purement financières, entraîne un double effet d'échos potentiellement négatifs en cas de crise. La libéralisation de ce domaine, et notamment la libération des flux de capitaux, ne peut que renforcer très substantiellement ce potentiel et les méthodes du GATT ne sauraient, sans autre, à nos yeux, être appliquées au domaine bancaire. 4.7. La nouvelle approche de l'Uruguay Round Il nous a paru intéressant de relever l'approche suivie par la CE dans le cadre de l'Uruguay Round, qui doit s'achever en décembre 1990, pour les deux raisons suivantes: — il s'agit d'un exemple actuel de stratégie de réciprocité diffuse; — la CE étant le premier partenaire économique de la Suisse, cette stratégie s'avère d'importance vitale pour nous. C'est à l'ouvrage édité par l'Assemblée consultative économique et sociale sous le titre «Le GATT vers de nouvelles négociations» (cf. bibliographie N0 22), que nous nous référerons pour les développements concrets, et nous nous inspirerons essentiellement du nouveau multilatéralisme explicité par Miriam Camps et William Diebolds (cf. bibliographie N0 23) pour l'éclairage doctrinal, ainsi que de Flory (cf. bibliographie N0 18). Dans sa préface, le président du Comité de l'assemblée consultative appelle à un nouveau Round de négociations, en donnant les lignes directrices qui devraient permettre de relancer le processus de libéralisation. Cette position est intéressante dans la mesure où elle consiste à clairement expliciter le fait qu'elle s'oriente par rapport au chômage, et qu'elle dénonce explicitement en priorité le protectionnisme comme étant le plus sûr garant de ce fléau social. Dans cette optique, et considérant que les mesures protectionnistes portent en dehors des flux de marchandises en principe réglementés dans le cadre du GATT, ainsi que sur des paramètres non tarifaires et par conséquent ne relevant pas non plus du GATT, le Comité 55 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE demande d'intégrer aux négociations générales le secteur des services en vue de sa libéralisation. En d'autres termes l'idée consiste à exploiter la méthode de la réciprocité diffuse, en faisant reconnaître officiellement le fait qu'une concession tarifaire a tendance à être compensée par une mesure protectionniste non tarifaire, et permettre à la négociation de s'étendre à cette dernière pour obtenir inversement de nouvelles concessions sur la première. Comme les services sont de plus en plus influencés par la haute technologie, le Comité suggère d'élaborer un «code des technologies nouvelles» qui aurait pour but de régler les problèmes tarifaires et non tarifaires en général. On peut en déduire que le prétexte de l'intégration des services à la négociation est utilisé pour faire sortir de la phase dite d'anarchie le segment de coopération dont le contenu est la haute technologie. En bref, c'est à un mouvement de réforme fondamentale du GATT que la CE fait appel par l'application de la stratégie de la réciprocité diffuse. Les négociations devraient déborder du secteur commercial exprimé en termes d'échanges de marchandises, pour s'étendre simultanément au secteur des services, de l'agriculture et des textiles. L'application d'une réciprocité automatique, simultanée et inconditionnelle s'en trouvera devenir d'une complication inusitée, et un certain scepticisme se dégage des premières concrétisations réalisées jusqu'à ce jour dans le cadre de l'Uruguay Round. On peut se demander quelle motivation profonde a généré une prise de position aussi radicale. Il est frappant à ce sujet de lire que la prééminence prise par le Japon dans les termes de l'échange économique mondial est explicitement mentionnée comme facteur déclenchant. D'une part il est rappelé que les accords, contractés au plan bilatéral par les USA avec le Japon, devraient ne pas aller à rencontre des intérêts de la CE et des USA, en tant que partenaires, notamment dans le cadre des accords commerciaux du GATT. D'autre part, le surplus structurel de la balance commerciale japonaise est cité comme référence dans une analyse critique portant sur le manque d'ouverture des marchés de ce pays, implicitement considéré comme une mesure protectionniste volontaire au moins passive (cf. bibliographie N0 23, p. 15). Le Comité parle même d'accentuer les pressions de la CE contre le Japon, pour que ce dernier contingente ses importations en échange de l'accès dont les produits japonais bénéficient sur les territoires de la CE, ce qui est contraire au GATT. Ainsi le Comité fait une différence révélatrice entre le Japon et les pays en voie de développement dans son appel à un nouveau Round. Pour les pays en voie de développement, il s'agit surtout de définir ceux d'entre eux qui bénéficient encore de ce statut, bien que leur développement ne fasse d'ores et déjà aucun doute, et que leur PNB par tête puisse être supérieur à celui d'un pays de la CE. Il s'agit également de limiter le mouvement de protectionnisme, que les clauses de préférences ont institutionnalisé et qui mine les fondements mêmes du GATT. 56 L'ÉVOLUTION DU GATT En ce qui concerne le Japon, il s'agit d'une part de rassembler l'ensemble des atouts, dont la CE peut se prévaloir en intégrant de nouveaux secteurs sensibles dans le corps du GATT, pour d'autre part faire jouer la réciprocité avec davantage de poids contre le Japon. Or, du point de vue de la CE, le Japon est un pays tiers et on peut légitimement craindre qu'il ne soit pas considéré comme politique, ni comme pratique, voire même simplement comme opportun de différencier dans cette approche entre les divers pays tiers que constituent notamment le Japon et la Suisse. Nous examinerons plus loin cette problématique et tâcherons d'évaluer le potentiel que représente l'AELE pour éviter une satellisation de la Suisse sur la même orbite que le Japon. En conclusion, relevons que la CE a fait appel à la greffe de secteurs et de domaines économiques dans le corps du GATT, en tant qu'union douanière, en passe de devenir une union économique à but politique d'intégration, alors qu'elle disposait des moyens institu- tionnels propres à protéger son territoire en cas de besoin. Tel n'est pas le cas de la Suisse ou de l'AELE demeurée au stade de zone de libre-échange. De plus, le fait d'institutionnaliser le principe de la réciprocité diffuse et inconditionnelle donne à l'ensemble de la négociation une portée intersectorielle dont la Suisse ne paraît pas faire état dans le cadre d'une démarche bilatérale avec la CE, et qu'elle ne devrait en tout cas pas négliger avec ses partenaires de l'AELE dans le cadre de la création d'un Espace économique européen. 4.8. Le régime des taux de change: paramètre de la réciprocité 4.8.1. Introduction Nous avons constaté, dans le chapitre précédent, que le régime des taux de change flottants avait eu notamment pour conséquence de laisser se développer de nouvelles barrières non tarifaires aux échanges, tel un virus diffus qui contaminerait les éléments sains du GATT. Quelles sont les conséquences de cette évolution sur la dynamique de la réciprocité ? La stratégie de la réciprocité appliquée par les Etats parties aux Accords généraux, dans l'esprit de Bretton Woods, impliquait, dès l'origine, un régime de taux de change fixes. Or, selon la doctrine, aujourd'hui encore, alors que les Accords de Bretton Woods ont été rompus et que le régime des taux de change flottants a été généralisé, soit depuis quelque dix-huit ans, les négociations se basent toujours sur le même concept de réciprocité. Il nous faut donc tenter d'examiner, en termes de dynamique de la réciprocité, les conséquences du passage d'un régime à l'autre de taux de change, et nous avons choisi, pour ce faire, de nous inspirer essentiellement de Richard Blackhurst (cf. bibliographie N0 24) et de Frieder Roessler (cf. bibliographie N0 25). 4.8.2. L'obligation de réciprocité en régime de change fixe Dans un régime de taux de change fixes, l'initiative unilatérale d'une réduction tarifaire amène l'Etat à prendre des mesures qui entraînent l'établissement de barrières non tarifaires, le déséquilibre des termes de l'échange et une allocation suboptimale des ressources. 57 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE C'est dans le dessein de pallier ces effets récessionnistes, que les «rounds» de négociations commerciales, du moins ceux qui se sont déroulés depuis l'immédiat après- guerre dans le cadre des Accords généraux, ont systématiquement substitué à l'initiative unilatérale la stratégie de la réciprocité. Les six premiers «rounds» se sont par ailleurs déroulés dans l'esprit des Accords de Bretton Woods, soit en régime de taux de change fixes. Les réductions tarifaires se répercutant simultanément au sein des participants aux Accords généraux, dans un vaste ensemble de secteurs commerciaux, la résultante en a été bénéfique pour l'ensemble, amenant par elle-même une valeur ajoutée, soit une valeur globale plus grande que la somme de chacun des bénéfices enregistrés individuellement. En conclusion, dans un régime de taux de change fixes, la dynamique de la coopération amenant des concessions mutuelles allège les problèmes de chômage et de balance des paiements, à l'inverse d'une initiative unilatérale de réduction tarifaire, à condition que cette dynamique soit basée sur une stratégie de la réciprocité spécifique et inconditionnelle. 4.8.3. L'obligation de réciprocité en régime de change flottant Le régime des taux de change flottants peut être considéré comme un substitut de la réciprocité dans un scénario de réduction unilatérale d'une barrière tarifaire commerciale. Les résultats obtenus dans un régime des taux de change flottants seront analogues à ceux obtenus par le biais de la réciprocité dans un régime de taux fixes. Au point de vue purement économique, quels que soient les avantages exprimés en termes d'emploi et de balance des paiements que comporte une libéralisation réciproque par rapport à une libéralisation unilatérale, dans une structure de change fixe, ils seront équivalents à ceux obtenus par une initiative de réduction unilatérale dans un régime à taux flottants. Il se peut même que ce dernier apporte une contribution plus importante que la réciprocité, car une dévaluation déploie des effets autrement plus larges géographiquement et sectoriellement que la réciprocité. Pour citer Blackhurst: «La réciprocité et les taux de change sont virtuellement de parfaits substituts en tant que solution aux problèmes transitionnels de l'emploi et de la balance des paiements associés à des réductions de tarifs commerciaux. » (cf. bibliographie N0 24) Or il se trouve qu'importateurs et exportateurs raisonnent aujourd'hui encore en termes de changes fixes. C'est la raison pour laquelle, s'il veut obtenir le support du souverain et ne pas subir seulement les pressions du côté des importations et dans le secteur industriel, le gouvernement appliquera une stratégie de la réciprocité qui montrera à chaque composante de l'économie les avantages d'une concession tarifaire négociée par ses soins. Dans un régime de taux de change fixes, l'argument selon lequel la réciprocité accélère le processus de libéralisation tient, car cette stratégie est la seule qui permette de passer de la phase dite d'anarchie à celle de coopération, en l'occurrence du protectionnisme au libre- échangisme. Tel n'est pas le cas dans un régime de taux de change flottants, puisque ces derniers se substituent à la réciprocité, ou portent les mêmes effets qu'une réciprocité diffuse. 58 L'ÉVOLUTION DU GATT C'est ainsi qu'il nous paraît vain de maintenir une structure de la relation qui se base sur une réciprocité autre que diffuse et conditionnelle. L'approche de la CE tient compte à nos yeux de cette évolution et, encore une fois, la stratégie de la réciprocité qu'elle déploie est implicitement de nature politique, économique, intersectorielle et non plus juridique, sectorielle, spécifique et inconditionnelle. 4.9. Conclusion C'est pourquoi Camps et Diebold (cf. bibliographie N0 23, p. 56) préconisent que le GATT, l'OCDE, l'UNCTAD reconnaissent explicitement les corrélations qui existent entre l'investissement, le commerce international et les politiques industrielles nationales. Il leur paraît également nécessaire d'établir une coordination entre le GATT, le FMI et la BIRD. La vague de libéralisation qui déferle sur les pays de l'Est, et les rééquilibrages des stratégies économiques qu'elle va entraîner, l'approche européenne de l'URSS vers la Maison européenne dans le cadre du Conseil de l'Europe constituent autant de facteurs qui devraient, à nos yeux, amener une refonte notamment du cadre institutionnel précité des Accords de Bretton Woods. Dans ces conditions, il nous paraît sage que la Suisse se concentre sur un axe de coopération faible-fort Suisse-CE, éventuellement dans le cadre de l'AELE, en vue de la création d'un Espace économique européen en priorité, évidemment sans négliger sa participation active au dynamisme de la coopération au plan universel dans le cadre du GATT. Il s'agirait là cependant, à nos yeux, d'un renversement de l'ordre des priorités jusqu'ici suivi, tant il est vrai que le GATT nous est apparu comme une structure mal adaptée pour la poursuite d'une libéralisation avec la CE. 59 5. La Suisse et l'évolution des tendances à l'institutionnalisation et à la coopération 5.1. Les contraintes de l'économie plurinationale L'économie de la Suisse, comme celle de ses principaux partenaires peut être qualifiée de plurinationale, dans le sens où, comme l'entend Tommaso Padoa-Schiopa (cf. bibliographie N0 26, p. 197), la «zone géographique qu'elle découpe comprend plus d'un Etat souverain». De fait l'économie suisse, de par les termes de l'échange comme de par les affinités historiques, politiques, culturelles et la position géographique, se trouve pluri-européenne, et même pluri-CE avant tout. Pour un Etat souverain, cette situation entraîne des contraintes qui reviennent à une limitation toujours plus profonde de sa souveraineté, notamment dans l'élaboration des politiques économique et monétaire. C'est de plus en plus dans les événements extérieurs à un pays souverain que doit être recherchée l'origine des sauts qualitatifs économiques, monétaires ou financiers, qu'ils se définissent en termes de crise ou de prospérité. Il est des facteurs exogènes tels que le prix du pétrole, les taux d'intérêt mondiaux, l'inflation importée, les crises financières, dont la maîtrise échappe aux responsables de l'économie nationale. Alors qu'une donnée peut être définie comme une constante au plan national, elle devient une variable dans un contexte plurinational. C'est ainsi, comme le constate Padoa-Schiopa (cf. bibliographie N0 26, p. 198), qu'un instrument de politique indépendant dans un contexte national cesse parfois de l'être dans un contexte international, et qu'une coopération s'impose pour donner à une politique économique, conjoncturelle ou monétaire son effica- cité. Or la coordination, nous l'avons vu, qui constitue le niveau de comportement minimal pour déclencher la dynamique de la coopération, tend à devenir plus difficile en raison d'un certain nombre de phénomènes. Nous en relèverons les quatre suivants: a) Un régime des taux de change fixes assure un niveau de coordination en matière d'évaluation des monnaies, et partant des biens et des services. Il permet d'assurer la 61 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE coordination à un deuxième niveau, celui de la concertation en matière de réalignements monétaires. Aucun cadre international, depuis l'instauration du régime des taux de change flottants, n'a procuré de substitut à ce type de niveau minimal de coopération. Une exception régionale existe, le SME, qui constitue un îlot de stabilité en matière de changes et auquel, nous le verrons, la Suisse est associée de facto. Cela en dépit du fait qu'au FMI incombe la responsabilité de la stabilisation des taux de change, dès lors que le plus puissant des participants ne joue pas le jeu de la discipline requise, la monnaie des petits pays à économie largement ouverte, dans un marché intégré, se trouve mise en situation de vulnérabilité. b) La prédominance universelle et quasi absolue du dollar permettait d'assurer, en tant que monnaie de réserve internationale, un autre niveau supplémentaire très important de coordination minimale pour le déclenchement de la dynamique de la coopération. Malgré les efforts prodigués par le Japon et la RFA pour éviter l'internationalisation de leur monnaie, le rôle du DM et tout particulièrement du yen dépassent largement le cadre géographique national. A cela s'ajoute l'internationalisation naissante de l'ECU et le rôle supranational joué par l'Euromarché. Bien que la prédominance du dollar reste marquée, la tendance à l'atomisation des monnaies de réserve diminue l'efficacité de son rôle coordinateur. c) Cadre institutionnel triomphant de la coordination d'après-guerre, le GATT déborde son propre cercle d'influence géographique, ainsi que son cahier des charges, et ne dispose toujours pas d'instrument pour traiter les litiges. d) Le paradigme keynésien, à la base même de l'infrastructure de coopération, n'a plus cours et aucun instrument ne l'a remplacé. En bref, alors que les souverainetés étatiques sont incontestées au plan formel, elles subissent une perte de substance à la mesure de l'interdépendance économique. La question, à nos yeux, n'est pas de savoir si l'ordre constitutionnel ou la conjoncture démocratique laissent une marge suffisante pour un éventuel processus de transfert partiel de souveraineté. La question revient d'abord à définir s'il existe un potentiel pour la manifesta- tion d'une souveraineté dans un domaine donné, d'en mesurer la dimension et d'en tirer les conséquences qui s'imposent. Il ne serait guère opportun, en effet, de contraindre les forces politiques et les tendances du marché à la poursuite d'un objectif de souveraineté sans en connaître les chances de succès et le coût, tant économique que social. Or il se trouve que c'est précisément la crainte notamment de perdre peu ou prou de sa souveraineté qui semble caractériser le comportement de la Suisse dans ses tentatives de coopération avec la CE, tentatives qu'elle cherche à exprimer par le biais de l'AELE. Ce comportement qui consiste à vouloir coopérer, mais sous réserve du respect initial et formel de la souveraineté, et à attendre que les contreparties s'écartent de leur stratégie pour éviter la confrontation se calque à nos yeux sur le scénario dit de la «poule mouillée» (cf. § 2.3.1) et ne peut déboucher que sur une «impasse» (cf. § 2.3.1) tant il est vrai qu'un petit pays comme le nôtre, devenu de plus un pays tiers par rapport à la dynamique d'intégration européenne, et a fortiori dans un contexte de remise en cause des équilibres stratégiques Est- 62 LA SUISSE ET LES TENDANCES À L'INSTITUTIONNALISATION ET À LA COOPÉRATION Ouest par les bouleversements intervenus en Europe de l'Est, ne peut prétendre a priori au respect universel du statu quo. Les comportements coopératifs de la Suisse, que nous évoquons ci-après (cf. § 5.2.) dans les grandes lignes, ont été sélectionnés en tant que points de référence dans le but de donner un éclairage historique à l'attitude affichée par nos autorités face à l'intégration européenne. Cette démarche ne comporte de prétention ni à l'exhaustivité ni à la justification. Elle se place néanmoins sur un axe d'argumentation tiré du message du CF (cf. bibliographie N013), et se réfère à la presse pour son actualisation. Il en ira de même pour la partie quelque peu plus approfondie que nous consacrerons à l'AELE, à ceci près que nous nous inspirerons en l'occurrence également du rapport de l'AELE (cf. bibliographie N0 27). Quant aux références constitutionnelles, nous n'avons pas voulu, vu leur importance, les omettre de la présente étude. Compte tenu du fait que l'analyse de l'impact de l'intégration européenne sur les fondamentaux de notre Etat de droit émarge de notre propos, nous nous limiterons à une évocation qui tirera son efficacité et, nous voulons le penser, son actualité, essentiellement du message du CF (cf. bibliographie N° 13, ch. 6). Le problème de la souveraineté sera examiné de façon plus approfondie sous l'angle spécifique et pratique des politiques économique et monétaire (cf. § 8). 5.2. Les comportements coopératifs de la Suisse 5.2.1. La Suisse et le Conseil de l'Europe Le 5 mai 1949, dix gouvernements européens signaient l'acte de fondation du Conseil de l'Europe, donnant suite à la décision prise lors du Congrès de la Haye en 1948, de jeter les bases d'une future union politique «perçue comme seul moyen pour les Etats européens de se rétablir» (cf. bibliographie N° 13, p. 4). Les tentatives de création d'une unité politique, d'une armée et d'une politique étrangère communes restèrent sans landemain, faisant place à de nombreuses activités dans les domaines juridique, social, technique et culturel. Selon le CF, le Conseil de l'Europe est «la seule organisation d'envergure véritablement européenne capable de s'occuper de tout ce qui intéresse notre continent, à l'exception de sa défense militaire» (cf. bibliographie N0 13, p. 5, 1er alinéa in fine). C'est à sa propre demande que la Suisse, en 1949, fidèle à son statut de neutralité, permanente et armée, et à sa politique d'indépendance en matière de relations extérieures, ne fut pas invitée à entrer au Conseil de l'Europe. Prenant acte de l'évolution ci-dessus mentionnée, dans son rapport à l'AF, sur les relations de la Suisse avec le Conseil de l'Europe du 26 octobre 1962, le CF constatait que ses réserves pouvaient désormais être levées, et la Suisse adhérait à cet organisme le 15 janvier 1963, en vue d'accentuer les effets visant à une coopération plus étroite entre les six Etats fondateurs de la CE et les autres Etats européens. Nous constatons avec le CF (cf. bibliographie N° 13, p. 7) que «le Conseil de l'Europe demeure la seule organisation européenne à champ d'activité politique, dont la Suisse fasse partie». Elle est, ou en tout cas était, officiellement considérée comme un lieu privilégié pour la négociation avec la CE. 63 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Vu l'importance conférée au Conseil de l'Europe par nos autorités politiques, et en anticipation du contenu encore difficile à saisir que représente le concept de Maison européenne avancé par Mikhaïl Gorbatchev, premier secrétaire du Parti communiste et chef de l'Etat soviétique, il nous paraît nécessaire d'approfondir son rôle dans une démarche coopérative basée sur la coordination des comportements de la Suisse avec ses partenaires. L'Assemblée parlementaire, organe consultatif composé de représentants des Parlements nationaux des Etats membres, exprime ses opinions sous forme de résolutions, ou élabore ses initiatives sous forme de recommandations adressées au Comité des ministres. Le Comité des ministres, seul organe doté du pouvoir de décision et composé des 21 ministres des Affaires étrangères des Etats membres, prend les décisions les plus importantes à l'unanimité, sous forme de résolution, de recommandation ou de convention. Les recommandations, sans qu'elles comportent juridiquement de caractère obligatoire, ne sont pas pour autant dépourvues de tout effet juridique, puisque les gouvernements sont tenus d'exprimer de bonne foi la possibilité de les mettre en œuvre. Seul l'instrument conventionnel constitue le moyen de coopération garantissant que des solutions élaborées en commun seront respectées par les Etats membres, compte tenu de fait que, par définition, le comportement de chacun d'entre eux repose en l'occurrence sur une base purement volontaire. Les principaux domaines d'activité sont les droits de l'homme, la coopération juridique (droit privé et public : sécurité sociale, lutte contre la criminalité et droit d'asile), la culture et l'éducation, l'environnement, l'aménagement du territoire, les médias, la santé publique, sans oublier les pouvoirs locaux et régionaux qui s'y expriment dans le cadre de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux d'Europe. Si les principaux piliers de l'œuvre conventionnelle sont constitués par la Convention européenne des droits de l'homme, la Charte sociale européenne et la Convention culturelle européenne, ce ne sont pas moins de 127 conventions que l'on pouvait lui imputer à fin 1988, desquelles la Suisse avait alors ratifié 61. Ayant procédé à ce bref rappel, nous avons pensé intéressant, dans le cadre de notre propos général, de nous pencher d'une part sur les «obstacles majeurs» auxquels se heurte la Suisse dans son approche coopérative de l'Europe à travers le Conseil européen, et, d'autre part, sur le rôle que paraissent vouloir lui faire jouer nos autorités politiques dans la perspective d'un rapprochement avec la CE. Les «obstacles majeurs» à la coopération de la Suisse tiennent en l'occurrence dans l'impossibilité d'une coordination en matière normative, que fait naître la spécificité de nos structures fondamentales. Il paraît évidemment justifié de se demander dans quelle mesure cet état de fait ne comporterait pas des conséquences similaires dans une démarche coopérative entreprise avec la CE, que ce soit au plan multilatéral par le biais de l'AELE ou au plan bilatéral. Pour effectuer cette analyse, nous avons choisi de nous référer exclusive- ment au message du CF (cf. bibliographie N0 13 et plus particulièrement au ch. 4.3). C'est en raison de sa structure fédéraliste que la Suisse n'a «jusqu'ici adhéré à aucune des conventions relevant du domaine de l'enseignement (équivalence des diplômes, équivalence des périodes d'études universitaires, etc.). 64 LA SUISSE ET LES TENDANCES À L'INSTITUTIONNALISATION ET À LA COOPÉRATION »Son ordre juridique ne lui permettra pas non plus d'adhérer à la Convention d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale». Si nous avons choisi ces deux exemples d'«obstacles majeurs» parmi d'autres, c'est qu'ils concrétisent à nos yeux de façon particulièrement pertinente le caractère exemplaire d'un comportement de confrontation (au sens de la théorie des jeux), qui pourrait contenir un potentiel de réciprocité négative dans l'application d'une stratégie de la réciprocité avec la CE. En ce qui concerne l'enseignement, point n'est besoin à nos yeux de démontrer qu'il est vital, pour la Suisse, d'assurer un niveau de coordination qui permette les échanges, voire l'intégration des enseignements, de la recherche universitaire, et la mise en pratique du savoir académique avec les Etats membres de la CE, au même rythme et avec la même intensité que dans le territoire de la Communauté. Il en va de même, toujours à nos yeux, pour les enseignements professionnels, que nous qualifierons d'intermédiaires, et les stages à l'étranger de nos cadres dirigeants, que ce soit au sein de nos entreprises multinationales, ou au sein d'entreprises étrangères résidentes communautaires, qu'elles soient d'origine com- munautaire ou tierce. Il existe deux programmes d'action communautaires dans le cadre desquels cet objectif pourrait être concrétisé, à savoir COMETT et ERASMUS. COMETT est le programme d'action de la CE pour la promotion de la coordination entre universités et économie dans le domaine de la technologie. ERASMUS est le programme d'action de la CE pour promouvoir la mobilité des étudiants. A ces cadres institutionnels s'ajoute l'une des quatre libertés fondamentales réactualisées par VActe unique (cf. bibliographie N0 21), à savoir celle des personnes, qui permettra dès janvier 1993 à tout citoyen d'un des Douze de s'établir et d'occuper une place de travail dans chacun des onze autres Etats membres, sans formalité autre que la détention d'une carte de séjour. Or, si le CF considère (cf. bibliographie N0 13, p. 69) que l'adhésion à toute convention européenne relevant du domaine de l'enseignement constitue un «obstacle majeur» dans le cadre du Conseil de l'Europe, nous voyons difficilement, en ce qui nous concerne, que la Suisse dispose actuellement des moyens de coordination nécessaires pour faire admettre son adhésion tant à COMETT qu'à ERASMUS, sans compter qu'elle ne pourra offrir la liberté de circulation sur son territoire aux citoyens européens, en échange d'une même liberté pour ses propres ressortissants dans le territoire de la Communauté, dans ses structures actuelles. En d'autres termes, au prix de quelles mutations de ses structures fondamentales la Suisse va-t-elle pouvoir prétendre se hisser à pied d'égalité sur l'axe faible-fort pour réaliser, notamment dans ce domaine, l'indispensable structure de coordination qui permette de déclencher une dynamique de la coopération basée sur une stratégie de la réciprocité ? Disons-le tout net, nous regrettons pour notre part, compte tenu de l'importance vitale que ce domaine représente pour un petit pays à économie ouverte, à hautre valeur ajoutée, marquée par une pénurie aiguë et encore croissante de main-d'œuvre hautement qualifiée, que le CF n'ait, à ce jour et à notre connaissance, fait que, officiellement, mentionner ce problème dans les dix lignes qu'il lui consacre dans son message (cf. bibliographie N013, p. 57). 65 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Bien sûr, ce serait pécher par omission que de ne pas mentionner que, selon la presse, la position de nos autorités paraît sinon avoir en l'occurrence suivi une transformation radicale, du moins se préciser puisque René Felber, chef du DPF, est récemment rentré de Bruxelles avec la conviction que COMETT s'ouvrirait à la Suisse («Journal de Genève», 1er novembre 1989). Il n'en demeure pas moins, à nos yeux, qu'un certain nombre de questions fondamentales demeurent posées, si nous voulons rendre crédible notre démarche en lui conférant l'image d'une volonté de coopération au sens de la théorie des jeux. Il nous faut pour commencer dresser l'inventaire des mesures institutionnelles internes permettant d'envisager, et montrant à nos partenaires qu'ils peuvent envisager l'instauration d'une structure de coordination, notamment en ce qui concerne l'harmonisation des règles concernées, l'équivalence des diplômes au plan interne de la Suisse, sans omettre l'analyse des mutations qu'une telle démarche impliquerait pour notre structure fédéraliste et notam- ment la souveraineté cantonale. Il nous faut ensuite ou simultanément procéder à une information courageuse et complète du souverain de façon à ce qu'il soit préparé à prendre les décisions qui s'imposent en temps opportun. Pour terminer, il nous paraîtrait nécessaire de déterminer dans ce domaine également quelle est l'approche que nous voulons privilégier. Est-ce l'approche bilatérale, comme tel semble être le cas en l'occurrence, ou l'approche multilatérale par le biais de l'AELE requise par la CE? Si nous décidons de faire valoir nos atouts dans une démarche globale, coordonnée et basée sur un ordre de priorités, il nous semble qu'en ce qui concerne l'enseignement, sa qualité et son intégration universelle, nous ne sommes pas sans pouvoir faire valoir une position relativement enviable ! En ce qui concerne le second «obstacle majeur» sélectionné, soit la Convention d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, nous renvoyons le lecteur au chapitre 7.3. intitulé «Mesures fiscales» et précisons, à ce stade, que notre concept de secret bancaire, comme celui du Luxembourg, sera remis en cause, si ce n'est appelé à être modifié dans une dynamique de la coopération où la coordination fiscale se révélerait impérative. Examinons le rôle que nos autorités entendent faire jouer au Conseil de l'Europe dans la structure de notre relation avec la CE, toujours en nous inspirant du message du CF (cf. bibliographie N" 13). Les Douze disposent de la majorité à Strasbourg et ils concentrent leurs efforts sur l'intégration communautaire. De plus, certains sujets de débat multilatéral ont été déplacés de Strasbourg à Bruxelles. La coopération en Europe est caractérisée par un différentiel de vitesse qui va s'accélérant entre la CE et le Conseil de l'Europe. Malgré ce qui précède, le Conseil de l'Europe, pour nos autorités, «a toutes les possibilités de poursuivre utilement sa mission au service de la coopération européenne» (cf. bibliographie N013, p. 46). On constate qu'«un resserrement des liens entre le Conseil de l'Europe et la CE s'impose» (cf. bibliographie N013, p. 68). On parle de la possibilité de faire adhérer la «CE en tant que telle à des conventions du Conseil de l'Europe, la CE se substituant aux Etats membres» (ibidem). 66 LA SUISSE ET LES TENDANCES À L'INSTITUTIONNALISATION ET À LA COOPÉRATION Enfin, le Conseil de l'Europe constitue pour la Suisse un forum politique privilégié, puisqu'en tant que membre elle a compétence pour «proposer la réunion de conférences ministérielles dans le cadre desquelles les ministres compétents peuvent échanger leurs expériences et suggérer des solutions communes» (ibidem). En conclusion, il paraît évident que la Suisse entend continuer à utiliser cet instrument de la coopération qu'est le Conseil de l'Europe, et continuer à y obtenir des résultats concrets, comme la Convention européenne pour la répression du terrorisme. On peut cependant se demander si des mutations fondamentales de nos structures d'Etat de droit ne se posent pas de plus en plus comme préludes à un renforcement de la structure de notre coopération avec l'Europe. Pour citer le CF (cf. bibliographie N0 13, p. 69, in fine), une «politique plus ouverte à l'égard des instruments juridiques du Conseil de l'Europe — même ci celle-ci devait entraîner parfois d'indispensables adaptations institutionnelles — contribuerait, sans nul doute, à rapprocher notre pays de l'Europe». Enfin, la priorité du Conseil de l'Europe porte sur la coopération culturelle mise au service du citoyen européen, et si la poursuite d'une coopération dans un tel cadre s'impose bien évidemment, ce n'est pas par son truchement que l'on mettra sur pied une coordination au plan prioritaire que constitue la coopération économique avec la CE. S'il nous est permis de tenter une anticipation sur l'ouverture faite par l'URSS dans le cadre d'une «Maison européenne» constituée par le Conseil de l'Europe, nous prétendons simplement faire remarquer qu'il suffirait d'une adhésion de quatre pays de l'Est pour que la CE perde sa majorité simple au sein de l'Organisation, sans entraîner pour autant nécessaire- ment l'instauration d'un nouvel équilibre compensateur. De plus le consensus est suffisam- ment difficile à trouver dans un système aussi hétérogène que l'ensemble actuel des 21 Etats membres, pour ne pas penser que l'adhésion des pays du Pacte de Varsovie n'amène pas une remise en cause des structures par le renversement, au moins apparent, des équilibres stratégiques. Il s'agirait donc pour nous, pragmatiquement, de trouver notre point d'équilibre européen avec la CE, avant que de procéder aux mutations nécessaires pour redéfinir notre ancrage politique multilatéral au sein du Conseil de l'Europe. 5.2.2. La Suisse et l'AELE 5.2.2.1. Introduction historique Les succès incontestables enregistrés par la Suisse, en développant et poursuivant une stratégie active de coopération avec la CE dans le cadre de l'AELE, font conclure au CF que, «en vue de la création de l'Espace économique européen, l'AELE constitue une plate-forme idéale pour un développement des relations avec la CE» (cf. bibliographie N0 13, p. 40). Confrontés à la guerre froide, les pays européens effectuèrent une série de tentatives dans l'intention de regrouper leurs forces. L'objectif officiel consistait à corriger désormais toute résurgence belliciste entre les nouveaux partenaires. L'objectif réel consistait à présenter un flanc de défense fort à l'Est, tant il est vrai que Staline pouvait être considéré comme «le grand unificateur de l'Europe». 67 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Les tentatives de nature essentiellement politique échouèrent. Mentionnons la Commu- nauté européenne de défense (CED), traité signé par la Belgique, la RFA, la France, l'Italie, les Pays-Bas et le Luxembourg en 1952, visant à l'intégration de leurs armées en une seule, et la Communauté politique européenne, projet de traité élaboré par la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) visant à la création d'un organisme fédéral regroupant CED et CECA. Ces projets d'intégration échouèrent suite à l'opposition manifes- tée par l'Assemblée nationale française. Quant à Y Union de l'Europe occidentale (UEO), dont le but consistait en une intégration des armées de Grande-Bretagne, France, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Italie et RFA, bien que constituée par les Accords de Paris du 23 octobre 1954, elle paraît s'être diluée dans le cadre plus large de l'OTAN (cf. bibliographie N0 13, p.6). Face à ces échecs, les Six (France, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas et RFA), changeant de stratégie, se concentrèrent sur un objectif moins large et à plus court terme, à savoir la création d'une union douanière. C'est ainsi qu'ils fondèrent successivement la CECA (avril 1951), la CEE et l'EURATOM, soit l'ensemble des Communautés économi- ques européennes (désignées par l'intitulé CE dans la présente étude), ces deux dernières étant sanctionnées par le Traité de Rome (mars 1957). En fait, le but ultime demeurait Y intégration politique, et la défense d'un régime de nature libérale. Uintégration économique était utilisée comme catalyseur, et devait évoluer par paliers successifs de Yunion douanière, au Marché commun, puis à la Communauté économique, pour déboucher, grâce à une perte de souveraineté progressive des Etats membres en faveur de la fédération, sur des habitudes et un caractère d'inéluctabilité et d'irréversibilité qui entraîneraient petit à petit Y intégration politique. La Suisse (cf. bibliographie N0 13, p. 7), comme les autres membres de Y Organisation européenne de coopération économique (OECE), s'interrogea sur les effets que la réalisation de ce programme ambitieux exercerait sur la coopération dans le cadre européen élargi. Elle aboutit à la conclusion qu'elle devait trouver une solution pour préserver l'égalité de traitement, dont elle bénéficiait avec cinq autres Etats membres de l'OECE qui ne participaient pas à la création de cette nouvelle union douanière (Autriche, Danemark, Grande-Bretagne, Norvège et Portugal), et décida de concentrer ses efforts sur le démantèlement des barrières douanières pour les produits industriels selon une stratégie de réciprocité avec la CE. Ce fut la signature de la convention instituant Y Association européenne de libre-échange (AELE) le 4 janvier 1960. Par ailleurs, la Suisse avait eu ainsi l'occasion de manifester un comportement politique visant clairement à la poursuite de sa politique traditionnelle d'indépendance en matière de relations extérieures, et en la définition d'une neutralité permanente et armée (cf. bibliogra- phie N0 13, p. 6). En conclusion, «l'AELE fut instituée en réaction à la création de la CE, mais ne se voulait nullement sa rivale» (cf. bibliographie N" 27, p. 11). 5.2.2.2. Les buts et moyens de l'AELE Mentionnons les principaux buts qui ont présidé à la création de l'AELE en nous référant à la Déclaration du Luxembourg et au rapport de l'AELE (cf. bibliographie N0 27, p. 12): 68 LA SUISSE ET LES TENDANCES À L'INSTITUTIONNALISATION ET À LA COOPÉRATION — les membres fondateurs, les neutres en particulier, ne souhaitaient pas s'associer à une dynamique d'union économique dégageant une perspective politique; — il s'agissait de parer à toute éventualité de discrimination économique de la part de la CE en créant une dynamique différenciée aux plans interne et externe. Pour parvenir à concrétiser ces buts, il fut choisi comme moyen une structure de comportement coopératif. Pour le déclencher, il fut institué une stratégie de la réciprocité inconditionnelle et spécifique, basée sur les barrières tarifaires industrielles et commer- ciales. Reprenons un instant la théorie des jeux, telle que nous l'avons préalablement exposée. Le démantèlement tarifaire constituait une plate-forme de coordination entre les Etats membres de l'AELE d'une part, entre eux et les Etats membres de la CE d'autre part. Le message était clair pour tous, de même que la règle du jeu. La Suisse s'était hissée à pied d'égalité sur l'axe faible-fort, puisque l'AELE, en isolant le segment commercial et le regroupant en régions, se trouvait être le premier partenaire de la CE. Enfin, l'AELE avait développé une stratégie basée sur l'obligation de la réciprocité, anticipant un comportement du type «TIT for TAT», déclenchant ainsi la dynamique de la coopération. Dans le contexte de l'époque, ce comportement permit de plus aux participants à l'accord d'échapper au transfert de souveraineté qu'impliquait l'adhésion à une institution de nature supranationale et à son système de décision. Relevons que le fait même de se trouver contraint à constituer une zone de libre-échange par l'adhésion à un ensemble de règles du jeu, ainsi qu'à un processus de décision (même s'il s'agit en l'occurrence de la règle de l'unanimité), implique tout de même une perte et un transfert de souveraineté que la Suisse a bel et bien dû accepter, compte tenu des priorités économiques de l'époque. Il restait à ces pays à prouver qu'une zone de libre-échange pouvait représenter un instrument efficace d'intégration économique. Il est évident, si l'on ne se réfère qu'à l'évolution des termes de l'échange commercial qui caractérise les relations entre les pays concernés depuis la signature de la Convention de Stockholm (4 janvier 1960) jusqu'à aujourd'hui, que cette stratégie peut être qualifiée de payante. La question consiste maintenant à déterminer si et dans quelle mesure, cas échéant, le comportement coopératif, qui a présidé à la naissance et permis le succès de l'AELE, a atteint ses limites d'efficacité. Pour ce faire, nous allons analyser à nouveau le contexte de la coopération et comparer les buts que poursuivent l'AELE et la CE depuis la promulgation de Y Acte unique. 5.2.2.3. Le contexte actuel de l'Acte unique européen L'importance de l'AELE, en matière de poids politique et économique relatif, a nettement diminué depuis sa création suite aux mutations intervenues au sein de ses membres. D'abord l'AELE a perdu la Grande-Bretagne et le Danemark suite à leur adhésion à la CE en date du 1er janvier 1973. Le Portugal suivit le même chemin le 1er janvier 1981. On se souviendra que la Norvège dut renoncer à son adhésion à la CE, suite à une votation populaire. 69 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Dans l'intervalle, l'AELE gagnait deux nouveaux membres sans qu'il y eut matière à compensation : — La Finlande, au 1er janvier 1986, après avoir vécu une longue période d'association, soit depuis l'Accord d'Helsinki, signé le 20 juin 1961, avec l'AELE. En réalité, la zone de libre-échange s'étendit, dès 1961 déjà, à la Finlande, sous la réserve d'un rythme de décompartimentage plus lent, et de contingents à l'importation de produits spécifiques. Cette intéressante formule a permis à la Finlande de bénéficier de la libéralisation, tout en adaptant ses structures à ses possibilités propres. — L'Islande adhéra à l'AELE en date du 1er mars 1970, devenant ipso facto partie à l'accord AELE-Finlande. Dans le même temps, l'Europe des Six passait à celle des Douze. En conséquence, le poids relatif de l'AELE par rapport à la CE a substantiellement perdu en importance. Si la dynamique du processus d'intégration de la CE a subi un choc quantitatif, elle a également connu un saut qualitatif dont nous proposons d'inventorier les composantes en nous référant à l'analyse du CF (cf. bibliographie N° 13, § 5, ch. 51) pour nous placer dans son éclairage, mais aussi de divers autres ouvrages (cf. bibliographie N" 7, 10, 61, 62 et 63). Selon le CF: «L'Europe communautaire s'est suffisamment élargie, aux plans géogra- phique et démographique, et renforcée, au plan économique, pour assimiler l'Espagne et le Portugal et d'éventuelles candidatures de membres de l'AELE, sans que le processus soit remis en cause. »La diversité et l'alternance des partis politiques au pouvoir ne paraît pas rompre le consensus que reflète la convergence des politiques économique et monétaire. »C'est pourquoi il est, de l'avis général, considéré que la période critique du processus est dépassée, et qu'il peut être désormais qualifié d'irréversible.» Le cadre institutionnel a également subi un saut qualitatif en ce qui concerne d'une part la nouvelle répartition des compétences entre les organes supranationaux de la CE et, d'autre part, le mode décisionnel. Nous nous référons en l'occurrence plus particulièrement à l'Acte unique (cf. bibliographie N0 21). Le Livre blanc (cf. bibliographie N0 29) de la Commission de la CE a institué une stratégie claire tout en suscitant la motivation générale nécessaire pour sa concrétisation. Les objectifs y sont définis en termes mesurables, les moyens y sont inventoriés, les ressources s'y trouvent mobilisées sous forme d'un programme. L'AELE ne connaît pas d'institution équivalente et n'a pas de projet pour la définition d'une ligne stratégique claire, avec mise en place d'objectifs et de ressources. De plus, on ne peut guère constater une motivation mobilisatrice de ses membres pour une démarche commune, qui soit d'intensité égale à la démarche communautaire. L'application d'une stratégie nécessite le choix d'une méthode. La CE a su faire preuve de créativité, en instaurant une démarche innovatrice qui permette l'uniformisation néces- saire à la bonne marche d'un processus supranational, en contournant la difficile contrainte que représente le caractère hétérogène des dispositifs en place dans un territoire aussi large et divers que l'Europe des Douze. 70 LA SUISSE ET LES TENDANCES À L'INSTITUTIONNALISATION ET À LA COOPÉRATION L'exemple du SME illustre, à notre sens, parfaitement cette démarche au caractère innovatif. Nous étudierons plus en détail cet instrument communautaire d'intégration financière et économique qu'est le SME (cf. § 8). Pour l'heure, nous soulignons que cet instrument de nature monétaire a permis de réaliser une convergence des politiques monétaires, de démontrer l'inéluctabilité d'une convergence des politiques économiques et de préparer l'acceptation de la Deuxième Directive bancaire, pierre angulaire du Marché financier unique, et fondement du processus d'intégration politique engagé par le Rapport Delors (cf. bibliographie N° 28, p. 103). La «nouvelle approche» consiste à déborder la contrainte que représente l'objectif d'harmonisation des normes dans l'ensemble de la CE en établissant un «distinguo» entre l'ensemble des règles, dont l'harmonisation est définie comme indispensable, et l'ensemble de celles dont l'harmonisation n'est pas indispensable. Il s'agissait en fait d'établir des priorités comme cela devrait être le cas dans tout processus stratégique, voire de simple mise en programme. La conséquence logique de cette «nouvelle approche» tient dans l'application des deux principes complémentaires de la reconnaissance mutuelle et du contrôle par le pays d'origine (ou de l'équivalence). Quant aux priorités définies comme nécessitant l'harmonisation, elles tiennent dans l'ensemble des règles qui touchent à la sécurité, que ce soit au plan de la santé et de l'hygiène, ou à celui de la maîtrise des risques en général. Il est évident qu'il fallait, dans une telle démarche reposant sur la confiance, pouvoir revendiquer un niveau minimum d'homogénéité culturelle, de communauté de besoins et d'intérêts. L'histoire des nations européennes trouve dans ce processus une éclatante manifestation de patrimoine commun, de confiance en l'avenir et d'identification propre. Malgré une communion culturelle et historique évidente, les pays de l'AELE n'ont ni entrepris une démarche analogue, ni n'ont mis en place un processus de concertation avec la CE qui débouche sur la concrétisation analogue d'un même constat. Par ailleurs, les Etats membres de l'AELE n'ont, à notre connaissance, pas encore mis en route un processus propre visant à instaurer le même type de «nouvelle approche» que la CE en inventoriant les règles nécessitant une harmonisation et celles permettant un contrôle par le pays d'origine, dans la perspective d'une coordination avec la structure nouvelle de la coopération réalisée par la CE. Une telle «nouvelle approche» doit tirer sa justification d'un ordre constitutionnel et il s'avéra nécessaire de réformer le Traité de Rome. C'est ainsi que Y Acte unique confère au Livre blanc les moyens, à la fois juridiques et techniques, nécessaires à la concrétisation du programme que ce dernier contient. Il donne aux instances responsables les moyens de leur politique. Adopté en décembre 1985 par le Conseil européen du Luxembourg, Y Acte unique réforme le Traité de Rome dans le sens qu'il inocule aux instances supranationales de la CE une dose nouvelle et importante de souveraineté. 71 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Il fait en effet passer la procédure décisionnelle administrative de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée, à l'exception de domaines explicitement stipulés: la législation sur la fiscalité, la libre circulation des individus, les mesures liées aux droits et intérêts des salariés, y compris le droit de participation des travailleurs. Il renforce la légitimité du droit communautaire en procédant à un rééquilibrage mesuré entre les compétences à essence démocratique et les compétences purement administratives, tout en les augmentant les unes et les autres. Il donne également un objectif mesurable et mobilisateur pour la réalisation du marché intérieur, soit le 31 décembre 1992. Il définit le contenu de ce marché en inventoriant les quatre buts de la libéralisation (art. 13 Acte unique (cf. bibliographie N° 21), art. 8 Traité de Rome), soit la libre circulation des: — marchandises; — personnes; — services; — capitaux. Il précise que la libéralisation consiste en l'élimination des frontières, sans se limiter à leur nature tarifaire ou non tarifaire. Il supprime ainsi, au plan interne, l'obligation de réciprocité, permettant la translation de la structure figée d'une coopération bilatérale à une structure en voie d'unification. La réciprocité cède la place, en tant qu'élément déclenchant de la dynamique de la coopération, à une stratégie commune d'intégration. S'il est vrai que la réciprocité, et naturellement l'obligation de réciprocité, continuera à être utilisée comme instrument de la coopération dans la poursuite active du processus, il n'en demeure pas moins que son caractère institutionnel a disparu au plan interne. Au plan externe en revanche, la stratégie de la réciprocité se trouve renforcée, dans le sens qu'elle est institutionnalisée de cas en cas d'une part, et déclarée comme volonté politique d'ouverture des pays tiers, dont le Japon, d'autre part. En termes libre-échangistes, nous dirons que, par l'abolition formelle de la réciprocité en son sein, la CE subit un saut qualitatif, alors que la structure de la coopération qu'elle met en place avec les pays tiers marque une régression. A notre avis cette politique est destinée, nous sommes amené à l'énoncer à plusieurs reprises dans la présente étude, à permettre que l'intégration européenne se développe au besoin «en couveuse», soit à l'abri des secousses externes susceptibles de compromettre son développement jusqu'à un stade de moins grande vulnérabilité. Il est indéniable que l'AELE ne dispose pas de moyens comparables au plan décisionnel, puisque les décisions s'y prennent à l'unanimité dans la stricte perspective du libre-échange des marchandises. Qui plus est, l'AELE n'a pas subi de saut qualitatif comparable à la réforme des institutions de base et des lois fondamentales que représente l'Acte unique. Dans sa structure de la coopération avec la CE, elle se trouve plus que jamais placée devant l'obligation de réciprocité. Comme l'avance le CF (cf. bibliographie N° 13, p. 73), «on peut admettre qu'au cours des années nonante la CE aura réalisé le Marché commun conformément aux objectifs du Traité de Rome» et que (cf. bibliographie N0 13, p. 76) «la finalité politique de la CE, à 72 LA SUISSE ET LES TENDANCES À L'INSTITUTIONNALISATION ET À LA COOPÉRATION savoir la réalisation d'une Union européenne fondée sur l'intégration économique suprana- tionale et la coopération en matière de politique tarifaire, reste un objectif, d'ailleurs réaffirmé par l'Acte unique européen». Il est indéniable que l'AELE ne projette aucun objectif de nature politique et qu'elle n'a pas l'intention même de s'en donner les moyens. Cette institution n'a, volontairement, pas non plus franchi le pas du consensus au plan des politiques monétaires et, a fortiori, au plan des politiques économiques. 5.2.2.4. Conclusion En conclusion, le contexte de la coopération, que constitue la CE pour l'AELE, a subi un saut évolutif, tant qualitatif que quantitatif, sans que la dernière nommée n'ait apparemment procédé à l'adaptation que nécessite la coordination, sur laquelle se base l'obligation de réciprocité pour une dynamique de la coopération. Le comportement qui a présidé à la création de l'AELE correspondait à une volonté de coopération dans un domaine bien ciblé, avec une masse économique de partenaires donnée et des ressources institutionnelles adaptées aux besoins. Il s'agissait pour l'AELE de définir un langage commun avec ses principaux partenaires, qui reposât sur une règle mutuellement admise de réciprocité spécifique dans le jeu de la négociation des barrières tarifaires commerciales, comportant pour complément de comportement de référence le principe du traitement national. Si ce comportement a débouché sur une structure de réelle coopération, c'est également qu'il y avait similitude d'objectifs, la CE ayant mis l'objectif politique en veilleuse. En d'autres termes, l'équation de comportement: (traitement national + réciprocité) X AELE = CE était vérifiée. Aujourd'hui se sont glissés dans cette structure quatre nouveaux paramètres qui démantè- lent la correspondance ainsi établie. Il s'agit du rythme, du contenu, de l'objectif final ainsi que du poids relatif de l'AELE par rapport à la CE. — Le rythme de l'intégration au niveau de la CE s'est accéléré, notamment depuis la publication de l'Acte unique. Dès lors, l'accélération de l'intégration paraît s'auto- alimenter. Nous traduisons ce phénomène par (CE)2 — Le contenu s'est modifié puisque la CE ne négocie plus seulement des réductions de barrières tarifaires, mais essentiellement des normes de comportement au caractère supranational. Nous traduisons ce phénomène par (CE + X)2 — Les objectifs politiques se sont substitués aux objectifs économiques, au mieux les ont englobés dans un sous-ensemble. Nous traduisons ce phénomène par Y (CE + X)2 73 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE — L'importance relative de la CE par rapport à l'AELE au plan économique s'est accrue de façon évidemment très substantielle, ce que nous traduisons finalement par Y (CE + Xf + Z Manifestement le comportement de l'AELE, et de la Suisse à travers l'AELE, nous paraît devenu inadéquat et le risque de déboucher dans cette dynamique sur un scénario de la «poule mouillée», qui résultera en une structure de confrontation et d'impasse, semble être suffisamment grand pour que la question soit clairement posée au plan politique et que des alternatives soient d'ores et déjà explorées, et proposées à l'examen des Chambres et une information adéquate livrée immédiatement au souverain. De plus, la structure des comportements des deux partenaires étant basée sur la réciprocité dès le contexte initial, il faut sérieusement craindre qu'il se retourne, dans le scénario susmentionné, au désavantage du partenaire le moins puissant, le moins adapté, le moins adaptable, et que la stratégie de la réciprocité soit utilisée par le partenaire fort, comme sauf-conduit d'érection d'un protectionnisme nouveau. Il y a déjà protectionnisme quand la CE déclare que la priorité est donnée à l'intégration politique interne, puisqu'une telle déclaration paraît rejeter d'emblée toute velléité de négociation externe. Plus grave encore, nous constatons que la dynamique européenne, même de nature libre-échangiste, trouve une manière de justification dans la protection que la CE a résolu d'ériger contre les Stimuli économiques mondiaux dont la montée de la zone Pacifique, la déréglementation généralisée, la globalisation financière, l'accélération exponentielle des processus d'échange et la prépondérance grandissante du domaine financier qui prend et développe une vie propre, indépendante du processus industriel et commercial. Même si, comme nous le verrons plus loin, la réciprocité est présentée comme un instrument de négociation au niveau sectoriel, et surtout dans le domaine bancaire, rien n'empêche, a priori, l'un des Etats membres de se fixer des objectifs plurisectoriels. Alors que la Commission se tiendra à l'objet de la négociation sectorielle, tel ne sera dès lors pas le cas de l'Etat concerné. Il paraît plus vraisemblable de parler des Etats membres concernés, car à ce niveau la tendance est à la globalisation de la négociation. En d'autres termes, il faut une vue globale pour aborder la négociation au plan sectoriel, ce qui d'ailleurs correspond à l'approche recommandée dans le cadre de l'Uruguay Round. Formellement, le problème ne sera jamais posé sous cette forme, mais l'impasse viendra du fait que le blocage de la négociation portera sur l'objet spécifique. 74 6. La strategie européenne de coopération avec les pays tiers dans le domaine bancaire 6.1. Introduction Jusqu'ici, nous avons été amené à examiner l'obligation de réciprocité, en tant que facteur déclenchant de la coopération sous deux aspects: — l'aspect doctrinal, qui nous a permis de cerner le contenu, les différentes formes du concept, ainsi que les conditions de sa mise en place ; — l'aspect institutionnel, qui nous a permis de suivre l'évolution du concept en tant qu'instrument d'une stratégie de la coopération. Il nous paraît opportun à ce stade de nous appliquer à placer désormais le débat sur le terrain de la pratique. C'est le domaine bancaire que nous proposons de choisir à titre de cobaye pour procéder à une analyse «in vivo». Notre but consiste à tenter de définir dans quelle mesure la structure de la relation de la Suisse avec la CE, dans le domaine bancaire, présente le niveau de coordination nécessaire pour déboucher sur un scénario de coopération, par opposition à un scénario dit de l'impasse. Les moyens que nous chercherons à mettre en œuvre, pour concrétiser ce but, consiste- ront dans l'essai d'une analyse de compatibilité entre les dispositifs suisses et communau- taires qui régissent ce domaine. Cette analyse se placera dans une perspective pragmatique, par opposition à une perspective juridique, et fera appel essentiellement à l'expérience pratique des personnes consultées dans la branche. Elle conservera néanmoins un caractère partiellement théorique, si ce n'est juridique, dans la mesure où le dispositif visé n'étant pas encore en vigueur, notre réflexion consiste en un processus d'anticipation, dont la pertinence devrait, en bonne partie, précisément dépendre de la qualité de l'expérience pratique en référence. Quant au choix du domaine bancaire, nous le pensons justifié pour les trois raisons d'ordre général suivantes: — l'importance relative, et la part croissante de cette importance relative, que ce domaine prend dans la formation du PNB en général ; 75 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE — la position déterminante qu'il détient en Suisse en tant que facteur économique de production et de contribution au bien-être social ; — le rôle essentiel qu'il joue, en tant que système circulatoire et nourricier, pour l'ensemble des tissus économiques, implique une approche spécifique de la déréglementation, et cela d'autant plus que les activités bancaires suivent en parallèle une démarche pour compte propre, dont l'importance déjà considérable ira grandissant avec la libéralisation. Dans le domaine bancaire, vis-à-vis des tiers, la CE a choisi d'adopter une structure de comportement basée sur la réciprocité. Le contenu et la dynamique de la coopération seront donc, en l'occurrence, fonction de la nature de cette réciprocité et de la stratégie destinée à l'appliquer. Le fait que la CE ait choisi une stratégie basée sur la réciprocité démontre qu'elle recherche une coopération, dont elle entend a priori maîtriser le contenu et la dynamique. Les tiers ont le choix entre coopérer pour trouver accès à la négociation et au Marché unique, ou ne pas coopérer et se fermer cet accès. La structure de comportement manifestement adoptée par la CE est celle dite du «dilemme du prisonnier», soit DO CO DD > CD Le choix d'une stratégie de la réciprocité constitue, nous l'avons vu, une régression dans l'évolution du libre-échangisme mondial. D'un côté, elle permet aux contreparties de bénéficier des avantages d'une libéralisation interne. D'un autre côté, elle revient à réglementer les conditions d'accès. Suivant l'application qui en est faite, cette réglementa- tion peut être de nature plus ou moins libérale. Il s'agit d'une contrainte nouvelle dans le mouvement de déréglementation général. On aurait pu imaginer que la CE adoptât une attitude franchement et essentiellement basée sur le traitement national et la clause de la nation la plus favorisée. Une telle attitude aurait mieux calqué sur l'esprit du GATT. En réalité, la réciprocité consiste en une mesure de nature protectionniste destinée à éviter que l'industrie financière de pays tiers, plus compétitive et à la grande force de pénétration, ne retourne à son avantage le mouvement de libéralisation financière interne à la CE. Mais vu les tendances actuelles et mondiales du marché que constituent des lignes de force telles que globalisation, déréglementation, désintermédiation, la CE, par la réciprocité, donne également à la coopération avec les tiers une dimension réelle, dans la volonté d'une plus grande ouverture des pays tiers. En termes de priorité, il nous semble quant à nous que l'ouverture vers l'extérieur constitue un objectif secondaire par rapport à l'achèvement du Marché financier unique. La CE pourra jouer de la marge de manœuvre que lui donne l'application, et notamment l'interprétation de cette réciprocité pour ralentir ou accélérer l'ouverture à l'extérieur, bref la doser en fonction du développement interne. La tactique consiste à toujours garder l'avan- tage de l'initiative, et à gagner le temps nécessaire pour négocier en position de force. Plus intégré sera le Marché financier unique, plus forte sera la CE pour affronter le choc de la concurrence extérieure dans le domaine bancaire. N'oublions pas que, de par les mécanismes du Marché financier unique, cette concurrence extérieure sera portée à l'intérieur des Douze avec la même intensité. Or tous les Etats membres n'offrent évidemment pas, et de loin, le même potentiel d'intégration de cette concurrence tierce. 76 LA COOPÉRATION DANS LE DOMAINE BANCAIRE En conclusion, la stratégie de la coopération adoptée par la CE dans le domaine financier affiche «une portée universelle» («erga omnes»), dont l'exacte limite sera donnée par la double contrainte que représente la réciprocité, d'une part dans son contenu, et, d'autre part, dans le caractère plus ou moins libéral de son application. Comme l'a indiqué le président de la Commission, Jacques Delors, au Parlement européen, la position de la CE consiste à montrer une «Europe ouverte mais pas offerte». En réaction à l'appellation d'«Europe forteresse», lancée par des pays tiers, la CE proclame aujourd'hui qu'«elle se ménage des positions de négociation, en l'absence de disciplines multilatérales» (cf. bibliographie N" 30, p. 6). Ainsi la CE a pris l'initiative dans l'affrontement concurrentiel spécifique du domaine bancaire. Elle vise la coopération, mais elle en fixe elle-même les conditions. Cela ne signifie pas qu'elle puisse, ou même qu'elle cherche à imposer l'ensemble de ses objectifs, et notamment ses objectifs politiques, pour entrer en phase coopérative avec les tiers. Mais cela signifie que celui d'entre les tiers qui n'adopterait pas la même attitude, se verrait exclu du jeu. Comme le prisonnier devant son dilemme, il en retirerait un avantage inférieur à celui qu'il aurait obtenu par le biais d'une coopération (CC). Encore s'agirait-il de déterminer la viabilité de cet avantage. Dans une hypothèse de dépendance financière, et par conséquent économique, du tiers en question par rapport à la CE, vu le déséquilibre du rapport de force, à l'exception probable des USA et du Japon, il n'existe guère de possibilités de survie. En d'autres termes, l'attitude de défection (DC) d'un pays tel que la Suisse équivaudrait, à terme, à risquer de perdre l'ensemble de ses atouts de négociation et de se mettre en état de dépendance totale par rapport à la CE, ou d'exploité selon la théorie des jeux. Or, si l'on ne veut pas être exclu d'une dynamique de la coopération, il s'agit de montrer, en temps opportun et de façon convaincante, les signes d'une attitude de coopération (CC). La Suisse devrait donc déployer dans le domaine bancaire une stratégie basée sur la réciprocité avec la CE, si elle souhaite éviter le risque d'un comportement qui serait qualifié de défection (DC) ou (DD). L'idée consiste à utiliser la ressource que constitue le domaine bancaire en tant que segment de la coopération, pour contribuer à nous hisser à pied d'égalité sur l'axe faible-fort dans la structure de la relation avec la CE. Nous proposons de tenter de mettre en parallèle les exigences communautaires et le potentiel de réponse de la Suisse dans ce segment de la coopération que constitue le domaine bancaire, dans le but de tenter de déterminer si, et cas échéant dans quelle mesure, la Suisse présente, en l'occurrence, un niveau de coordination suffisant pour déclencher la dynamique de la coopération. Comme matériel d'expérience, nous avons choisi deux des dispositifs touchant le domaine bancaire, à savoir la Deuxième Directive du Conseil européen de coordination bancaire (cf. bibliographie N0 31) et la Directive du Conseil européen pour la mise en œuvre de la libération complète des mouvements de capitaux (cf. bibliographie N0 52). En cours d'expérience, nous serons tout naturellement amené à introduire, dans le champ de notre examen, d'autres dispositions communautaires relevant du domaine bancaire au sens large, sans pour autant viser à l'exhaustivité. 77 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE 6.2. La Deuxième Directive de coordination bancaire: exemple d'application d'une stratégie de la réciprocité 6.2.1. Importance de la Deuxième Directive L'acte législatif que représente la Deuxième Directive (cf. bibliographie N0 31), selon son considérant N°1, constitue «l'instrument essentiel pour la réalisation du marché intérieur décidée par YAacte unique européen (cf. bibliographie N0 21) et programmée par le Livre blanc» (cf. bibliographie N° 29). En d'autres termes, le Marché unique ne se réalisera pas sans la libéralisation des services bancaires et la liberté d'établissement des établissements de crédit. L'intégration du domaine bancaire au processus global s'explique par l'importance relative qu'il a prise depuis le début des années septante dans le Produit intérieur brut. Il s'agit par ailleurs de donner une impulsion décisive et définitive au dynamisme intérieur, en intégrant l'activité d'essence purement financière sans relation avec les échanges de marchandises, de la même façon que celle dont l'existence est conditionnée par les échanges de marchandises. Il est intéressant de relever que, pour la Suisse, l'importance relative du domaine bancaire dans le Produit intérieur brut, ainsi que la part relative des activités d'essence purement financière par rapport au total des activités économiques sont nettement plus importantes qu'en moyenne dans la Communauté, et que dans n'importe lequel de ses partenaires dans l'AELE. A cela s'ajoute l'importance des termes financiers que représente la relation de ce pays avec la CE. Enfin, il s'agit de placer notre analyse dans un contexte conjoncturel nouveau, caractérisé par le fait qu'un des facteurs déterminants pour la croissance de la place financière suisse, et partant pour la santé de l'économie de ce pays, est en voie de disparition. Il s'agit, en bref, du caractère restrictif des normes appliquées en général par nos pays partenaires d'Europe. L'impact de ces facteurs est fonction d'une part des divergences en matière de politique économique et, d'autre part, de l'état de santé économique des pays qui nous entourent. Il est évident que la Suisse a largement profité, en tant que paradis fiscal d'abord, puis, plus tard, en tant que place refuge, des contraintes imposées par ses partenaires européens à la clientèle bancaire. Or, force est de constater que ces critères d'élection disparaissent rapidement, voire ont pratiquement disparu selon les cas. C'est l'une des conséquences que comporte, pour la Suisse, la déréglementation générale, et l'intégration des marchés financiers, que de voir disparaître par là une partie de ses avantages comparatifs. En théorie, la réalisation du Marché financier unique mettra en l'occurrence les Douze dans le type de situation privilégiée d'une économie largement libéralisée et compétitive, qui avait individualisé par contraste la Suisse depuis 1945. L'initiative communautaire dans le domaine financier tire un substantiel surcroît d'importance pour des motifs relevant des circonstances: — d'abord, son programme de réalisation se trouve concrétisé en une stratégie claire et précise mentionnant des objectifs mesurables, ce qui n'est le cas pour aucune autre institution que ce soit le GATT ou l'AELE; 78 LA COOPÉRATION DANS LE DOMAINE BANCAIRE — ensuite elle participe d'un tempo nettement plus rapide et à ce jour plus efficace que le processus introduit au GATT, dans le cadre de la libéralisation des services et des flux de capitaux. Or, ce double processus de déréglementation et d'intégration des Marchés financiers communautaires tire son existence en bonne partie de la Deuxième Directive (cf. bibliogra- phie N0 31), laquelle, dans ses considérants 18 et 19, énonce que la dynamique de la coopération dans le domaine bancaire avec les pays tiers repose sur l'obligation de réciprocité. La Proposition de Directive mentionnait explicitement ce principe à son article 7. C'est dire l'importance que revêt ce projet de dispositif législatif, et particulièrement l'analyse du concept de réciprocité qu'il contient. En conclusion, l'acte législatif que représente la Deuxième Directive pose à ses articles 8 et 9 les règles de comportement que la CE entend voir adopter par les établissements de crédit des pays tiers, pour qu'ils bénéficient du droit de participer au processus d'intégration du marché financier des Douze, alors même qu'il constitue, pour les Douze, la pierre angulaire de cet édifice que sera le Marché unique. 6.2.2. La philosophie de la réciprocité dans la Deuxième Directive de coordination bancaire On découvre à la lecture des «remarques préliminaires» de la Proposition de Deuxième Directive qu'il est fait, de façon explicite, dans l'application de la philosophie libre- échangiste, une distinction entre les champs internes et externes à la Communauté. En effet, constatant de façon pragmatique qu'elle évolue dans un «monde financièrement très interdépendant», elle se proclame «l'un des marchés les plus ouverts du monde». Cepen- dant, elle annonce que c'est sur les «marchés intérieurs» qu'elle «base sa politique de libéralisation des services financiers». Au plan externe, soit au plan mondial, elle renvoie les tiers intéressés à une coopération en matière de libéralisation des services financiers, ou à ce qu'elle définit de la façon la plus large et la plus vague comme étant «les efforts entrepris en vue d'une libéralisation des services financiers», efforts entrepris «qu'elle ne perd pas de vue», et pour le suivi desquels elle renvoie aux négociations en cours auprès du GATT sur les échanges de services. Ainsi, selon nous, la CE annonce clairement qu'elle ne compte que sur elle-même pour accomplir la libéralisation de son propre marché financier, qu'elle procédera à son propre rythme et qu'elle se réserve de le faire indépendamment de la coopération avec l'extérieur, au besoin. Consciente cependant de l'interdépendance qui caractérise le domaine financier, elle annonce qu'elle ne se ferme pas sur l'extérieur en édictant le principe de la réciprocité, comme critère d'articulation de ses relations avec les pays tiers, afin de négocier au plan bilatéral, comme au plan multilatéral, les avantages qu'elle entend en retirer. En imposant la réciprocité comme règle du jeu, la CE se met en position de force et démontre qu'elle escompte retourner à son avantage les atouts dont disposent les pays tiers en matière financière. Il nous paraît en conséquence logique d'observer que tout pays tiers qui 79 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE disposerait d'une certaine avance en matière de services financiers par rapport à la CE risque de la perdre s'il ne se met pas d'emblée en position de négociation dans ce segment de la coopération qu'est le domaine bancaire. Or, c'est précisément ce que ne fait pas, à notre connaissance, la Suisse, alors qu'elle compte précisément au nombre des pays qui disposent de la plus grande avance en l'occurrence, et contre lesquels le risque existe que la CE adopte un comportement visant à un certain protectionnisme. En bref, la CE nous laisse ce message : «Ou bien vous négociez à notre avantage et vous bénéficiez de la dynamique du marché intérieur, ou bien vous ne jouez pas notre jeu et vous ne bénéficiez pas de cette dynamique. » Le risque d'un comportement protectionniste, qui se concrétiserait par une application restrictive de la réciprocité, représente à nos yeux un des éléments constitutifs de la structure de la relation des pays tiers avec la CE. Il s'agit de ce que nous appelons dans la présente étude «le potentiel de réciprocité négative», soit le degré de probabilité que la réciprocité soit utilisée dans le but d'entraver l'échange, en l'occurrence financier, à titre dissuasif, d'exercer des représailles ou de poursuivre la sauvegarde de ce que la CE appelle «l'intérêt général», par opposition au but d'expansion dans les pays tiers. Or, le degré de probabilité pour l'apparition d'une réciprocité négative nous paraît suffisamment élevé pour qu'il soit considéré comme un des paramètres de l'équation de la coopération avec la CE. Il s'agit à nos yeux d'une inconnue dont la valeur par rapport aux autres paramètres de cette équation dépendra notamment des six facteurs suivants : a) le degré d'achèvement du Marché financier unique (plus ce degré sera élevé, plus le risque diminuera) ; b) la qualité de la conjoncture économique favorable à très favorable jusqu'à aujourd'hui dans les Etats membres (on ne peut exclure qu'elle connaisse un retournement de tendance) ; c) les arrière-pensées politiques de chacun des Etats membres d'une part et de la CE prise dans sa globalité d'autre part; d) la force de pénétration de la concurrence tierce ; e) l'efficacité sur l'axe nord-sud et, vu la vague actuelle de libéralisation à l'Est, sur l'axe ouest-est du système de réallocation des ressources qui est le corollaire du théorème de la libéralisation des services financiers et de la libération des flux de capitaux ; f) la poursuite de la pénétration japonaise dans le tissu économique européen sans contrepartie réelle dans le marché nippon, dans la mesure où un comportement différen- cié de la CE en fonction de chaque pays tiers pris individuellement nous paraît difficile. En conclusion, pour nous, la philosophie qui a présidé à l'élaboration du concept de réciprocité promulgué par la Deuxième Directive de coordination bancaire peut être qualifiée à la fois de protectionniste et de libérale. Elle institutionnalise d'une part une position de repli possible que les Accords généraux du GATT ont cherché à bannir des termes de l'échange et, d'autre part, un ressort à l'expansion d'abord vers l'extérieur et, ensuite seulement, comme un mouvement de réaction atténué, à l'intérieur de la CE. L'esprit dans lequel sera vraisemblablement appliquée la règle de la réciprocité nous paraît bien dépeint par exemple dans la note d'information (cf. bibliographie N0 32) qui se réfère aux commentaires de sir Leon Brittan, alors vice-président, et responsable des services 80 LA COOPÉRATION DANS LE DOMAINE BANCAIRE financiers de la Commission, dont on connaît le rôle décisif joué dans la perspective d'un assouplissement de la règle de la réciprocité, reflétant en cela les nuances, si ce ne sont les divergences, qui régnent par exemple entre l'approche d'un pays comme l'Angleterre, qui a déjà libéralisé, et d'un pays comme la France qui n'a pas encore achevé le processus. Faisant allusion aux propositions de modification de la Deuxième Directive, il les qualifie de «message clair pour nos partenaires commerciaux indiquant que nous sommes favorables à l'établissement de leurs banques dans la Communauté» et ajoute: «Nous nous bornerons à nous défendre si nous faisons réellement l'objet de discriminations.» La proposition de directive définit la stratégie de la réciprocité, qu'elle met en place par paliers successifs, comme des cercles qui s'emboîteraient les uns dans les autres jusqu'à ne devenir plus qu'un point. 6.2.3. Les «cercles» de la réciprocité Nous basant à la fois sur les remarques préliminaires, les considérants, ainsi que le corps tant de la Proposition que de la Deuxième Directive (cf. bibliographie N0 31), nous proposons de distinguer les cinq niveaux ou «cercles» de la réciprocité suivants: a) le cercle du partenariat commercial ; b) le cercle du traitement national ; c) le cercle des accès réels, effectifs et faciles; d) le cercle des équivalences ; e) le cercle des conditions de concurrence. 6.2.3.1. Le cercle du partenariat commercial Pour reprendre les termes employés par sir Leon Brittan (cf. bibliographie N0 32, p. 1 dernier alinéa), l'assouplissement de la procédure relative à l'autorisation de s'établir pour des banques de pays tiers est «un message clair pour nos partenaires commerciaux indiquant que nous sommes favorables à l'établissement de leurs banques dans la Communauté». Il s'agit du cercle le plus lâche par lequel il faut passer, en tant que pays tiers, puisque la qualité de partenaire commercial peut, a priori, s'étendre à l'ensemble de la gamme des échanges commerciaux, sans distinction entre exportateur et importateur, et sans tenir compte des termes de la balance commerciale. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une contrainte, pour la simple raison que la qualité de partenaire commercial se trouve être mentionnée comme un critère de sélection. Que le véhicule choisi pour transmettre le message évolue en dehors du corps législatif ne signifie pas à nos yeux qu'il ne comporte pas une portée contraignante. D'abord il contribue à révéler dans quel esprit le législateur a négocié l'assouplissement que constitue la Deuxième Directive entre les Etats plutôt libéraux tels que l'Allemagne, l'Angleterre, le Luxembourg et les autres Etats qui ne sont pas encore parvenus au même degré de libéralisation, dont la France. Nous dirons que le critère du partenariat commercial relève de l'esprit du législateur. Nous avancerons qu'il serait susceptible de constituer l'un des critères pouvant servir d'articulation entre l'existence d'une éventuelle arrière-pensée politique et son expression concrète par le biais de la directive. 81 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Nous concédons que l'exercice peut se pratiquer dans le sens d'une importation de réseaux entiers de banques étrangères qui apporteraient à la Communauté des ressources supplémentaires et importantes. Nous sommes d'avis que rien ne devrait empêcher la négociation de porter sur une contribution des pays tiers à l'inévitable effort de réallocation des ressources sur l'axe nord-sud, ou, comme déjà évoqué, sur l'axe ouest-est. A la limite les banques tierces se verraient imposer une implantation et un engagement direct dans les régions les moins favorisées de la Communauté. Nous sommes d'avis qu'un tel bras de levier peut, en théorie au moins, par l'application d'une stratégie de la réciprocité diffuse, être utilisé dans le but de réduire un déficit commercial, en négociant soit un contingentement des exportations, par exemple japonaises, soit une ouverture plus libérale d'un marché tiers, en échange d'une implantation d'un réseau bancaire dans la Communauté. Pour poursuivre notre exemple, nous imaginons possible que, vu la part prépondérante que devrait prendre la production automobile japonaise depuis l'intérieur de la CE ces prochaines années, cette dernière, constatant l'inefficacité d'une négociation portant sur les termes de l'échange commercial, décide de constater que les conditions de partenariat commercial ne se trouvent en l'occurrence pas satisfaites, et décide d'ériger des contraintes supplémentaires, éventuel- lement dirimantes, pour l'établissement de banques japonaises sur son territoire. A l'inverse, l'établissement d'un réseau de banques japonaises, venant se greffer sur le tissu industriel d'obédience nippone en Europe, connaîtrait instantanément un développement qui le porterait aux premiers rangs bancaires européens. Les synergies développées entre les secteurs tertiaire et secondaire, en faveur des Japonais, prendraient une importance détermi- nante pour l'équilibre général des forces économiques en présence. La Banque de Yokohama, par la voix de son directeur général, Ken-Ichi Ozawa, a expliqué, lors du European Finance Symposium, à Anvers, le 25 octobre 1989, précisément que sa stratégie en Europe se basait sur l'obligation de réciprocité pour le déclenchement de la coopération. Pour Ozawa, l'achat par sa banque de la Guiness Bank à Londres, soit d'une «résidence» communautaire, était le seul moyen d'éviter les conséquences d'une éventuelle réciprocité négative de la part de la CE. Pour lui, cette dernière se montre clairement protectionniste et, si une banque régionale telle que la sienne est amenée à une expansion européenne, ce sera a fortiori le cas pour les grandes banques commerciales japonaises. En outre, selon Ozawa, la clientèle japonaise sur place montre la volonté de travailler avec ses banques habituelles au Japon, précisément pour ne pas donner prise aux éventuelles conséquences d'une réciprocité négative appliquée par le truchement du domaine bancaire. Nous sommes d'avis que cette stratégie devrait faire l'objet de réflexions urgentes, non seulement de la Suisse, de l'ASB, puisque nous sommes un pays^tiers comme le Japon, mais également de nos banques régionales. Le principe d'un appareil bancaire tiers dans la CE dépend du surplus de la balance commerciale qu'est capable de dégager le pays tiers d'origine. Dans cette optique, les banques des USA se trouvent dans une situation désespérée, au contraire des banques japonaises qui viennent s'y établir avec leur épargne nationale exprimée en $US. C'est à nos yeux cette puissance sui generis là, contre laquelle il s'agit de faire face. 82 LA COOPÉRATION DANS LE DOMAINE BANCAIRE Les Japonais vont négocier des droits de douane pour se plier en apparence aux exigences occidentales, mais leur objectif consiste à maintenir ou développer leur surplus commercial. Une banque japonaise peut s'installer en Suisse avec, mettons 10 milliards de dollars de fonds propres demain, Mitsubishi, avec un chiffre d'affaires équivalent aux deux tiers du PNB suisse peut s'appuyer sur cette banque pour se déployer en Europe sur la base de l'épargne japonaise. Dans ces conditions, on peut se demander s'il est encore loisible de parler de concur- rence, de concessions équilibrées ou d'«équivalence de concessions» (cf. § 4.3). Avec son surplus de la balance courante, et son volume d'épargne, la Suisse se trouve certes en position favorable, mais la dimension de ses ressources se situe à un niveau trop modeste pour que le rattachement au SME ne constitue pas le seul comportement valable dans le cadre d'une dynamique de la coopération basée sur une réciprocité portant «équiva- lence des concessions». La discipline dont font preuve les Japonais et la taille de leur marché leur permettent de contrôler leur taux d'intérêt. Ce n'est à nos yeux pas, ou plus le cas de la Suisse, et c'est là le problème économique que nous avons à résoudre. En conclusion, la Suisse en tant que partenaire commercial de première importance pour la CE, voire l'AELE de par le déficit commercial substantiel qu'elle entretient avec la CE, se trouverait à nos yeux dans une position privilégiée en l'occurrence. C'est pourquoi il nous paraît particulièrement opportun que ces entités utilisent également ce segment de la coopération, que constitue l'échange commercial avec la CE, pour se hisser sur l'axe faible- fort à pied d'égalité avec la CE. Ce nonobstant, il nous paraît tout aussi évident que la Suisse fait partie des pays tiers et qu'elle court, en tant que tel, le risque non négligeable d'un traitement non différencié, particulièrement dans des segments ou des sous-segments de la coopération stratégiquement sensibles. Nous le voyons une fois de plus, l'idée de base-de la CE consiste à se placer en position de force, dans le but de négocier des concessions en sa faveur, par le biais de l'obligation de la réciprocité pour une dynamique de la coopération. 6.2.3.2. Le cercle du traitement national Alors que la Proposition de Deuxième Directive parlait d'un « traitement de réciprocité», sans autre précision quant à son contenu que Y équivalence, ou l'accès facile dans les remarques préliminaires ch. 2, lit. e, d'un régime de la réciprocité au considérant 17 ou, plus simplement, de la réciprocité à l'article 7, tant la version définitive (cf. bibliographie N° 31) que la note d'information (cf. bibliographie N0 32) explicitent la notion de traitement national. Nous avons vu précédemment que, par traitement national, on entend le fait que l'Etat d'accueil traite les entités étrangères sur pied d'égalité au moins, avec les entités nationales. L'application de la clause du traitement national implique en l'occurrence l'élimination de toute discrimination portant contre les banques d'origine communautaire sises sur le territoire des pays tiers concernés. 83 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Il s'agit d'un deuxième cercle, de contour déjà nettement moins lâche que celui des partenaires commerciaux dans la mesure où il nous paraît se référer à un critère de portée essentiellement sectorielle. Cette limitation du champ d'application de la réciprocité ne signifie cependant pas à nos yeux que le critère du traitement national ne puisse être utilisé comme bras de levier dans l'application d'une stratégie de la réciprocité diffuse, cas échéant, dans l'expression d'une arrière-pensée politique ou d'une négociation intersectorielle. En matière fiscale par exemple, un traité de double imposition entre deux pays tiers pourrait être qualifié de discriminatoire par la CE si cette dernière n'en bénéficiait pas. La Convention XVI, ou dite «d'initiés», avant qu'elle soit remplacée par l'inclusion de l'article 161 au Code pénal suisse, de par le fait qu'elle réservait aux USA un traitement privilégié, aurait également pu être considérée comme discriminatoire. A la limite, le critère discrimina- toire comporte un effet pervers: il suffirait que la Suisse accorde à l'un, voire à onze des douze Etats membres un traitement privilégié donné, pour que le douzième Etat puisse exciper d'une discrimination et s'en prévaloir au niveau communautaire dans les douze Etats membres. Il est évident que l'introduction du critère du traitement national marque un assouplisse- ment dans le comportement coopératif de la CE par rapport au régime de réciprocité antérieurement promulgué. C'est à nos yeux la réponse donnée aux accusations de «forte- resse Europe», lancées notamment par les USA à l'occasion de la publication de la Première Directive de coordination bancaire. L'introduction de ce critère marque un pas vers le retour à l'orthodoxie des Accords généraux du GATT. Selon la Deuxième Directive (art. 9, al. 4), c'est la Commission qui est compétente pour juger de la façon dont le critère du traitement national est satisfait. C'est également elle qui est compétente pour décider des mesures à prendre. Elle peut soit : a) engager des négociations avec l'Etat tiers en vue d'obtenir le traitement national (art. 9, al. 4); b) décider que les autorités compétentes d'un ou des Etats membres «doivent limiter ou suspendre leurs décisions sur les nouvelles demandes d'agrément et prises de participa- tion» émanant du pays tiers en question. Ainsi, bien que l'introduction du critère du traitement national et l'annulation de la procédure automatique de suspension de l'octroi d'un agrément constituent un évident assouplissement de sa position, la CE se ménage, en l'occurrence, une marge de manœuvre importante, qui représente une contrainte nouvelle par rapport à la structure de la coopération existante ; c) «soumettre des propositions au Conseil» dans le dessein d'obtenir «des conditions de concurrence-comparables» par la négociation (art. 9, al. 3). On peut imaginer que le Conseil décide soit d'assumer lui-même les négociations qui se dérouleraient alors au plan supra-étatique et éventuellement inter-sectoriel, soit qu'il mandate la Commission, auquel cas la négociation se déroulerait au plan supra-étatique vraisemblablement sectoriel, soit de déléguer la tâche de la négociation aux autorités compétentes de l'Etat membre concerné. On ne peut à nos yeux exclure d'emblée le scénario d'une délégation conférée aux douze Etats membres, chacun devant agir séparément dans un cadre global 84 LA COOPÉRATION DANS LE DOMAINE BANCAIRE de coordination, procédure ou tactique qui reviendrait évidemment à mettre la contrepar- tie dans une position difficile. Il existe après tout un précédent, dans un secteur autre que le secteur bancaire il est vrai: celui des assurances-choses dans le cadre desquelles la Suisse a dû négocier avec treize contre-parties, soit les Douze pris séparément et la Commission pendant une quinzaine d'années environ; d) pour obtenir le traitement national, engager d'elle-même le processus de négociation en vue d'obtenir le traitement national (art. 9, al. 4). En conclusion, la Suisse paraît bien placée par rapport à ce second cercle de la réciprocité qu'est le traitement national, car elle l'accorde, même aux banques dont les pays ont une législation plus limitative que la sienne (la Suisse n'applique pas le principe restrictif de la réciprocité-miroir), à l'exception de la réciprocité qui constitue une condition supplémentaire spécifique aux établissements bancaires étrangers pour qu'ils obtiennent le droit d'exercer leurs activités (cf. § 3.5). 6.2.3.3. Le cercle des accès réels, effectifs et faciles Les critères d'accès réel et effectif sont explicités dans la Proposition de Deuxième Directive, à l'article 7, ch. 5. Quant au critère d'accès facile, il est mentionné dans les remarques préliminaires ch. II, lit. e, al. 2 de la Proposition de Deuxième Directive (non modifiée). Seule la notion d'accès réel subsiste dans la forme définitive, qui introduit de surcroît celle d'accès comparable (art. 9, al. 3). Si le critère d'accès facile n'a été repris ni dans la proposition modifiée de directive ni dans la version définitive, c'est vraisemblablement suite à l'introduction du principe du traitement national, marquant ainsi un pas supplémentaire vers le libéralisme. Il est évident qu'un critère, tel que l'accès facile, aurait pu prêter à une interprétation des plus larges du régime de réciprocité, et n'aurait guère contribué à assurer la sécurité du processus de négociation. Nous mentionnons ce critère nonobstant sa disparition du dispositif normatif, car il témoigne, à nos yeux, d'un certain état d'esprit qui a prévalu à l'élaboration de la directive, et dont rien ne permet de penser qu'il n'est pas encore sous-jacent dans le groupe des Etats membres ayant atteint à ce jour un degré relativement moindre de libéralisation. Or, il s'agit de ne pas oublier que le négociateur tiers se trouve face à un processus de décision majoritaire. Quant à l'éventuelle portée pratique d'une nuance qui démarquerait les critères d'accès réel et effectif, nous n'en voyons guère à ce stade. Si accès réel peut se traduire par accès à des activités bancaires concrètes, accès effectif peut peut-être donner à ces activités une dimension plus grande qui leur confère le caractère d'être tangibles au niveau d'une politique d'entreprise, soit de déboucher par exemple sur des activités considérées comme principales pour la production d'un cash-flow «normal». Nous concentrerons notre analyse sur le concept d'accès effectif, compte tenu du caractère incertain de cette nuance, et du fait que c'est ce dernier qui est mentionné dans le corps même du dispositif normatif. 85 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Comme le précise la Deuxième Directive, ce nouveau critère d'accès est destiné à préciser le contenu du concept du traitement national, et à conférer à l'application pratique de son principe une portée effective. Le cercle des accès réels présente un contour plus serré que les cercles du partenariat commercial et du traitement national. Un pays tiers peut, en effet, avoir permis à une banque communautaire de franchir les deux premiers, et rendre l'accès au troisième suffisamment contraignant pour que le critère d'accès effectif puisse être considéré comme non rempli. Certains critères, tels que la rentabilité, la part du marché, peuvent, à ce titre également, entrer en ligne de compte. En ce qui concerne la Suisse, la densité de banques étrangères qui y exercent une réelle activité nous permet de conclure qu'elle occupe une place privilégiée parmi les pays tiers, dans la perspective d'une négociation basée sur le critère de l'accès effectif. Si cet état de fait paraît relever du sens commun suisse, il nous paraît cependant que l'élément intéressant le négociateur, dans la perspective d'une dynamique de la coopération basée sur l'obligation de réciprocité, n'a pas encore été relevé en tant qu'atout dans un segment majeur de la coopération. Par ailleurs, la politique de contingentement de la main- d'œuvre étrangère et des biens immobiliers que nous pratiquons, nous paraît représenter un risque de réciprocité négative dans le cadre d'une négociation, risque qu'il serait imprudent de négliger. Il est évident en effet que la Suisse, de par l'importance relative des implantations bancaires sur son territoire, la diversité de leurs pays d'origine, le caractère universel des activités qu'elles sont en droit d'y déployer (à telle enseigne que certaines d'entre elles profitent en l'occurrence d'un régime plus libéral en Suisse que dans leur pays d'origine (cf. § 3.5.5), jouit de ce type d'atout réel que nous avons précédemment décrit comme étant un segment de coopération. Cet atout nous démarque, de façon très nette, par rapport à nos partenaires de l'AELE, et devrait contribuer à nous permettre de nous hisser à pied d'égalité sur l'axe faible-fort Suisse-CE, au moins dans le domaine bancaire. Il n'est pas exclu a priori que par le bras de levier que confère la réciprocité diffuse, un tel atout ne contienne pas un potentiel d'effets plus larges que le strict domaine bancaire. Encore faudrait-il que la Suisse conservât son potentiel de placements et ses ressources en financement bon marché, et que la politique monétaire menée par la BNS demeurât crédible. Nous examinerons plus loin les tendances que semble suivre la place financière suisse. Quoi qu'il en soit, nous disposons là d'un argument supplémentaire pour une approche bilatérale, et en tout cas pour trouver une formule qui nous permette d'éviter un «nivellement par le bas» dans le cadre de l'AELE et de la création d'un Espace économique européen. En ce qui concerne notre politique de contingentement de la main-d'œuvre étrangère, il ne nous paraît pas exclu qu'un des Douze, l'Espagne par exemple, demande à ce que les principes de la libre circulation des personnes et du droit d'établissement soient appliqués notamment pour ses implantations, voire garantis formellement pour ses futures implantations bancaires en Suisse. Selon Jean-Paul Chapuis, secrétaire général de l'ASB (entretien du 20 novembre 1989), il n'y aurait pas, en l'occurrence, potentiel de réciprocité négative, pour la raison qu'en pratique la Suisse montre toujours assez de 86 LA COOPÉRATION DANS LE DOMAINE BANCAIRE souplesse pour permettre à une banque étrangère de disposer de la proportion de cadres de son pays d'origine dont elle a besoin. Nous pensons quant à nous devoir nuancer cette affirmation pour deux raisons. Le représentant de l'ASB se réfère, à nos yeux, à ce que nous qualifions de politique officielle du CF, à savoir une approche pragmatique, rythmée au cas par cas, consistant à jeter des passerelles entre nous et la CE, à chaque fois que notre intérêt le justifie. Or, selon des hauts-commissaires européens tels que Paolo Clarotti, chef de Division, Commission de la CE, consultés spécifiquement à ce propos dans le cadre du European Symposium, à Anvers, des 24 et 25 octobre 1989, le problème présente un caractère suffisamment délicat pour qu'il faille éviter d'émettre aujourd'hui toute déclaration péremp- toire. En effet, l'approche de la CE se situe à un plan global et normatif, ce qui rend difficile l'établissement d'une coordination pour le déclenchement de la coopération, avec l'approche ponctuelle et pragmatique de la Suisse. Secondement, il a été annoncé dans l'intervalle que la CE conditionnait la signature d'un accord portant création de l'Espace économique euro- péen, notamment à la reprise par l'AELE de l'acquis communautaire, donc notamment la libre circulation des personnes et le droit d'établissement. Enfin, l'on sait que la Suisse devra revoir son statut des saisonniers (cf. « AGEFI » du 16 janvier 1990). Selon les représentants de la Commission européenne rencontrés au European Symposium précité, la Suisse devra au moins supprimer le statut de saisonnier et ce serait l'Espagne qui y pousserait. Il ne faut pas oublier que, même si la revendication procède d'un seul Etat membre, la Communauté parle en l'occurrence d'une seule et même voix. Pour la politique de contingentement du sol et des immeubles, soulignons qu'il ne paraît pas théoriquement exclu que l'interdiction pour une banque communautaire d'acquérir ses immeubles en Suisse soit imputée en diminution du crédit pour l'accès effectif. Il s'agit, en l'occurrence, de situer cet état de fait à sa bonne place, dans une négociation coordonnée au plan global, et d'éviter qu'il devienne un prétexte à l'application d'une réciprocité négative, sans perdre l'initiative de la négociation, particulièrement pour un des segments de la structure de la coopération qui nous met en position de faiblesse. En conclusion, la Suisse nous paraît bien placée, également en ce qui concerne le cercle des accès réels et effectifs, voire même faciles si ce critère devait être réutilisé, mais la structure de coopération qu'elle présente comporte des contraintes qu'il s'agit, pour les unes, de les transformer en atouts, pour les autres de minimiser leur potentiel de réciprocité négative, dans la perspective d'une coordination selon la théorie des jeux. Pour terminer, mentionnons que la CE se réserve le droit d'entamer des négociations avec les pays tiers, dans l'hypothèse où le critère de l'accès effectif ne serait pas rempli, de la même façon que nous l'avons examiné à propos du cercle du traitement national (cf. § 6.2.3.2). Nous retombons, mutatis mutandis, en effet dans les mêmes possibilités de scénario, à l'exception de la procédure de décision réglementée en l'occurrence par l'article 9, alinéa 3. En résumé, la Commission peut soumettre au Conseil des propositions en vue d'obtenir un mandat de négociation, le Conseil statuant à la majorité qualifiée. Si la durée des mesures visées «ne doit pas excéder un an», la Commission peut néanmoins «proposer leur prorogation», sans qu'une limite temporelle soit aucunement 87 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE fixée. Bien que, dans l'hypothèse d'une prolongation, la compétence de la Commission se limite à faire une proposition, on imagine combien usera aisé, pour l'un quelconque des Douze, de maintenir son opposition à l'octroi d'un agrément bancaire en se retranchant derrière l'opinion de la Commission. Il n'apparaît en outre pas clairement si les autorités compétentes d'un Etat membre ont le droit de prolonger le délai en l'absence d'une proposition de la Commission. 6.2.3.4. Le cercle des équivalences Ce troisième cercle de la réciprocité représente un accès à la fois étroit, et au contour à nos yeux mieux défini que les trois cercles précédents. Si le critère de l'équivalence n'a fait l'objet d'une mention explicite dans le corps même ni de l'ancien ni du nouvel article 7 de la Proposition de Deuxième Directive, le nouvel article 9, alinéa 3, avance la notion de «possibilités de concurrence comparables», se substituant à nos yeux à l'expression de «traitement équivalent» qui apparaît en toutes lettres à la fois dans les remarques préliminaires ch. 2, lit. e, al.' 2 et dans la note d'information (cf. bibliographie N0 32, p. 2). La même notion apparaît également au 14e considérant de la Proposition de Deuxième Directive sous l'expression de «conditions concurrentielles qui soient comparables à celles accordées par la Communauté aux banques non communau- taires», et au 19e considérant de la forme définitive qui parle «d'évaluer la réciprocité sur une base communautaire». C'est, à nos yeux, cependant dans les commentaires de sir Leon Brittan repris par la note d'information (p. 1) que nous trouvons le libellé le plus révélateur de l'esprit du législateur communautaire, à savoir: «Si nos partenaires ont une législation bancaire réellement non discriminatoire mais moins libérale, celle-ci fera l'objet de négociations. » Ainsi le critère de l'équivalence apparaît comme la comparaison des degrés de libéra- lisme avec lesquels les établissements de crédit de la CE sont traités dans les pays tiers, le seuil minimal étant établi au niveau du libéralisme communautaire. A supposer que ce niveau ne soit pas exactement le même selon les Etats membres, même dans l'hypothèse d'une stricte application des directives concernées, il faut partir de l'idée que celui des Douze qui présentera le degré d'achèvement le plus grand de déréglementation sera choisi comme référence. En d'autres termes, par le concept de l'équivalence, la CE se donne un bras de levier supplémentaire dans une dynamique de la coopération basée sur l'obligation de réciprocité, puisque d'une part elle prend comme référence son propre système au degré d'achèvement le plus grand, et que d'autre part elle fait appel au puissant ressort de la réciprocité spécifique, sans bien entendu exclure pour autant la possibilité d'exploiter celui de la réciprocité diffuse. La CE partant de la constatation (cf. Proposition de Directive, remarques préliminaires ch. 2, lit. e, al. 2) qu'« aussi bien d'un point de vue réglementaire que sur le plan des faits, la Communauté est l'un des marchés les plus ouverts du monde», il paraît justifié de conclure que par l'introduction de l'obligation de la réciprocité dans la dynamique de la coopération, elle se place en situation de force dans la perspective de futures négociations avec ses « partenaires commerciaux ». 88 LA COOPÉRATION DANS LE DOMAINE BANCAIRE Il relève du sens commun que la Suisse passe, sinon pour le pays le plus libéral dans le domaine bancaire, du moins pour l'un des plus libéraux. Ce serait cependant à nos yeux commettre une erreur d'importance stratégique que de croire que la Suisse, et particulièrement la place financière suisse, puisse se contenter d'adopter une attitude qui reposerait sur le statu quo, dans la perspective d'une inéluctable négociation en vue de la coordination nécessaire si possible pour le développement, et tout au moins pour le maintien de la dynamique de la coopération. Certains de nos arguments sont maintenant connus, à savoir d'abord le fait que cette situation constitue un segment de la coopération qu'il s'agit d'utiliser à bon escient dans le cadre d'une stratégie coordonnée de coopération, pour nous hisser à pied d'égalité sur l'axe faible-fort. Ensuite le fait que, en tant que pays tiers, nous nous présentons automatique- ment à flanc découvert dans une éventuelle structure de confrontation avec des pays tels que le Japon, les Quatre Tigres ou les USA et que nous risquons d'en subir les effets indirects. De surcroît, nous sommes d'avis que certains éléments constitutifs de notre structure de coopération présentent un risque de défaut de coordination. Nous aurons l'occasion d'appro- fondir ces plates-formes de réciprocité négative potentielle plus loin (cf. § 7), et voulons nous contenter d'en mentionner quelques-uns à ce stade, à savoir: — l'entraide administrative en matière fiscale en ce qui concerne le critère même de l'équivalence; — la survivance d'un certain régime cartellaire en matière bancaire, en ce qui concerne le sous-critère des conditions de concurrence comparables. En conclusion, la Suisse nous paraît se situer en position relativement favorable sur le chemin de l'accès au cercle de l'équivalence, à la condition de ne pas se contenter du statu quo et de ne pas se reposer sur l'acquis, d'une part en faisant jouer ses atouts dans des segments de coopération bien définis, et d'autre part en veillant à circonscrire le potentiel de réciprocité négative au strict minimum nécessaire. 6.2.3.5. Le cercle des conditions de concurrence Nous estimons ne pas avoir à approfondir ce cinquième cercle de la réciprocité, dans la mesure où il a été passé en revue dans Ie cadre de celui des équivalences, en tant que sous- critère à la fois de la définition d'équivalence et d'accès réel et effectif. Qu'il nous soit permis de nous contenter de mentionner que le critère des conditions de concurrence, explicitées dans la Deuxième Directive, permet de renforcer celui de l'équivalence, en soulignant l'aspect matériel du concept de réciprocité auquel il est fait appel. Il n'est pas exclu, en conclusion, que ce critère puisse être évoqué, lorsque les conditions formelles de réciprocité sont remplies et que certaines conditions matérielles ne le sont pas. Il va sans dire qu'il s'agit, de toute façon, d'un cercle supplémentaire bien défini, d'accès plus étroit que les quatre précédents, et qui permet à la CE de mettre en œuvre une stratégie de la réciprocité spécifique, a priori inconditionnelle, sans exclure pour autant, encore une fois, le potentiel d'utilisation du bras de levier de la réciprocité diffuse. 89 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE 6.2.3.6. Conclusion En tant que pays tiers, la Suisse devra remplir de façon satisfaisante les cinq critères qui délinéarisent, selon notre analyse, le contenu de la structure de la coopération, tel que défini explicitement par la CE dans le domaine bancaire et dans le cadre d'une stratégie de la réciprocité, si elle entend participer au Marché financier unique. Notre analyse aboutit à la conclusion que, à première vue, la Suisse se trouve relativement bien positionnée par rapport aux cinq cercles de la réciprocité qui donnent accès au Marché financier unique. Il nous est apparu, cependant, que la Suisse disposait de segments de coopération représentant des atouts dans la perspective d'une négociation basée sur l'obligation de réciprocité, et qu'il lui restait, d'une part, à les faire valoir de façon opportune et, d'autre part, de faire en sorte qu'elle ne dilue pas ses atouts dans le mélange que constituerait une approche indifférenciée, au plan multilatéral, par l'AELE, dont il résulterait un précipité du genre d'un Espace financier unique, dans le cadre duquel notre place financière perdrait, ou verrait diminuer, l'ensemble des avantages qui en font encore l'une des plus importantes du monde. Il nous est apparu également que la structure de notre coopération dans le domaine bancaire n'était pas sans représenter, de par certains de ses éléments, un risque de ce que nous avons appelé réciprocité négative. Nous avons constaté que le Marché financier unique comporterait, entre autres, un avantage par rapport au marché financier externe, à savoir la suppression en son sein de la règle de la réciprocité. Cette suppression n'est possible que moyennant la mise en place d'une démarche normative ou législative au caractère supranational, ayant pour but la réglementation de l'ensemble du domaine bancaire, et impliquant une méthode qui consiste dans l'application d'un double principe, à savoir l'harmonisation des règles essentielles et la reconnaissance de l'équivalence pour les autres règles, par le biais du contrôle par le pays d'origine. Or, nous avons vu, suite à l'incursion que nous avons entreprise dans la théorie des jeux, que la coordination était la plate-forme nécessaire pour que se déclenche une dynamique de la coopération basée sur l'obligation de réciprocité. Face au dynamisme de la coopération communautaire, que ce soit dans son expression interne ou externe, la Suisse ou l'AELE n'ont, ni l'une ni l'autre, à ce jour, procédé de leur propre initiative à une démarche semblable. Il nous faut donc maintenant tenter de vérifier si les conditions de maintien ou d'établissement d'une plate-forme de la coordination, au sens de la dynamique de la coopération basée sur l'obligation de réciprocité sont satisfaites et, cas échéant, quelles conditions il reste encore à remplir. Une telle démarche comporte un caractère insolite, dans la mesure où le comportement à adopter par un pays tiers dans la structure de la relation qu'il entend construire avec la CE, ne souffre pas l'attente de la promulgation d'un texte législatif définitif au plan éclaté des Douze. C'est là, à nos yeux, une caractéristique du dynamisme de l'intégration européenne, une marque de faiblesse de ses partenaires et, notamment, de l'AELE, pour les partenaires de 90 LA COOPÉRATION DANS LE DOMAINE BANCAIRE laquelle, et tout spécialement pour la Suisse, c'est la démarche inverse qui paraît devoir être suivie. La grande innovation dont fait preuve la Commission consiste, nous le répétons, à dresser une prospective normative qui contraint les partenaires, qu'ils soient membres de la Communauté ou non, ainsi que les événements, à se placer dans la perspective et la situation voulues par la Commission et le Conseil européens. Pour ce faire, nous proposons de passer en revue un certain nombre de dispositifs normatifs, en essayant de déterminer, à chaque fois, si les conditions de coordination paraissent remplies et, cas échéant, de qualifier le risque de réciprocité négative potentielle. 91 7. Les plates-formes de coordination 7.1. Les principes fondamentaux de la démarche communautaire Selon le message du CF (cf. bibliographie N° 13, p. 17), la CE constitue, pour un pays tiers comme la Suisse, une «union douanière». Certes le CF précise immédiatement que cette entité est «administrée à un niveau supranational» et que «les Etats membres ont cédé leurs compétences en matière de commerce extérieur aux instances communautaires». Ainsi on a l'impression que nos autorités placent la plate-forme de coordination au niveau du partenariat commercial, du moins pour le moment. Un peu plus loin (cf. ibidem p. 18 in fine), le CF souligne que Y Acte unique n'a pas modifié, mais plutôt complété, l'objectif initial du Traité de Rome, à savoir la réalisation d'une communauté économique par l'ancrage implicite du principe de V Union économique et monétaire à l'article 102 A, et qu'il en a souligné l'objectif final, à savoir Yintégration politique par l'ancrage explicite du principe de la coopération en matière de politique étrangère (cf. Acte unique, Préambules). S'il est vrai que l'union douanière se caractérise par un tarif extérieur commun, dont l'application entraîne une politique extérieure commune, il n'en reste pas moins que le processus d'intégration suivi par la CE constitue un exercice d'une autre nature, essentielle- ment politique. Ainsi, le libre-échange conserve son statut, tel que défini par le GATT, mais l'union douanière communautaire va plus loin par l'intégration même, et la Suisse se doit de le réaliser et de s'y adapter. A nos yeux, nous nous trouvons devant un marché intérieur, caractérisé par l'harmonisa- tion progressive des dispositifs normatifs essentiels, et l'application du principe de l'équiva- lence pour les autres dispositifs, évolution en cours et qualifiée par le CF lui-même «d'irréversible» (cf. bibliographie N0 13, p. 26, ch. 312.1, in fine), qui implique un processus supranational d'élaboration du droit, et la prééminence de ce dernier sur le droit national. En d'autres termes, la CE a d'ores et déjà évolué d'union douanière en marché commun, ou plutôt en marché intérieur, et la plate-forme de coordination ne se situe pas au niveau commercial, mais au niveau normatif. La CE ne négocie plus des concessions en 93 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE matière de tarifs douaniers, mais plutôt les conditions globales de la déréglementation. Les conditions préliminaires, émises par la CE pour la négociation d'un Espace économique européen, nous paraissent constituer un exemple typique de cette approche. Selon l'article 13 Acte unique, le marché intérieur est défini par l'instauration des quatre libertés (libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux). Le programme dressé par le Livre blanc prévoit le démantèlement progressif, d'ici au 31 janvier 1992, de toutes les frontières physiques, techniques et fiscales. Avec l'abolition des frontières techniques est prévue la création d'un «marché commun des services». Le tertiaire représentait déjà, en 1984, les 58% de la valeur ajoutée dans la CE et le secondaire 26% seulement (cf. bibliographie N013, p. 24) si l'on ajoute aux domaines traditionnels des transports, banques et assurances, ceux des télécommunications, audiovisuel, services d'informations et d'informatique. Or, tout est à faire en ce qui concerne la libre circulation des services, alors même que celle des marchandises a beaucoup progressé, et si le cadre dans lequel évoluent les services constitue une structure autrement plus réglementée que le cadre dans lequel évoluent les marchandises, le secteur financier, et plus particulièrement le domaine bancaire, représente probablement le domaine non seulement le plus réglementé, mais aussi dans lequel la diversité des réglementations est la plus grande. C'est dire toute l'importance que prend en l'espèce la méthode qui guide la CE, dans l'achèvement du Marché intérieur. Au plan général, la méthode suivie dans le cadre du Livre blanc consiste, nous l'avons vu, à établir une distinction entre deux ensembles de règles normatives, à savoir: — l'ensemble des normes dont l'objet consiste dans le maintien de l'ordre public, ou de l'intérêt général, dont l'importance justifie une harmonisation au plan global, ou supranational ; — l'ensemble des normes dont l'objet consiste, subsi di ai rement au précédent, au maintien de spécificités locales ou sectorielles et qui satisfont à la règle dite de l'équivalence. Dans le domaine bancaire, cette méthode s'applique par la mise en vigueur des deux principes suivants: — l'harmonisation préalable des règles essentielles de surveillance; — la surveillance et le contrôle, par le pays d'origine, à l'exception des mesures résultant de la politique monétaire, soit la reconnaissance mutuelle des agréments bancaires, lesquels sont délivrés par le pays d'origine. L'application d'une telle méthode, innovatrice et dynamisante, ne va pas sans un corollaire, à savoir l'instauration nécessaire d'un réseau d'informations réciproques et d'une structure de coordination entre les autorités de surveillance. Nous soulignons que c'est au niveau de l'application pratique et non pas juridique de cette méthode et de son corollaire que nous allons tenter de situer la plate-forme de coordination existant entre la Suisse et la CE dans le domaine bancaire. La méthode sera examinée dans le cadre du chapitre intitulé : — L'harmonisation préalable des normes essentielles de surveillance (7.2). 94 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Le corollaire fera l'objet d'un examen en général diffus dans les chapitres 7 et 8, mais spécifique en ce qui concerne l'aspect fiscal dans le chapitre intitulé: — Mesures fiscales (7.3). Au cours de notre étude, nous constaterons que le contenu de la plate-forme, que nous aurons tenté de délinéariser, aurait été incomplet sans l'inclusion de la problématique des concentrations d'entreprises que nous examinerons sous l'angle de la coopération dans un chapitre intitulé: — La dynamisation du mouvement de concentration (7.4). Les concentrations d'entreprises impliquant directement les mécanismes boursiers, nous compléterons le chapitre précédent par un chapitre intitulé : — La bourse suisse à la croisée des chemins (7.5). Chapitre qui nous permettra, en outre, d'illustrer la problématique de l'accès réel et effectif au marché par des exemples concrets dans la section intitulée : — L'accès réel et effectif au marché (7.5.7). C'est délibérément que nous avons omis de notre champ d'examen la problématique des fonds de placement. D'une part notre étude, nous le répétons, n'est pas de nature exhaustive et, d'autre part, le cas peut être considéré comme résolu puisque la Directive concernant les placements collectifs (cf. bibliographie N0 34) est déjà en vigueur, et que les problèmes qu'elle pose, en matière de réciprocité négative, ont été résolus par la localisation de nos fonds de placement, notamment au Luxembourg (entretien avec Alain Hirsch, professeur à l'Université de Genève, du 5 décembre 1989). Cependant, nous aurions été incomplet, si nous n'avions pas abordé la problématique de la libération des flux de capitaux. Compte tenu de l'importance et de la spécificité de ce sujet, nous avons décidé de lui consacrer un titre entier (cf. titre 8). 7.2. L'harmonisation préalable des règles essentielles de surveillance Sont considérés comme «éléments clés de l'harmonisation nécessaire pour la réalisation de la reconnaissance mutuelle» (cf. Deuxième Directive, ch. I Exposé des motifs) les éléments suivants (cf. Deuxième Directive, chapitre I, remarques préliminaires, art. b): a) le capital minimum ; b) la surveillance des principaux actionnaires et des participations non bancaires ; c) la comptabilité et le contrôle interne ; d) les fonds propres ; e) le ratio de solvabilité. Les trois premiers éléments sont régis par la Deuxième Directive. 95 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Les deux derniers éléments le sont par deux directives spécifiques, soit celle concernant les fonds propres (cf. bibliographie N0 44) et celle concernant le ratio de solvabilité (cf. bibliographie N0 45). 7.2.1. Le capital minimum 7.2.1.1. Normes de la CE (cf. Deuxième Directive, art. 4 et 10) Alors que la Directive 77/730/CEE stipulait que les établissements de crédit devaient disposer d'un «minimum de fonds propres», sans en préciser le montant, la Deuxième Directive franchit un palier qualitatif en imposant un montant minimal de 5 millions d'écus (soit à Fr. 1.70: Fr. 8,5 millions). La définition de ce montant aurait pu ne refléter que le résultat d'un compromis, de nature politique, entre les Etats membres dont les établissements de crédit disposaient, en moyenne, d'un montant inférieur et les autres. A l'actif de la Commission, retenons que le choix de ce montant, qui comporte une inévitable part d'arbitraire, repose sur l'expérience de l'enjeu que constituent les opérations transfrontières, au moins au niveau de la Communauté (cf. Proposition de Deuxième Directive, ch. II Commentaires des articles). Une exception est prévue pour les établissements de crédit dont l'objet social se trouve limité, et une procédure spécifique permet d'en tenir compte (cf. Deuxième Directive, art. 4, al. 2). Dans ce dernier cas, la compétence de décision est transférée de l'Etat membre à la Commission. En d'autres termes, à une dérogation à la règle d'harmonisation, pour un élément considéré comme essentiel, correspond une dérogation au principe de la reconnais- sance mutuelle et, pour que la Commission puisse se porter garante d'une exécution conforme, la compétence de décision qui lui est déléguée passe du national au supranational. Afin que déposants, actionnaires et créanciers puissent agir en connaissance de cause, il est stipulé que la Commission indiquera la liste des établissements concernés et les montants en question. La Deuxième Directive stipule, par ailleurs (art. 10), que le montant des fonds propres ne doit pas se situer à un niveau inférieur à celui du capital minimum initial. Il s'agit là d'une des règles de base de la surveillance prudentielle et, en application du principe de la reconnaissance mutuelle, c'est aux autorités compétentes de l'Etat d'origine qu'elle ressortit. En conclusion, la Deuxième Directive instaure le concept du capital initial, soit du montant de capital nécessaire pour qu'un établissement de crédit se voie délivrer l'agrément bancaire unique qui lui permettra, en application du principe de la reconnaissance mutuelle, d'opérer, sans autre formalité, dans les onze autres Etats membres de la CE. De plus, ce montant correspond au minimum de fonds propres requis, soit pour recevoir l'agrément, soit pour le conserver. Ce concept de capital se superpose aux concepts de capital nominal et de capital social, régis par les différents ordres juridiques des Etats membres de la CE. Il s'agit d'une contrainte supplémentaire qui permet une large déréglementation. L'économie des moyens est ici manifeste. 96 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION 7.2.1.2. Normes de la Suisse L'OLFB (cf. bibliographie N0 74) stipule, à son article 4, que le capital social d'une banque doit être supérieur ou égal à 2 millions de francs. Dans l'hypothèse de la création d'un espace financier englobant la CE et l'AELE, ou d'un accord bilatéral entre la CE et la Suisse, dont le but consisterait à intégrer nos banques aux processus de libéralisation des services financiers et de libération des flux de capitaux, il paraît raisonnable de penser qu'aucune modification normative n'est indispensable. En effet, la notion d'agrément bancaire unique se superposant, comme nous l'avons déjà relevé, aux concepts juridiques spécifiques, il suffira à une filiale européenne d'une banque suisse de présenter un capital équivalant à 5 millions d'écus, et que ses fonds propres ne soient pas inférieurs à ce montant, pour pouvoir prétendre satisfaire aux règles d'harmoni- sation essentielle du capital initial et des fonds propres minimaux au cours de son existence. Même si la condition de capital initial ne devrait pas présenter de difficultés pour une filiale de banque suisse dans la CE, nous aurions là l'occasion, et le bon motif, de réviser cet article de l'OLFB. L'effet créatif et dynamisant du processus d'intégration européenne- se fait sentir à tous les niveaux, et il s'agit, toute forme de coopération même mise à part, de savoir en profiter et d'éviter de passer à côté. Après tout, la LFB date de 1934 et il est difficile d'imaginer qu'une banque, de nos jours, puisse se contenter d'un capital social de 2 millions de francs, compte tenu des possibilités très restreintes d'activités que cela lui ménagerait. Pourquoi ne pas saisir l'occasion, par ailleurs, de marquer, par un signe tangible, notre volonté de coopération en annonçant que nous examinons la possibilité d'élever nos exigences au niveau des exigences européennes ? S'il paraît d'un côté absurde et sans effet pratique de conserver une structure dans laquelle le capital minimal autorisé d'une maison-mère se situe à un niveau inférieur à celui de sa société-fille, il n'en reste pas moins qu'il s'agit en l'espèce d'une incompatibilité normative, qui va à !'encontre du principe de coordination en tant que facteur déclenchant d'une dynamique de la coopération. Il serait donc de bonne politique d'éviter de prêter, même pour un cas d'importance, en apparence plutôt formelle, aussi mineure que celui que nous venons d'examiner, le flanc au processus de la réciprocité négative. Que se passerait-il, en effet, si l'un des Etats membres de la CE faisait opposition à l'octroi de l'agrément unique à la filiale d'une banque suisse sur le territoire de la CE, en invoquant l'incompatibilité normative qui existe en l'occurrence, parmi d'autres chefs d'accusation? En conclusion, même s'il paraît évident que les banques suisses remplissent les critères d'agrément en ce qui concerne le capital initial, il nous paraîtrait de bonne politique en termes de dynamique de la coopération, et judicieux en termes d'évolution juridique, de donner le signal que nous allons réexaminer la règle du capital minimum dans la LFB. En ce qui concerne les succursales, soit les émanations bancaires qui ne sont pas dotées de la personnalité morale, par opposition aux filiales, l'article 6 supprime la condition de la dotation en capital stipulée par la directive 77/780. 97 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE C'est la conséquence logique de l'application du principe de contrôle par le pays d'origine, qui prévoit que la surveillance des établissements de crédit et des activités qu'ils exercent par des succursales ou par prestations de service directes sera soumise au contrôle des autorités compétentes du pays d'origine. Nous verrons d'ailleurs qu'en tant que personne morale européenne (art. 58 du Traité de Rome), la filiale d'une banque étrangère est susceptible de recevoir l'agrément unique qui l'autorisera non seulement à exercer, mais aussi à créer des succursales et à exercer des activités par leur intermédiaire, sans plus avoir à passer par une procédure d'agrément unique. Il n'en va pas de même en Suisse puisque, comme nous l'avons vu précédemment, le processus d'autorisation doit être suivi à chaque fois qu'une banque d'origine étrangère décide de constituer une nouvelle émanation en Suisse, qu'il s'agisse d'une filiale, d'une succursale ou d'un bureau de représentation. A chaque fois l'existence des conditions de réciprocité est vérifiée. Il existe en outre des exigences en matière de dotation en capital des succursales. Nous ne jugeons cependant pas nécessaire d'approfondir la problématique au niveau des succursales pour les deux raisons suivantes : — il s'agit d'un problème secondaire par rapport à celui de l'implantation de filiales; — la Suisse se trouve en position favorable par rapport aux autres pays en général et particulièrement aux autres membres de l'AELE qui n'autorisent pas tous, pour le moment, l'établissement de succursales de banques étrangères (cf. bibliographie N0 10). Mais nous ne voulions pas manquer de souligner que, dans ce segment ou ce sous- segment de la coopération, nous nous trouvons en position de force et que nous ne pouvons, à première vue, que perdre dans un alignement vers le bas que nécessiterait l'approche multilatérale dans le cadre de l'AELE. 7.2.2. La surveillance des principaux actionnaires 7.2.2.1. Normes de la CE (cf. Deuxième Directive, art. 5 et 11) Selon l'article 5 de la Deuxième Directive, dont le dispositif est renforcé par rapport à la première version, l'autorité compétente est tenue de refuser l'agrément si «elle estime que certains actionnaires ou associés ne sont pas des personnes appropriées et risquent de compromettre la saine et prudente gestion de l'établissement de crédit». Si l'on se réfère aux remarques préliminaires de la Deuxième Directive, on constate que le législateur situe les acteurs dans un environnement de structures financières en pleine mutation. Dans le cadre d'un processus d'Offre publique d'achat (OPA) par exemple, l'acteur principal peut, pour des raisons tactiques, avoir intérêt à ne dévoiler qu'en temps opportun sa stratégie et ses objectifs. Le fait même de révéler son identité de façon prématurée risque de compromettre l'action entreprise. A cela s'ajoute le problème des «participations croisées» explicitement mentionné. La complexité du dispositif qui peut être déployé et la qualité des camouflages qui peuvent l'entourer comportent en outre un double risque économique. Risque de contournement des dispositions visant à la défense de la libre 98 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION concurrence contre les tendances monopolistiques et cartellaires; risque de nature pruden- tielle, par exemple, risque de cavalerie, c'est-à-dire, pour prendre le cas de figure le plus sommaire, que deux sociétés se cautionnent mutuellement pour obtenir un financement externe dans plus d'un établissement de crédit, édifiant par là même une construction de- garanties sans substance économique. Or, selon l'opinion générale, le processus de libéralisation et, notamment, la création d'un Marché unique va stimuler de façon inédite le phénomène de regroupement d'entre- prises. En fait, le marché a déjà largement anticipé la création du Marché unique et le phénomène de regroupement connaît, d'ores et déjà, une ampleur nouvelle, chaque entre- prise de taille suffisante voulant regrouper ses forces avant le grand affrontement de 1993. Nous nous rallions, en ce qui nous concerne, à l'idée de la Commission selon laquelle la libéralisation des forces en présence nécessite l'instauration de contrôles adaptés, dont l'objectif consiste à assurer les mesures prudentielles et les règles de surveillance minimales au niveau de l'intérêt du déposant et de l'actionnaire, ainsi qu'au niveau de l'intérêt général que représente le système financier et économique. Le seul moyen d'y parvenir nous paraît également consister dans le contrôle de l'identité des principaux ayants droit. Il nous paraît également approprié de laisser la compétence de décision au niveau des autorités des pays d'origine, et de ne pas la transférer au niveau supranational, car cela conférerait aux autorités communautaires un poids démesuré, compromettant l'application pratique du principe, et contreviendrait à celui de la reconnais- sance mutuelle. La directive mentionne cependant un certain nombre d'autres critères et met en exergue des termes différents pour exprimer peut-être la même idée. Il pourrait se créer ainsi, à nos yeux, une zone de flou dans l'interprétation et dans l'application de la norme. La notion de «conflit d'intérêts» mentionnée dans les remarques préliminaires prête notamment à l'interprétation la plus large. S'agit-il de conflits de nature financière, dont la définition pourrait être établie de façon relativement objective, voire de nature économique? Ou bien s'agit-il de conflits d'intérêts entre entreprises ressortissant à différents pays membres et d'essence purement concurren- tielle? S'agit-il, à la limite, de conflits d'intérêts au niveau des Etats membres? Que fera-t-on si l'un des Etats membres bloque la procédure d'agrément en arguant du fait d'un des conflits susmentionnés? Et qu'en est-il du pouvoir ainsi donné aux autorités compétentes, en cas d'absorption d'un établissement de crédit communautaire par un établissement à la nationalité tierce, suisse par exemple? L'incertitude, le flou juridique, à nos yeux instauré par l'absence d'une définition, voire d'un champ d'application de la notion de conflit d'intérêts, nous paraît créer une dimension d'insécurité importante, notamment en ce qui concerne le potentiel d'utilisation de l'arme de la réciprocité négative à l'endroit des pays tiers. Cela d'autant plus que, nous le répétons, toutes les autorités compétentes ne jouissent pas de l'indépendance politique nécessaire pour prendre des décisions de nature économique. Toujours dans les remarques préliminaires, la notion de «qualité» des actionnaires est explicitée. Bien que cette notion puisse être facilement confondue avec celle d'honorabilité, 99 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE par ailleurs également mentionnée, nous regrettons l'utilisation de deux appellations diffé- rentes pour un même critère. Enfin, les remarques préliminaires, ainsi que l'article 5, explicitent la notion de participation qualifiée. Bien que l'on entende évidemment par là l'influence déterminante dont dispose l'actionnaire ou l'associé, l'absence d'une définition sera source de conflits, et, à nos yeux, prêtera également à une utilisation négative de la réciprocité. En effet, chacun sait qu'une participation qualifiée ne se définit pas par la majorité numérique, qu'une participation de 10% (art. 1, al. 10) peut être déterminante, et qu'il est très difficile de consolider de façon claire et indiscutable la structure politique d'un groupe d'entreprises. Ainsi, ce qui sera majorité qualifiée pour les uns ne le sera pas pour les autres, d'où refus de délivrance de l'agrément, recours à la CJE, retards administratifs et utilisation potentielle de la réciprocité négative, voire même utilisation abusive possible. Il nous paraît évident qu'il faudra s'attendre à ce que la CJE doive prononcer une série d'arrêts pour permettre la bonne et due application des directives générées dans le cadre de Y Acte unique, d'où l'importance capitale de la CJE dans le processus d'intégration euro- péenne. 7.2.2.2. Normes de la Suisse En ce qui concerne la norme prudentielle de l'honorabilité de l'actionnaire principal, nous pouvons prétendre à l'équivalence, et c'est là l'essentiel. Nous ne voyons, en l'état actuel des choses, aucun problème de coopération pour l'établissement d'une filiale d'une de nos banques et l'octroi de l'agrément bancaire unique selon le critère de l'actionnaire principal. Néanmoins, en ce qui concerne les critères de financements croisés et de conflits d'intérêts, nous devons, si nous voulons prétendre à l'harmonisation avec la CE des règles essentielles, mettre en place un dispositif de contrôle et d'information aux autorités compétentes de la CE en cas d'utilisation de nos banques pour une prise de participation, dite qualifiée, dans un établissement de crédit de la CE, afin que notre place financière ne puisse être taxée de moyen de détournement de la législation communautaire. Il en va de même pour le schéma inverse, à savoir la prise de contrôle de banques communautaires en Suisse par des banques communautaires, ou de banques tierces en Suisse par des banques communautaires. Les banques suisses disposent naturellement des moyens nécessaires pour jouer le rôle d'intermédiaires dans une telle opération, que ce soit pour le compte d'établissements de la CE ou de pays tiers. Afin d'éviter le syndrome du cheval de Troie dans la forteresse Europe, il nous paraît nécessaire, toujours dans l'optique d'une dynamique de la coopération, que nous montrions, par un signal à la CE, notre bonne volonté de coopération, également dans le domaine des prises de participation qualifiées dans un établissement de crédit communau- taire, particulièrement dans l'hypothèse de !'intermediation. Il ne s'agirait pas de mettre en place un dispositif contraignant tout de suite, mais de montrer que nous en recherchons le moyen. Dans la mesure où nous nous montrons disposés à suivre une procédure d'information analogue à celle de l'article 11, nous pourrions revendiquer, pour nos autorités compétentes, le droit de contrôle et de surveillance. Le risque de conflit, de par le rôle de plaque tournante de la finance internationale qu'elle représente, et 100 LBS PLATES-FORMES DE COORDINATION de par la densité des établissements étrangers sur son sol, nous paraît pour la Suisse particulièrement élevé avec la CE dans ce domaine. Il s'agirait surtout à nos yeux de confier à la CFB le droit de transmettre, à ses homologues de la CE, l'identité de l'ayant droit, ou tout au moins d'adopter une formule de procédure par laquelle nous prendrions l'engagement de garantir que les normes européennes en l'occurrence ne seraient pas contournées par le fait du secret bancaire et que, cas échéant, et dans certaines circonstances déterminées, un contrôle par voie de commission rogatoire serait possible. La CE considère le contrôle du maintien de la libre concurrence comme un enjeu majeur, et nous imaginons pour notre part difficilement que la Suisse puisse rester sans concéder des gages de bonne coordination en l'occurrence, dans la mesure où ses établissements jouissent du droit de cité communautaire, quand on songe à leur caractère universel, à leur dimension planétaire et à leur puissance de placement. Après tout nous disposons là aussi d'un segment de coopération qui, bien utilisé, contribuerait à nous hisser à pied d'égalité sur l'axe faible- fort. 7.2.3. La surveillance des participations non bancaires 7.2.3.1. Normes de la CE (cf. Deuxième Directive, art. 12) Ce qui se vérifie pour la surveillance des grands actionnaires se confirme, a fortiori, pour les participations non bancaires. La surveillance des participations non bancaires constitue d'ailleurs, à notre avis, un objectif tout aussi important que ceux mis en place par l'article 5, lequel vise en premier lieu la participation des grands actionnaires dans les banques et en second lieu, indirectement, la surveillance des participations non bancaires par l'intermédiaire des banques. Quant à l'article 12, il a pour objectif unique la surveillance des participations non bancaires des établissements de crédit. Les articles 5 et 12 ont également une nature complémentaire. Le phénomène de regroupement des établissements de crédit ne représente qu'un sous- ensemble du phénomène global de regroupement, auquel on assiste déjà et que va précipiter le Marché unique. Les regroupements peuvent aussi bien passer par la voie publique, quand les actions sont cotées en bourse, que par le biais du seing privé, que la société cible soit cotée en bourse ou non. Le premier cas de figure, l'offre publique d'achat (OPA), est réglé par une proposition de Directive du Conseil sur les OPA (cf. bibliographie N0 54). Le second cas de figure, qui peut également se présenter dans l'hypothèse d'une société cible cotée en bourse mais dont la majorité du capital se trouve en mains isolées, nécessite une réglementa- tion ad hoc dans la mesure où la politique communautaire l'estime nécessaire, ce qui manifestement se trouve être le cas. Les articles 5 et 11, nous l'avons vu, règlent le cas de la participation dans le capital d'une banque. L'article 12 règle le cas d'une participation d'une banque au capital d'un établissement qui ne correspond pas à la définition communautaire de l'établissement de crédit sur base consolidée, et renvoie à la Directive concernant la surveillance (cf. bibliographie N° 33). 101 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE L'article 12 a donc pour objet les participations des établissements de crédit dans des établissements de toute nature, à l'exclusion des établissements de crédit, ou même des établissements de nature financière. Contrairement à l'esprit de réglementation du marché qui préside aux articles 5 et 11, le but poursuivi ici consiste avant tout à assurer une harmonisation des règles prudentielles en matière de solvabilité des entités qui pourrait être menacée par la concentration des risques. Une double limite y est proposée, à savoir que ladite participation ne devrait pas excéder: — 15% des fonds propres de l'établissement de crédit; — 60% de ces mêmes fonds propres en cas d'un nombre de participations supérieur à une. Seules les autorités compétentes du pays d'origine sont responsables de l'application de cette règle. 7.2.3.2. Normes de la Suisse Voici les éléments d'incompatibilité, ou de prétexte éventuel à l'application d'une réciprocité négative que nous discernons. Au plan législatif, la CFB a le droit de regard sur les participations bancaires, mais naturellement, rien ne l'oblige à tenir informées les autorités compétentes de la CE. Au plan comptable, il n'existe aucune obligation de surveillance consolidée, à l'instar de ce que stipule la Directive sur la surveillance consolidée, art. 4 (cf. bibliographie N0 33) auquel renvoie la Deuxième Directive, art. 12. Les banques suisses devraient donc, à nos yeux, s'engager à respecter ces règles, car le seul fait de présenter dans leur rapport annuel des tendances dans ce sens nous paraît insuffisant dans le cadre d'une dynamique de la coopération reposant sur une obligation de réciprocité. Bien entendu, il serait plus opportun au niveau politique, et plus sûr, au niveau technique, de faire parvenir à terme la procédure de révision du Code fédéral des obligations avant l'échéance de 1993. Il s'agit là vraisembla- blement d'une utopie et nous aurons l'occasion, plus loin, de revenir sur cette problématique. Au plan de l'échange d'information et de la coordination entre autorités de surveillance, telles que stipulées par la Directive sur la surveillance consolidée, art. 6 (cf. bibliographie N" 33), il nous paraît que la CFB ne dispose pas, à ce jour, des moyens de droit nécessaires pour offrir à la CE même les éléments de base de la réciprocité exigée. Il nous paraît de surcroît qu'un pan entier de l'activité traditionnelle d'établissements bancaires comme les nôtres devrait satisfaire aux règles d'information et de coordination réciproques, à savoir celui des financements, directs ou indirects, par exemple par le biais des crédits fiduciaires ou de prises fermes. En effet, si la définition juridique, voire comptable, d'une prise de participation peut faire l'objet de critères simples, clairs et communément admis dans l'hypothèse d'une harmonisation préalable des normes helvétiques, la réalité économique peut prendre, par le biais de financements bancaires, la dimension d'une prise de participation réelle, même si les critères formels ne sont pas remplis. Il s'agirait, ni plus ni moins, d'une perte de souveraineté de la part de nos autorités de surveillance, et d'une contrainte nouvelle pour nos banques, qui leur ôterait, à nos yeux, un substantiel pôle d'intérêt vis-à-vis des sociétés suisses et des pays tiers. 102 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Le domaine d'incompatibilité que représente la prise de participations non bancaires, par une banque suisse, nous paraît assez important pour être inventorié et faire l'objet d'une prise de position claire de la part de nos autorités, sans préjudice d'une éventuelle négociation. Même dans le cas autorisé (Deuxième Directive, art. 12) des prises de participations temporaires dans le cadre d'opérations de sauvetage, ou de prise ferme, nos autorités pourraient faire l'objet de demandes d'informations, et nous aurions à nos yeux intérêt au moins à nous y tenir prêts en assurant une plate-forme de coordination minimale. C'est sous la rubrique «secret professionnel» que la Deuxième Directive classe l'arti- cle 16 dont le double objet consiste à régler, d'une part l'obligation du secret professionnel et, d'autre part, le cadre institutionnel dans lequel doit se dérouler la procédure d'échange d'information. Cet article remplace l'article 12 de la Première Directive de coordination en renforçant le dispositif prévu à l'origine. Le secret professionnel, d'après la définition donnée par la Directive, consiste en un secret de fonction dans la mesure où les personnes exerçant ou ayant exercé une activité auprès des autorités compétentes, ainsi que les réviseurs et experts mandatés par ces dernières, ne sont pas autorisées à communiquer les informations confidentielles qu'elles reçoivent au titre de leur profession. Au niveau de la définition, nous ne voyons pas a priori, au plan pratique, en quoi les différentes notions de secret qui conditionnent l'activité de la CFB, de la BNS ou des réviseurs ou organes mandatés par ces experts, ne satisferaient pas aux critères de compatibilité avec le secret professionnel de la Deuxième Directive, qu'il s'agisse du secret du fonctionnaire, de son obligation de réserve, du secret professionnel ou du secret bancaire. C'est au niveau des exceptions à la règle que nous voyons des potentiels d'incompatibi- lité et, en voie de conséquence, des risques d'appel à la réciprocité négative. La première exception, stipulée à l'alinéa 1, porte sur «les cas qui relèvent du droit pénal», lesquels demeurent expressément réservés. Or, si l'ensemble des cas réglés par la norme pénale suisse peut être circonscrit dans celui des normes pénales européennes, il n'en délinéarise pas, et de loin, le même contenu. C'est ainsi, par exemple, que dans le sous-ensemble fiscal, la norme suisse ne satisfait pas aux critères d'harmonisation, puisque l'évasion ne constitue pas un délit en l'occurrence. En d'autres termes, ce qui est défini comme un délit dans les pays de la CE n'en constitue pas un nécessairement en Suisse et, cas échéant, le secret bancaire ne pouvant être levé, les informations recherchées ne pourront être transmises aux autorités compétentes de la CE. Cette structure de la coopération correspond au scénario de l'impasse si l'un des membres de la CE excipe de cette incompatibilité pour contester l'agrément unique accordé à un établissement de crédit d'origine suisse dans la CE. Afin de sortir de cette structure conflictuelle et d'initier la coopération, l'obligation de réciprocité demande que nos autorités compétentes affichent un comportement tendant à la recherche de l'harmonisation. Il en va de même pour le contenu du secret professionnel (CPS art. 321) qui est plus fort que le secret bancaire. Pensons à l'avocat, membre du barreau suisse qui, aux termes de la Convention de Diligence peut se prévaloir du secret professionnel pour ne pas communiquer, même aux 103 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE banques dans les livres desquelles il aura ouvert des comptes, le nom, l'adresse et le domicile de l'ayant droit économique final. En d'autres termes, la banque ne disposera, dans ce cas, même pas des coordonnées devant faire l'objet d'une information aux autorités compétentes, y compris des autorités suisses. Un autre cas de figure, soulevant la même problématique, consiste dans celui où le client, ou contractant, passe contrat avec la banque en tant que titulaire de comptes à ouvrir et qu'il déclare agir pour le compte d'un tiers ayant droit économique final. S'il appartient à la banque de vérifier que le contractant titulaire a mentionné sur la Déclaration de diligence dite «A» les noms, prénoms, adresse et domicile de l'ayant droit, et si elle doit vérifier que ce dernier est une personne physique ou, au moins, n'est pas une société de domicile, il ne lui appartient pas de vérifier l'authenticité de ces dernières coordonnées. Bien sûr, en cas de doute, il lui appartient de se faire une conviction et vraisemblablement de refuser l'ouverture de compte. En effet, la procédure de vérification formelle porte sur le titulaire, ou le contractant. Ainsi, dans ce cas de figure, si l'autorité compétente peut théoriquement disposer des informations qu'elle devra, soit vérifier pour le compte de, soit communiquer à ses homologues d'un des Etats membres de la CE, elle ne pourrait aucunement se prévaloir d'une garantie quant à leur fiabilité, sinon arguer de la conscience professionnelle de nos banquiers, notion évidemment aussi déterminante à nos yeux qu'elle pourrait être considérée comme floue et sujette à la critique, voire à la contestation de la part des Etats membres. Or, l'ayant droit économique final d'un patrimoine, qu'il agisse par l'intermédiaire d'un tiers contractant personne physique, lui-même titulaire du compte, ou d'un tiers titulaire lui- même personne morale et, cas échéant, société de domicile représentée par un contractant, peut être aussi bien une personne physique qu'une personne morale (dans ce dernier cas seulement s'il ne s'agit pas d'une société dite de domicile) utilisant une banque suisse pour contourner les règles communautaires. Cette personne peut avoir son siège à l'intérieur ou à l'extérieur de la CE comme nous l'avons vu plus haut. Une fois de plus, il paraît évident qu'un Etat membre quelconque pourrait exciper de cette structure, dite de confrontation, pour enrayer le processus de coopération entre les banques suisses et la CE. Enfin, cette procédure d'identification obligatoire de l'ayant droit économique n'est en vigueur que depuis 1977 et, pour la bonne forme, on peut se demander également ce qui arriverait dans l'hypothèse d'une demande d'information portant sur un compte ouvert avant cette date. On arguera peut-être que tous les pays membres de la CE ne connaissent pas l'obligation d'identifier soit le titulaire, soit l'ayant droit économique final d'un compte bancaire. Il n'en demeure pas moins qu'il suffit que cette obligation soit en vigueur dans un seul des douze Etats membres pour qu'il puisse exciper de la réciprocité négative. De surcroît, il faut, à nos yeux, anticiper un processus d'harmonisation des règles communautaires qui entraîne l'adaptation des règles sur les normes les plus strictes en l'occurrence, tant la problématique de l'identification nous paraît dans ce cas décisive pour la surveillance élémentaire de l'application des règles concurrentielles et prudentielles dans un marché financier libéralisé. 104 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Or la Suisse nous paraît très éloignée de montrer une attitude coopératrice au plan fiscal, si l'on se réfère à l'isolement qui la caractérise dans le cadre de la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, élaborée au sein du Conseil de l'Europe et conjointement avec l'OCDE, ouverte à la signature depuis le 25 janvier 1988. Suite à l'attitude du Luxembourg, qui paraît bloquer le processus d'harmonisation fiscale dans le domaine de la libération des flux de capitaux, et à propos duquel les onze autres Etats membres sont arrivés à un consensus en janvier 1990, ces derniers envisageraient d'accélérer la ratification de la Convention entres les membres de l'OCDE. Ainsi la pression sur la Suisse est double, puisqu'elle s'exerce en l'occurrence par le biais de la CE et celui de l'OCDE. Au plan de la Convention de Diligence, en ce qui concerne soit les obligations d'identification du contractant, du titulaire et de l'ayant droit, soit la vérification de l'origine des fonds, nous interprétons, pour notre part, le projet en cours de modification du CPS (cf. bibliographie N0 80) comme un renforcement bienvenu de la norme dans son applicabilité interne, mais paradoxalement pas, à ce stade, comme le symptôme d'un comportement de coopération puisque nous devrions en l'occurrence paraître nettement en avance par rapport aux normes communautaires, et avoir en conséquence d'ores et déjà dépassé le stade de la négociation. Le fait d'être en avance ne nous donne pas nécessairement un atout dans la négociation. Le fait de négocier son institutionnalisation, par contre, aurait pu constituer un avantage. La première exception à la règle du secret professionnel, soit les «cas» de nature pénale, nous a permis de passer en revue la problématique de la compatibilité des normes suisses et européennes. Bien entendu cette étude nécessiterait une analyse approfondie au plan juridique. Tel n'est pas l'objet de la présente étude. Il nous faut cependant brièvement analyser encore les conséquences spécifiques à la seconde exception, et nous tenterons de conclure sur ce chapitre avec l'interprétation de la notion d'équivalence stipulée dans ce même cadre par ce même article 16 de la Deuxième Directive. La seconde exception au secret professionnel, définie à l'alinéa 2 de l'article 16, porte sur l'ensemble normatif constitué par la Directive du conseil concernant la surveillance consoli- dée (cf. bibliographie N0 33) et la Recommandation de la Commission concernant les grands risques (cf. bibliographie N° 35), ainsi que les articles 15 et 16 (al. 4) de la Deuxième Directive. La Directive du conseil sur la surveillance consolidée, à son article 5, stipule qu'«aucun obstacle de nature juridique» ne doit empêcher, soit un établissement de crédit, soit un établissement financier, de «fournir à l'établissement de crédit actionnaire les informations nécessaires à l'application de la surveillance sur base consolidée». L'intégration des établissements financiers au champ d'application de la norme entraîne un nouveau facteur potentiel de réciprocité négative. Il s'agit, en effet, de comparer les définitions admises en droit communautaire et en droit suisse, en ce qui concerne ces différents types d'établisse- ments mentionnés. La Directive, à son article 1, définit l'établissement de crédit comme «une entreprise dont l'activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d'autres fonds remboursables et à 105 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE octroyer des crédits pour son propre compte». Cette définition nous paraît compatible avec celle de la LFB (art. 1), au moins au plan pratique. Par contre, la notion d'établissement financier définie au même article 1 de la Directive ne nous paraît pas compatible avec la LFB (art. 1). En effet, pour la CE, ce type d'établissement comprend toute «entreprise autre qu'un établissement de crédit, dont l'activité principale consiste à accorder des facilités de crédit, y compris des garanties, à prendre des participations ou à effectuer des placements». Pour la Suisse c'est le caractère public des emprunts qui est déterminant pour décider du champ d'application de la LFB. Il faudra donc, pour qu'«aucun obstacle de nature juridique» n'empêche l'information requise, que les sociétés financières suisses à caractère non bancaire soient contraintes de satisfaire au même principe d'information, même si l'utilisation de cette dernière reste limitée, comme prévu par la Directive concernant la surveillance consolidée (cf. bibliogra- phie N0 33, art. 5., al. 2), puisqu'elle ne peut en aucun cas être utilisée dans l'exercice d'une fonction de surveillance par les autorités compétentes. En conséquence, il faudrait que la LFB soit, d'une part étendue aux sociétés financières à caractère non bancaire et, d'autre part, modifiée afin d'institutionnaliser la possibilité de l'information. Il nous paraît inutile de développer le potentiel de contournement des normes financières et bancaires que comporte l'existence de sociétés financières ne relevant que du Code suisse des obligations, tellement il est évident. En ce qui concerne les établissements de crédit, ce même article 5 précise à son alinéa 5 que la procédure de vérification de l'information peut prendre trois voies différentes: — la vérification effectuée par les autorités du pays d'accueil dans le cadre de leurs compétences pour le compte d'autorités tierces; — la vérification effectuée par les autorités tierces dûment autorisées par les autorités du pays concerné; — la vérification opérée par un réviseur ou un expert. Sur le plan des procédures à définir pour la circulation de l'information, il serait intéressant, et à notre avis opportun, de procéder à une analyse des compatibilités au niveau des compétences réciproques des autorités suisses, par rapport à celles de la CE. On pourrait par ailleurs envisager, nous le répétons, d'institutionnaliser une distinction dans le concept du secret bancaire suisse qui porterait sur la différence entre l'organe corporatif et la personne physique. En effet, le contenu et la nature de la sphère privée ne sont pas les mêmes, s'agissant de l'un ou de l'autre. Une telle étude, de nature juridique, dépasserait les limites de la présente. Qu'il nous suffise de relever, encore une fois, le degré de risque d'incompatibilité comportant un potentiel de réciprocité négative entre la Suisse et la CE que constitue l'absence de voies institutionnelles pour l'information réciproque. Poursuivant dans la même perspective, nous constatons que la Recommandation de la Commission concernant les grands risques (cf. bibliographie N0 35), à l'article 7 de son annexe, fixe un ensemble de «mesures destinées à faciliter la coopération entre autorités compétentes» dans le cadre de la surveillance et du contrôle des grands risques. 106 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Ces mesures sont analogues à celles que nous venons d'examiner, aussi nous ne les citons que pour mémoire. Qu'il nous soit simplement permis de préciser que la notification de grands risques par les établissements de crédit aux autorités compétentes est obligatoire une fois par année, dès lors qu'un engagement envers un seul client ou «un groupe de clients liés atteint ou dépasse 15 % des fonds propres» (art. 3, al. 2); que, pour les Etats membres qui ne comportent pas de centrale de risques, la même obligation de notification s'étend de surcroît «au moins aux dix risques ayant les valeurs de pourcentage les plus élevées» (art. 3, al. 3). Ainsi il n'y aurait pas pour la Suisse nécessairement obligation de constituer une centrale indépendante des établissements de crédit, et ressortissant aux autorités compétentes, à l'instar plus ou moins de ce qui existe déjà pour le petit crédit ou crédit à la consommation avec la ZEK (Zentralstelle für Kreditinformation), dont l'objet consisterait à consolider les crédits octroyés par différents établissements aux fins de surveillance prudentielle, voire éventuellement concurrentielle. Mais, dans le domaine de la surveillance des grands risques, la nécessité d'institutionnaliser une voie d'information existe également. Le point important à relever ici consiste à nouveau dans le fait que si la Suisse n'harmonise pas non plus sa législation dans ce domaine précis, elle pourrait prêter au contournement des normes de la CE pour les établissements de la CE et de pays tiers, prêtant ainsi le flanc aux velléités d'application éventuelles de la réciprocité négative. La Deuxième Directive, aux alinéas 1 et 2 de son article 15, laisse le choix aux autorités compétentes des pays d'origine de procéder elles-mêmes, ou d'utiliser l'une des voies prévues dans la Directive concernant la surveillance sur base consolidée pour assurer la vérification que comporte leur responsabilité, en application du principe de la reconnaissance mutuelle et de la surveillance par le pays d'origine. Quand bien même il est parfaitement imaginable que les établissements de crédit communautaires doivent se contenter de faire procéder aux contrôles et à la surveillance en question par les autorités compétentes en Suisse, encore faudrait-il vraisemblablement institutionnaliser une telle procédure. Néanmoins, à son alinéa 3, ce même article réserve aux autorités du pays d'accueil «le droit de vérifier sur place les succursales établies sur leur territoire pour l'exercice des responsabilités qui leur incombent au titre de la présente directive». Il s'agit, pour le pays d'accueil, d'assurer lui-même la surveillance de la liquidité d'un établissement de crédit et de conserver, sans préjudice à la réglementation du SME, l'intégralité de sa compétence en matière de politique monétaire pour l'application de laquelle il impose lui-même les règles nécessaires (Deuxième Directive, art. 14, al. 2 et 3). C'est ainsi que les informations que nécessite l'application de cette règle impliquent une coordination par la voie d'échanges d'informations entre autorités compétentes. Cette surveillance s'étend jusqu'aux positions à risque que pourraient prendre pour compte propre les établissements de crédit dans le domaine du marché des valeurs mobilières. Il s'agit, à notre sens, des risques à terme, ou sur base de hedging, par le biais d'options ou de futures par exemple, en matière de changes comme de papiers-valeurs. Enfin, l'article 14, à son alinéa 1, complète la Première Directive (art. 7, al. 1) en intégrant à l'obligation de coordination et de l'échange d'informations le contrôle de la liquidité, de l'organisation administrative et comptable, et du contrôle interne. 107 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Encore une fois nous détaillons l'inventaire des obligations en matière de réciprocité dans le domaine de la surveillance et du contrôle pour relever l'importance que doit comporter, aux yeux de la CE, d'abord l'assurance que la place financière suisse ne puisse être utilisée comme cheval de Troie dans la forteresse Europe, mais aussi quoique de façon quantitativement moins importante, l'assurance que les émanations de banques suisses dans le territoire de la CE n'offrent de possibilités de contournement des normes ni pour la Suisse ni pour d'autres pays tiers, tels que le Japon, les USA ou les Quatre Tigres, par exemple. Ce souci se trouve, à nos yeux, confirmé par les exigences explicites de réciprocité avec les pays tiers stipulées dans le cadre de ces mêmes normes, à savoir: la surveillance sur base consolidée, les placements collectifs, le contrôle des grands risques (cf. bibliographie N°s 33, 34, 35), ainsi que la Deuxième Directive, sans oublier la Première Directive de coordination bancaire. La Directive concernant la surveillance sur base consolidée, à son article 6, dispose que l'application du principe de surveillance consolidée « devrait faire l'objet d'accords bilaté- raux, sur la base de la réciprocité». Nous avons déjà évoqué cette disposition et ne la mentionnons ici que pour mémoire, en soulignant son caractère explicite, et qu'elle a pour objet de permettre l'échange de l'information dans les deux sens suivants: — concernant un établissement de crédit communautaire, pour les participations qu'il détient, non seulement dans un établissement de crédit, mais également dans un établissement financier en dehors de la CE et par exemple sur territoire suisse ; — concernant un établissement de crédit d'un pays tiers qui détient des participations dans un établissement de crédit situé à l'intérieur de la CE. La différence des champs d'application ainsi définis, qui ne comprennent les sociétés financières que dans le cas des établissements dont le siège social est situé à l'intérieur de la CE, démontre le souci prioritaire du législateur d'éviter que les établissements communau- taires n'utilisent un pays tiers pour contourner les normes de la CE. Ce sont les autorités compétentes des Etats concernés qui sont habilitées à apprécier ce type d'accord bilatéral. Par autorités compétentes il faut entendre simplement «les autorités nationales habilitées, en vertu d'une loi ou d'une réglementation, à contrôler les établisse- ments de crédit». Il s'agirait donc, en Suisse, de la CFB. Quant à la nécessaire coordination d'un tel processus entre les Etats membres, elle est assurée par la Commission et le Comité consultatif institué par la Première Directive (art. 11). Ce Comité, convoqué lors de son assemblée constituante par la Commission, et présidé par l'un de ses représentants, est composé au maximum de trois représentants de chaque Etat membre et de la Commission. Par la suite la Commission conserve la compétence de convocation d'urgence, et le Comité a de surcroît la responsabilité de se réunir selon les circonstances. Sa mission consiste «à assister la Commission dans sa tâche d'assurer une bonne application de la directive». 108 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION En d'autres termes, par le biais du Comité consultatif des autorités compétentes des douze Etats membres, la Commission assure le contrôle, notamment, du fait que la coopération établie par l'un quelconque des Etats membres au plan bilatéral avec l'un des pays tiers se déroule conformément à l'obligation de réciprocité en matière d'échange d'information. En cas de doute ou de litige, la Commission est réputée compétente pour saisir la CJE. L'existence d'une juridiction au caractère supranational, dont les décisions sont exécu- toires dans les Etats membres, nous paraît poser un problème fondamental de compatibilité avec un pays tiers comme la Suisse, dans la mesure où cette compétence juridictionnelle ne s'étend pas à son territoire. En effet, que devient notre plate-forme de coordination dans une structure de coopération caractérisée par le fait d'une compétence juridictionnelle valable pour les uns et non valable pour les autres ? Ajoutons cependant que, bien entendu, chaque Etat membre dispose également du droit d'introduire une procédure de recours juridictionnel, dont l'objet serait l'application de la directive, ce qui, encore une fois, revient à dire en principe que chaque Etat peut attaquer tout accord bilatéral passé entre un autre Etat membre et un pays tiers. La Recommandation sur les grands risques présente «mutatis mutandis» les mêmes règles pour l'application du principe de la réciprocité que la Directive concernant la surveillance sur base consolidée. Nous ne la citons donc ici que pour mémoire. Quant à la Deuxième Directive, nous avons déjà examiné la problématique de la réciprocité qu'elle soulève et qui reste, en la matière, le point cardinal de toute dynamique de la coopération entre la CE en tant que telle, l'un des Etats membres et un pays tiers. En conclusion, nous sommes d'avis que la constitution d'une plate-forme minimale de coordination pour le déclenchement de la coopération, basée sur l'obligation de réciprocité, ne va pas de soi en ce qui concerne la structure de la relation CE-Suisse dans le domaine bancaire, notamment en ce qui concerne l'identification, la surveillance des grands action- naires, le contrôle des participations non bancaires et la surveillance des établissements de crédit sur base consolidée. Or, il s'agit là de normes jugées essentielles par la CE, dont l'harmonisation constitue un préalable à la liberté d'établissement. Il en va de même, toujours à nos yeux, pour la mise sur pied d'un dispositif de surveillance par le biais de procédures institutionnalisant l'échange d'information. Il se pose, en outre, le problème de l'inégalité juridictionnelle, dans la mesure où un arrêt de la CJE serait de nature contrai- gnante pour un Etat membre et non pour la Suisse, alors qu'il porterait sur l'appréciation d'un traité bilatéral reposant sur l'obligation de réciprocité par exemple. Il nous paraît en conséquence opportun de donner à nos partenaires le message que nous faisons entrer cette problématique dans une perspective de coordination, sans pour autant prendre nécessairement d'engagements quant à une décision finale. A titre d'exemple, nous pourrions envisager la différenciation du secret bancaire selon qu'il porte sur un client institutionnel, commercial ou privé. Nous devrions par ailleurs soigneusement évaluer les risques de réciprocité négative que comporte l'absence de voies institutionnelles pour l'échange d'informations sur les ayants droit. Il nous semble, quant à nous, que nous ne pouvons que nous diriger dans le sens d'une ouverture dans ce domaine. Encore faut-il que nous conservions l'avantage de l'initiative sur l'axe faible-fort de la négociation. 109 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE 7.2.4. La comptabilité et le contrôle interne 7.2.4.1. Les exigences communautaires La Deuxième Directive stipule à son article 13 (al. 2) que l'Etat membre d'origine veille à l'existence d'une «bonne organisation administrative et comptable et de procédures de contrôle interne adéquates». En ce qui concerne les groupes de banques, ce même article, à son alinéa 3, renvoie à la Directive concernant la surveillance consolidée (cf. bibliographie N0 33) qui s'applique donc en ce qui concerne la comptabilité et le contrôle interne. A son article 6 cette directive stipule que l'application des principes qu'elle promulgue «devrait faire l'objet d'accords bilatéraux sur la base de la réciprocité entre les autorités compétentes des Etats membres et les pays tiers concernés». Nous rapprochons, pour notre part, cette expression, malgré l'emploi du conditionnel, du considérant de cette même directive qui mentionne que les Etats membres «s'efforceront de conclure des accords bilatéraux» pour son application. L'obligation de ou, plus exactement, l'invitation à la réciprocité énoncée comme condition de la coopération, porte en l'occurrence sur l'échange d'informations concernant la surveillance des grands risques, aussi bien pour les filiales et succursales des établissements de crédit tiers, établis à l'intérieur de la Communauté, que pour les filiales et succursales des établissements de crédit communautaires, établis dans des pays tiers. La législation spécifique aux banques était en cours de préparation fin 1989. Afin d'appréhender l'esprit qui devrait présider à leur élaboration, nous pensons justifié de nous référer aux Quatrième et Septième Directives concernant le droit des sociétés (cf. bibliogra- phie Nos 43 et 42). La première s'applique d'ailleurs partiellement aux banques et les effets de la seconde sont considérés comme «différés en ce qui concerne les banques» selon une revue spécialisée de la Société Fiduciaire Suisse (cf. bibliographie N° 78, p. 15). Nous proposons d'effectuer un survol des concepts de base, des principes d'application et des règles d'évaluation, sans entrer dans une analyse technique, et nous nous inspirerons essentiellement de certains ouvrages spécialisés (cf. bibliographie Nœ 36 à 41) L'objectif poursuivi consiste à permettre la comparabilité des comptes annuels à l'intérieur de la CE. Le concept anglo-saxon de «true and fair view», traduit officiellement par «image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats», s'est substitué aux divers concepts jusqu'alors appliqués sur le continent comme philosophie de base. Les principes d'application anglo-saxons suivants ont en outre été introduits: — «substance over form», soit la prépondérance du contenu sur le contenant; — «materiality», soit la priorité de la substance. Les règles d'évaluation peuvent être définies comme suit: — prudence, comme règle générale; — continuité de l'exploitation (going concern); — continuité dans l'application des méthodes (consistant basis); 110 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION — présentation brute (pas de compensation ou de présentation de valeurs nettes) ; — spécificité (évaluation individuelle de chaque poste) ; — délimitation des charges et produits sans tenir compte de la date du paiement (accrual basis) ; — évaluation au prix d'acquisition ou au prix de revient historique, diminué des amortisse- ments nécessaires, avec correction optionnelle par la méthode de !'«inflation accoun- ting», et explicitation des réserves de réévaluation éventuelles. Un plan comptable précis doit être suivi en ce qui concerne la structure du bilan et du compte de profits et pertes. Une annexe, partie intégrante des comptes, doit comporter différentes informations analogues aux «notes» anglo-saxonnes, et notamment le montant des engagements hors bilan, les évaluations ou les amortissements spéciaux effectués pour des raisons fiscales et qui influencent matériellement les résultats. L'ensemble des documents que représentent le bilan, le compte de pertes et profits, l'annexe, de même que le rapport de gestion, doit faire l'objet d'un contrôle de révision. Le rapport de gestion constituera le reflet clair, fidèle et précis de l'évolution prévisible des affaires, de la situation de la société et de la marche de ses affaires. La Septième Directive «comptes annuels consolidés» (cf. bibliographie N0 42) introduit un concept de base qui, à son origine, constitue un compromis entre deux tendances différentes: la tendance anglo-saxonne à se baser sur la structure juridique, en se référant au degré de participation, et la tendance allemande à se baser sur le fait économique, en se référant au critère du contrôle. Faute de consensus, le législateur n'a pas explicité une définition du terme de «groupe». De plus, le compromis consiste en la quasi-juxtaposition des deux approches, dans la mesure où l'approche dite «de droit» constitue une option, et complète en quelque sorte la seconde approche, ou approche germanique. L'objectif poursuivi est de présenter de façon comparable les groupes qui forment une entité économique. En conséquence, il y a obligation de consolidation dès lors que certains critères «de droit» sont réalisés, à savoir notamment lorsque la société-mère: — détient ou contrôle la majorité des voix de la société-fille ; — exerce une influence dominante sans détenir la majorité des voix. Il y a option de consolidation lorsque certains critères «de fait» sont réalisés, à savoir notamment lorsque la société-mère : — a compétence pour nommer ou révoquer plus de la moitié des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance; — a désigné la majorité du Conseil d'administration; — se trouve placée avec sa société-fille sous une direction unique ; — détient une participation égale ou inférieure à 20% du capital social donnant droit au bénéfice et, cumulativement, exerce une influence dominante. 111 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE En ce qui concerne l'établissement et le contenu des comptes consolidés, la Quatrième Directive s'applique (cf. bibliographie N0 43). Mentionnons en outre l'introduction de la notion de «sous-groupe». S'il s'agit d'entités relevant d'une société-mère dont le siège social se situe sur le territoire de la CE, le «sous- groupe» qu'elles constituent peut être exempté de l'obligation de consolidation, dans la mesure où: — cette société-mère détient la totalité du capital social des sociétés-filles ; — cette société-mère détient les 90% du capital de la société-fille et que les actionnaires restants approuvent l'exemption; — le sous-groupe exempté mentionne l'exemption dans son rapport annuel et indique le nom de sa propre société-mère. S'il s'agit d'entités relevant d'une société-mère dont le siège social se situe dans un pays tiers, l'Etat membre concerné a compétence pour exempter le sous-groupe de l'obligation de consolider ses comptes, à condition que le principe dit de Y « équivalence » soit respecté. Le contenu de ce concept également nouveau comprend un ensemble d'éléments cumulatifs, à savoir: — les comptes des entités constitutives du sous-groupe situé sur territoire communautaire font l'objet d'une consolidation au niveau de la société-mère dans le pays tiers concerné; — cette consolidation, qui devra être assortie d'un rapport de gestion portant sur le groupe tout entier, peut être qualifiée d'équivalente, sur les plans qualitatifs et quantitatifs, aux exigences de la Septième Directive, de la Quatrième Directive et, bien entendu, du droit national du pays hôte du sous-groupe. La condition d'équivalence est posée dans le but de concrétiser l'objectif de base de la comparabilité, sans impliquer qu'il y ait uniformité. La compétence d'exemption relevant de chaque Etat membre, on peut, à nos yeux, craindre des divergences dans l'application d'une doctrine qui paraît, de l'avis des commen- tateurs, plutôt floue et complexe. On peut espérer que les directives spécifiques aux établissements de crédit, et notamment aux succursales communautaires des banques dont le siège social se situe dans un pays tiers, réduiront cette marge d'insécurité juridique et économique. On peut notamment s'attendre à ce que les Etats membres promulguent une ordonnance spécifique sur l'application du principe de l'équivalence, à l'instar de ce que prépare l'Allemagne (ordonnance du ministre de la Justice prévue pour 1990) dans le cadre du Bilanzrichtlinien-Gesetz, qui sera l'intégration dans la loi allemande des directives communautaires que nous venons d'évo- quer. 7.2.4.2. Les répercussions pour la Suisse Dresser un inventaire comparatif des normes suisses et communautaires et évaluer leur degré de compatibilité est un exercice technique qui sort du cadre de la présente étude. Devant la perspective d'une dynamique de la coopération basée sur l'obligation de réciprocité, il nous paraît indispensable que cet exercice soit accompli, dans l'idée déjà à 112 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION maintes reprises évoquée de ne pas perdre l'avantage de l'initiative, de rester en phase avec le rythme d'évolution du droit communautaire. Il s'agit de plus, dans tout segment de la coopération identifié, d'éviter le risque de confrontation en cherchant à diminuer le potentiel de réciprocité négative. Dans la structure de la relation apparaît de façon explicite le troisième cercle de la réciprocité: celui de Y équivalence. Or, nous avons vu que ce cercle tendait à circonscrire l'accès à la réciprocité de façon plus étroite que le traitement national (cf. § 6.2.3.4). Il s'agit, pour un pays tiers comme le nôtre, de considérer que l'équivalence en matière de présentation des comptes de bilan et de pertes et profits, de même que leur annexe et le rapport de gestion qui en font partie intégrante, constitue l'une des conditions essentielles pour l'octroi de l'agrément bancaire. Il en va de même, toujours à nos yeux, en ce qui concerne l'obligation de consolidation. En conséquence, la plate-forme de coordination nécessaire au déclenchement de la coopération, dans le cadre d'une stratégie basée sur l'obligation de réciprocité, devrait à première vue impliquer que les sociétés-filles de banques suisses installées sur le territoire de la CE appliquent en la matière des normes au moins équivalentes à celles de la CE. Il y aurait lieu, en outre, de veiller à ce que les maisons-mères sises en Suisse cherchent elles-mêmes à appliquer cette équivalence, pour éviter que l'une quelconque des banques, ou l'un des Douze, n'excipe d'un comportement taxé de non-équivalence, pour provoquer le refus de l'agrément bancaire à l'une de ses filiales. Aux éléments tirés d'une analyse de la dynamique de la coopération s'ajoutent ceux que l'on peut tirer du marché, comme nous le verrons plus particulièrement dans le chapitre intitulé «La bourse suisse à la croisée des chemins» (cf. § 7.5). Avançons simplement à ce stade que le marché paraît réclamer en général une approche comptable différente de la part des entreprises suisses, et tout spécialement des banques. C'est également l'avis des spécialistes que nous devrions tendre à davantage d'équivalence, en l'occurrence au plan international et tout particulièrement communautaire. Les nombreuses options possibles quant à la structure des comptes annuels (pour les sociétés non bancaires), quant aux normes d'évaluation, la possibilité de constituer et de dissoudre les réserves latentes, l'absence d'obligation de présenter les postes à l'état brut, de faire réviser une annexe explicative et le rapport de gestion, de procéder à une consolidation, l'absence d'harmonisation des principes de consolidation éventuelle, de la notion de substance (materiality), ou de l'interdiction de compensation, nous paraissent constituer autant d'éléments susceptibles de définir un segment de la coopération ou de la confrontation selon les options de comportement que nous choisirons. Soulignons également que, dans la mesure où le principe de l'équivalence est satisfait, les sociétés-mères suisses publiant des comptes consolidés qui englobent toutes les participa- tions, leurs sous-groupes communautaires peuvent être exemptés d'une consolidation par- tielle à leur niveau. Le projet du nouveau Droit suisse des Sociétés anonymes (projet du CF du 23 février 1983), lequel a maintenant passé par les deux Chambres, prévoit certes un certain nombre de changements allant dans le sens des directives européennes (il prévoit, par exemple, l'obligation de consolider). Nous savons cependant qu'il reste très en deçà des normes 113 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE communautaires et que, notamment, subsiste la possibilité de constituer et de dissoudre les réserves latentes, élément qui nous paraît aller à l'encontre du principe de «true and fair view». On sait par ailleurs que les banques suisses doivent, depuis le 1er janvier 1990, refléter dans leurs documents comptables la totalité des engagements hors bilan, ce qui constitue déjà un progrès important. Il n'en demeure pas moins qu'une dynamique de la coopération basée sur une stratégie de la réciprocité telle que nous l'avons définie devrait conduire à un comportement à nos yeux différent, soit: a) définition du segment de coopération ; b) inventaire des degrés de compatibilité et des mesures à prendre ; c) information officielle à la CE, revenant pour le faible sur l'axe faible-fort à montrer sa volonté de coopération ; d) information au marché, en vue de satisfaire aux exigences que nous qualifierons, par souci de simplification, d'appel général à davantage de «transparence». Il va de soi, par ailleurs, que l'approche multilatérale dans la perspective de la création d'un Espace économique européen, voire d'un sous-Espace financier européen, nécessite une harmonisation des règles essentielles au sein de l'AELE qui satisfasse aux exigences du principe de l'équivalence. Pour terminer, mentionnons que nous n'avons à dessein pas examiné la problématique du contrôle interne, pour la raison que nous pensons justifié de déclarer sans autre que les exigences suisses en la matière satisfont largement aux exigences européennes les plus strictes. 7.2.5. Les fonds propres 7.2.5.1. Normes de la CE Notre propos n'est pas d'entrer en matière dans une étude technique détaillée de la compatibilité des normes de la CE et de la Suisse, concernant la définition, le calcul, le contrôle et la surveillance des fonds propres. Il s'agit, pour nous, d'examiner en quoi et de quelle manière l'obligation de réciprocité pour une dynamique de la coopération s'étend également aux normes dont l'objet porte sur les fonds propres de l'établissement de crédit. Il n'en reste pas moins que dans le cadre d'une globalisation des marchés, d'une déréglementation généralisée, et d'une libéralisation de plus en plus approfondie et élargie, la tendance à l'harmonisation nous paraît inéluctable et le législateur suisse devrait en tenir compte pour une refonte rapide et une adaptation des principes comptables et de révision. La Proposition de Directive du Conseil sur les fonds propres (cf. bibliographie N0 44) ne comporte aucune clause relative à la réciprocité. C'est en l'occurrence la Deuxième Directive 114 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION (art. 8 et 9) qui s'applique à nouveau. L'articulation entre les deux directives est établie notamment par cette dernière directive qui, dans son exposé des motifs, énonce que la réalisation de la reconnaissance mutuelle est également conditionnée par la mise en vigueur de la directive sur les fonds propres. En d'autres termes, pour se voir accorder l'agrément unique, les filiales d'établissements de crédit sises dans la Communauté et émanant de pays tiers devront également satisfaire à la norme de la directive sur les fonds propres. Rappelons, pour la bonne forme, que l'agrément prévu pour les succursales à la Première Directive de coordination bancaire (art. 4) ne peut plus être exigé pour les succursales des établissements de crédit agréés dans d'autres Etats membres. Ainsi, la succursale tirera son droit d'exercice de l'agrément accordé à la filiale d'un pays tiers dont elle dépend et n'aura pas à produire de capital de dotation. Les normes de la CE sur les fonds propres des établissements de crédit ne peuvent être étudiées séparément de l'Accord de Bale qui donne en l'occurrence le cadre général. 7.2.5.2. L'Accord de convergence du Groupe des Dix La référence utilisée pour l'élaboration de la règle dépasse en l'occurrence le cadre communautaire, puisqu'elle consiste dans le consensus adopté en juillet 1988 par le Comité des règles et pratiques de contrôle des opérations bancaires (International Convergence of Capital measurement and Capital standards, Committee on banking regulations and super- visory practices of the Bank for International Settlements or «Cook Committee») (cf. bibliographie N° 46, eh. 4). Il s'agit de Y Accord de Baie sur la convergence des fonds propres des banques (cf. bibliographie N° 46, p. 87). Cet accord, essentiel pour le maintien d'une relative sécurité au plan de la structure bancaire internationale, constitue l'une des pierres angulaires du «renforcement, ces dernières années, des procédures de contrôle prudentiel» allant «de pair avec le processus de déréglementation et d'intégration des marchés de capitaux» (ibidem). Soulignons, au passage, qu'une fois de plus il est constaté que le processus général de déréglementation ne va pas sans un processus concomitant de re-réglementation. Le dispositif a pour but de réaliser une convergence internationale de la mesure et des normes des fonds propres des banques. Il fait suite au double constat établi au début des années quatre-vingt par le Groupe des Dix (la Suisse, étant «in principio» le onzième membre à part entière, y a d'ailleurs joué un rôle déterminant) de la forte détérioration de la qualité des prêts aux pays en voie de développement et de l'essor rapide de la libéralisation financière, «tendant à la fois à intensifier la concurrence entre les banques et à accroître leurs possibilités d'entreprendre des investissements à haut risque» (cf. ibidem, p. 107). Le remède institué passant par le relèvement des normes de fonds propres, il s'agissait de dépasser le stade déjà acquis de simples ratios d'endettement dans certains pays, et de ratios fondés sur les actifs à risques portés au bilan dans d'autres, et de parvenir à une meilleure coordination du contrôle entre les autorités compétentes. En effet, l'application des normes, d'une part, comportant des incidences directes sur les résultats en comptes de profits et pertes par le biais de prélèvements comptables portés au crédit des postes de fonds propres et, d'autre part, reposant sur des définitions et des exigences nationales différentes, il pouvait en résulter une accentuation des inégalités dans la concurrence. 115 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Le dispositif commun permet de mesurer l'importance des fonds propres et de fixer les normes minimales en déterminant leur niveau en fonction des risques. La définition de fonds propres repose sur une distinction entre le «noyau des fonds propres» et les «fonds propres complémentaires». Les premiers comprennent le capital-actions et les réserves publiées. Les seconds comprennent l'ensemble des autres types de réserves. Ce sont les premiers, en raison de leurs propriétés de mobilité immédiate et de transparence, qui ont été choisis comme critères de référence. On peut ainsi estimer «prima facie» que les mesures suisses sont compatibles avec les exigences du Comité de Bâle puisque le critère d'appréciation se fonde sur des montants publiés. Ce nonobstant, il n'en reste pas moins que, techniquement, le montant du résultat net peut être modifié à la hausse comme à la baisse par l'imputation légale en Suisse des réserves «latentes». Si cela ne porte pas à conséquence en matière prudentielle quand c'est à la baisse, il faut bien relever qu'à l'inverse, à un résultat opérationnel déficitaire peut être substitué un résultat annuel excédentaire par l'injection de réserves latentes. Même si les variations de réserves latentes doivent être notifiées, expliquées et justifiées à la CFB, nous ne voyons pas qu'il existe pour cette dernière une obligation de coopération, ou d'échange d'informations sur cette matière au niveau international. Que l'on se réfère, aux fins d'illustration, à la perte essuyée par le Crédit Suisse en 1977 dans le scandale de Chiasso, qui selon les médias devait dépasser le milliard de francs, alors que cette banque présentait, la même année un exercice bénéficiaire. Il n'en reste pas moins que dans l'esprit de l'accord en question, nous voyons mal que l'on puisse, à l'heure actuelle, exciper du phénomène «réserves latentes» pour attaquer une décision d'octroi d'agrément bancaire unique à un établissement suisse. Comme le men- tionne ibidem, p. 106, «en Suisse les grands établissements de crédit devraient également réussir sans trop de problèmes à se conformer au ratio qui met en relation fonds propres et risques de crédit». Mais il faut bien saisir l'occasion de poser la question suivante: la réputation de prudence et de solvabilité des banques suisses est-elle un acquis définitif, et l'approche professionnelle de l'analyse financière se basera-t-elle indéfiniment sur un critère de pure et simple réputation ? Au niveau de la CFB, on peut en effet partir de l'idée que la bonne et due exécution de l'Accord de Bâle est maîtrisée à satisfaction dans la mesure où cette autorité pratique les quatre méthodes de contrôle préconisées, à savoir: — collation des informations nécessaires; — imposition de limitations directes aux opérations effectuées; — assurances quant au niveau d'expérience des dirigeants; — contrôle que l'application des normes garantisse une proportion de fonds propres supérieure à un certain niveau minimal, ce qui laisse à ces autorités une saine et efficace liberté de jugement. 116 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Au plan des relations de nos autorités compétentes avec l'extérieur cependant, même si la CE et la Suisse sont parties à l'Accord de Bàie, et même si la Directive sur le ratio de solvabilité (cf. bibliographie N0 45) s'y réfère expressément, il existe toujours un risque pour que l'un des Douze excipe d'une incompatibilité portant sur une norme qualifiée d'essentielle pour l'harmonisation préalable à l'application d'une possible reconnaissance mutuelle. Enfin, nous le répétons, c'est au plan des exigences du marché en matière de transpa- rence dans les opérations boursières et notamment dans le cadre de la législation réglemen- tant les offres publiques d'achat que, comme nous le verrons, des exigences déterminantes risquent parallèlement d'être émises. Pour terminer sur l'Accord de Bàie, il nous a semblé intéressant de relever les perspectives qu'ouvre sa dynamique, car elles nous paraissent parsemer le cheminement futur de la législation suisse d'embûches qui se révéleront de plus en plus importantes au plan de l'application du principe de la réciprocité, et plus tôt interviendra notre comportement d'adaptation, mieux cela vaudra. En effet, le rapport de la Banque des règlements internationaux (cf. bibliographie N0 46, p. 105) mentionne explicitement que l'Accord de Bâle couvre «actuellement... uniquement le niveau des fonds propres par rapport au risque de crédit et ne s'étend pas aux diverses formes de risques de marché, tels que les risques de taux d'intérêt ou de position de change». En effet, la définition des fonds propres reste de nature purement comptable, et nous dirons «bilancielle». Il reste à définir l'ensemble des risques que représentent les engage- ments hors bilan, leur degré de conditionnante, leur méthode d'évaluation qui implique une sophistication de plus en plus élevée alors même que leur volatilité peut être quasi instantanée. Nous faisons ici allusion, notamment, aux nouveaux instruments financiers et nous renvoyons le lecteur à la documentation spécialisée (cf. bibliographie N0 47) pour un descriptif approfondi. Qu'il nous soit simplement permis de souligner le poids déterminant pris par ce type de risques dans l'appréhension prudentielle des établissements de crédit depuis l'automatisation des opérations qui les concrétisent. Le krach boursier de septembre 1987 est là pour illustrer notre propos. 7.2.5.3. Normes de la Suisse L'examen de la plate-forme de coordination Suisse-CE, dans le segment de la coopéra- tion que représentent les fonds propres, s'inscrit dans divers processus d'analyse de compatibilité tels que les normes portant sur les offres publiques d'achat, l'introduction de sociétés en bourse et la surveillance consolidée des établissements de crédit. Nous voulons nous contenter à ce stade de démontrer qu'il existe par le biais des fonds propres un potentiel général de déclenchement d'une attitude de réciprocité négative au niveau de cette notion, définie par la CE comme un principe d'harmonisation essentielle, pour l'octroi de l'agrément bancaire. La législation communautaire stipule que les réserves doivent figurer au bilan. Selon la Directive sur les comptes annuels consolidés (cf. bibliographie N° 42), les réserves consti- tuent un poste séparé «en tant que sous-poste des postes 11 du passif, au bilan des 117 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE établissements de crédit, sauf la réserve de réévaluation qui figurera au poste 12». Par réserves, la législation communautaire définit les quatre sous-groupes suivants: — réserve légale, la définition légale nationale étant réservée; — réserve pour actions propres, avec la même cautèle que ci-dessus; — réserves statutaires; — autres réserves. Chacun de ces sous-groupes devant figurer au bilan, les réserves latentes au sens du Code suisse des obligations ne sauraient entrer dans leur définition, puisqu'elles ne figurent pas au bilan. L'ensemble de ces réserves entre dans la composition des fonds propres selon cette même directive (art. 10, lit. L, ch. IV). Au niveau du compte de profits et pertes nous sommes d'avis que la mise en réserves «latentes», ou que l'imputation de tout ou partie de celles-ci, pourrait théoriquement apparaître sous le poste «charges ou produits exceptionnels», soit sur l'un des postes séparés N0 18 ou N0 17 selon les cas, tels que prévus dans la Directive sur les comptes annuels et consolidés (cf. bibliographie N0 42). Le concept des réserves latentes selon le droit suisse nous paraît pouvoir jouer le rôle de «mater rixarum» dans l'examen d'une procédure d'agrément à la filiale communautaire d'un établissement de crédit d'origine suisse. Précisons que le dispositif normatif communautaire n'interdit pas aux banques la constitution de réserves «latentes». Cette possibilité, bien que controversée, a été admise en raison des risques inhérents à l'activité bancaire. Cependant les critères de constitution, explicites et stricts, ne laissent pas aux banques communautaires une marge comparable à celle des banques suisses. En aucun cas ils ne permettent d'influencer le compte de pertes et profits par l'injection de réserves «latentes», sauf publicité adéquate dans les comptes et annexes. Le Code suisse des obligations définit, à l'article 663, la latitude laissée à l'administra- tion de la société d'« attribuer à des éléments de l'actif une valeur inférieure à celle qu'ils ont au jour où le bilan est dressé». Il attribue de surcroît au même organe le droit très large de «constituer d'autres réserves latentes» pourvu que cet acte soit dicté par une politique destinée à «assurer de manière durable la prospérité de l'entreprise», et va jusqu'à en autoriser, quels que soient à la limite les résultats une «répartition des dividendes aussi constante que possible» dans une longue durée. De plus, selon le même code (art. 863), si ces réserves latentes sont en principe imputables à «l'excédent à distribuer», elles peuvent être distribuées indépendamment de la norme légale, pourvu que leur but consiste à «assurer d'une manière durable la prospérité de l'entreprise». En conséquence, une société suisse peut, par voie de dissolution des réserves latentes, présenter un exercice déficitaire comme étant bénéficiaire. Or, si les réserves latentes ne sont pas légalement considérées comme des fonds propres en Suisse, il n'en reste pas moins que le produit de leur dissolution est imputable sur les fonds propres, donc entre dans leur 118 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION composition au plan comptable et qu'elles sont, pour partie et selon des règles précises, intégrées aux fonds propres dans l'exercice de l'analyse financière. En fait les banques suisses ont l'obligation de présenter à leurs autorités de surveillance, soit à la Commission fédérale des banques, les fluctuations que suivent les réserves latentes, en explicitant le montant de leurs variations, ainsi que leur source et leur utilisation, de même que la justification de leur emploi. On peut certes estimer que cette procédure devrait satisfaire en principe aux règles prudentielles européennes de surveillance de la solvabilité des établissements de crédit, dans la mesure où celle-ci dépend des fonds propres, s'agissant aussi bien d'établissements communautaires en Suisse que d'établissements suisses dans la Communauté. Il n'en demeure pas moins que resteront ouverts trois champs potentiels de confrontation dans le cadre de l'obligation de la réciprocité pour une coopération entre la Suisse et la CE, à savoir: — l'obligation éventuelle pour la CFB de communiquer les informations concernant les réserves «latentes» à ses homologues de la CE, impliquant une perte de souveraineté, une mise en cause du principe de gestion «durable et prospère» institué par le Code suisse des obligations ; — l'obligation pour les banques suisses d'adapter leur structure comptable aux normes de la CE de façon à concrétiser l'objectif européen de comparabilité ; — l'obligation pour les banques suisses d'adopter une définition juridique et comptable des fonds propres, le poste des réserves y compris, qui soit compatible avec celle de la CE et qui satisfasse à l'exigence de l'équivalence. Il nous paraît donc opportun de rechercher et d'instituer un concept de fonds propres révisé qui satisfasse aux exigences, non seulement du marché international en matière de transparence, mais aussi de la CE en matière d'équivalence et de comparabilité. En d'autres termes, il nous paraît impératif, une fois encore, de ne pas nous contenter d'une attitude de statu quo, ou de refus d'une dynamique de la coopération qui déboucherait sur un scénario de confrontation, puis d'impasse. Ces exigences en matière de réserves latentes, nous allons le voir, ne pèsent pas seulement de tout leur poids par les normes en matière de fonds propres, mais également en matière de ratio de solvabilité, de mesures fiscales, d'activités boursières notamment. 7.2.6. Le ratio de solvabilité Comme déjà relevé, la Directive relative à un ratio de solvabilité (cf. bibliographie N0 45) des établissements de crédit constitue, avec la Directive sur les fonds propres, pour le législateur communautaire, un élément essentiel «de la reconnaissance mutuelle des agré- ments délivrés par les autorités nationales» (cf. Exposé des motifs, ch. 3 infine). Le respect des exigences communautaires en matière de ratio de solvabilité entre donc dans la structure de la relation de coopération qui, pour les pays tiers, peut donner lieu à un comportement de «TIT for TAT», soit de réciprocité positive ou négative. 119 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Les exigences en matière de réciprocité, dans le cadre de la Directive sur le ratio de solvabilité, reposent sur la notion d'équivalence, qu'elle mentionne de façon explicite. L'objectif de la directive consiste à établir une corrélation objective entre la qualité des engagements pris par un établissement de crédit et ses resssources en matière de fonds propres. En lieu et place des ratios simples, traditionnels qui mesurent ce type de corrélation, sans intégrer dans les termes de l'équation la variable que représente la diversité des types d'engagements, elle établit une distinction entre les degrés de risques et la concrétise par le biais d'une pondération des fonds propres. De plus, l'ensemble des engagements pris en considération comprend les deux sous- ensembles des engagements bilanciels et hors bilans. Pour être précis, la Directive sur le ratio de solvabilité substitue à la pondération des éléments de hors bilans (ancien art. 6, § 1) une description générale de traitement de ces éléments (art. 6, § 2 à 4), soit propose, en l'occurrence, une méthode de calcul. En bref, l'idée consiste à contourner l'obstacle que représente la diversité des nonnes en matière de fonds propres, en imposant une imputation pondérée aux fonds propres des risques comptables, basée sur des critères objectifs et communs aux Douze. Il n'en reste pas moins, d'autre part, que la divergence de concept avec la Suisse demeure et qu'elle prête donc à un potentiel de réciprocité négative, tant au plan de la Directive sur le ratio de solvabilité qu'à celui de la Proposition de Directive sur les fonds propres puisque le numérateur du ratio est constitué par les fonds propres et que les réserves «latentes» peuvent en l'occurrence constituer un poids relatif déterminant. La Directive marque une évolution positive, par rapport à sa version première formulée sous forme de proposition. En effet, la volonté d'une coopération élargie trouve une expression supplémentaire dans la substitution des pays zones «A» et «B» (la zone «A» englobant les Douze, les pays de l'OCDE et l'Arabie Saoudite) à celle de la notion d'emprunteurs «nationaux» ou «autres», selon qu'ils appartiennent à la CE ou non, éliminant par là une discrimination importante à l'égard de pays tiers comme la Suisse. A titre d'exemple, la pondération pour les créances sur les administrations centrales et les banques centrales est de 0 % dans la zone «A» et de 100 % dans la zone «B» (art. 6, al. a, ch. II, et al. e, lit. i). Qu'il nous soit permis de relever qu'une telle évolution, sur ce point spécifique, nous paraît aller de soi, puisqu'elle correspond à l'évidence d'une homogénéité certaine du degré de solvabilité dans les pays concernés, par opposition à de nombreux autres pays qui connaissent des problèmes de financement extérieur. Le fait, néanmoins, qu'une Proposition de directive du Conseil présentée par la Commission en avril 1988 stipulait une distinction que l'on peut qualifier de discriminatoire ne doit pas manquer de faire réfléchir un pays tiers comme le nôtre sur les effets possibles d'un esprit protectionniste sous-jacent, et qu'un retournement conjoncturel peut toujours raviver. En fait l'élargissement en question ne repose que sur l'appréhension de critères techni- ques de solvabilité, et non pas sur la problématique de l'équivalence ou du potentiel de 120 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION réciprocité négative qui demeure entier dans le cadre de la présente directive, et qui tient au processus de coordination en matière d'information et de surveillance. Le champ d'application de cette directive (art. 1) porte sur les établissements de crédit. Les succursales des banques de pays tiers en sont explicitement exclues pourvu, bien entendu, qu'elles dépendent d'une affiliée sise dans le territoire de la CE, et que cette affiliée soit au bénéfice de l'agrément unique. De plus, ces succursales, la société affiliée dont elles dépendent ainsi que la société-mère établie dans un pays tiers doivent satisfaire aux exigences en matière de consolidation de ratio de solvabilité, réglementées par la Surveil- lance sur base consolidée (cf. bibliographie N0 33) et la Directive sur les comptes annuels consolidés (cf. bibliographie N° 42). Quant à la surveillance de ces succursales, «elle continuera à être réglée par les autorités compétentes du pays d'accueil», celles-ci pouvant décider au cas par cas, selon «la pratique dominante ... à confier la surveillance aux autorités des pays tiers lorsque ses règles de surveillance sont reconnues équivalentes» (cf. bibliographie N" 45, section 11, ch. 2). La responsabilité de la surveillance prudentielle en l'espèce incombe au pays d'accueil, avec la faculté de déléguer, sous sa responsabilité, les tâches qu'elle implique au pays d'origine, soit au pays tiers notamment. Ce serait donc au pays d'accueil de juger dans quelle mesure le pays tiers accorde l'équivalence aux banques du pays d'accueil. A priori rien n'empêche par ailleurs de penser qu'à la limite, le pays d'accueil pourrait exciper d'une non-équivalence du pays d'origine envers l'un quelconque des onze autres Etats membres, alors même que le pays d'origine aurait, cas échéant, pu prouver qu'il traite de façon équivalente les banques du seul pays d'accueil, si le pays d'accueil place le débat au niveau supra-national communautaire. Ainsi l'on constate, une fois de plus, le degré d'incertitude pour les pays tiers que représente le dispositif normatif communautaire et, par voie de conséquence, l'importance que revêt un comportement de coopération marqué par une attitude claire et explicite d'ouverture et de tendance à la coordination. Il paraît par ailleurs évident que les principes de pondération doivent être appliqués par la succursale, par la filiale de l'établissement tiers de façon à être rendus accessibles, analysables par les autorités compétentes au moins deux fois par an (art. 3, al. 3). Il existe un plan supplémentaire qui accentue la géométrie potentielle d'une confrontation avec les pays tiers et c'est, en l'espèce également, le schéma de la mise à jour. En effet, la directive définit (art. 8) une procédure de modification technique qui revient à donner à la Commission toute compétence d'ajustement, selon la procédure déjà décrite qui fait intervenir le comité consultatif. Sans commenter à ce stade le poids du pouvoir dont la Commission bénéficie en l'occur- rence, il est vrai dans un domaine technique, il nous paraît important de souligner que les Etats tiers n'ont pas de place ni à la consultation, même en tant qu'observateurs, ni a fortiori à la décision. Or, une fois de plus, il nous faut constater qu'une mutation normative ainsi décidée peut ipso facto rendre caduc tout accord bilatéral passé entre les autorités compétentes d'un Etat tiers, dans le cadre de la surveillance du ratio de solvabilité, avec l'un des Douze. Les conséquences, tant au plan juridique que pratique, sont suffisamment évidentes pour renforcer la conviction d'une nécessité de mise sur pied d'une plate-forme de coordination dans ce segment de la coopération que constitue le ratio de solvabilité. 121 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE 7.3. Mesures fiscales Les mesures de déréglementation que constituent la libération des flux financiers et la libéralisation des services financiers entraînent pour corollaire la nécessité d'une «re- réglementation». Le but est, en effet, «d'assurer la qualité et la crédibilité d'un espace financier européen, dont la CE puisse garder l'entière maîtrise» (cf. bibliographie N° 48, p. 7). Ainsi que le Parlement européen le constate (cf. bibliographie N0 48, p. 5) «la puissance des moyens dont disposent les marchés financiers s'est traduite par un développement considérable de la sphère financière qui ne s'est pas accompagné d'un développement parallèle de la croissance économique». Il s'agit d'éviter que la dynamique dite «de la spéculation» (cf. ibidem, p. 6) n'aggrave ce facteur de discordance entre la finance et l'économie qui ne peut se développer qu'au «détriment de l'économie réelle». Il s'agit, bien au contraire, d'endiguer les forces du mouvement de libéralisation et de les transformer en un «facteur de croissance et de cohésion économique et sociale pour l'Europe». Il s'agit en outre, et en seconde priorité, de conférer à l'ensemble de l'espace financier européen la qualité de centre financier à vocation internationale. En conséquence, la limite de la libéralisation sera définie par une re-réglementation qui s'inscrira dans le double horizon des contraintes intérieures et extérieures à la CE. Les critères de référence comprendront l'ensemble des politiques prioritaires au plan national que sont les politiques monétaire, budgétaire et de l'emploi, et au plan supranational de développement des régions par la redistribution des ressources. La dynamique de la libéralisation financière se pliera aux contraintes de ces politiques d'abord, et ne se tournera vers l'optimalisation du profit qu'ensuite, l'une et l'autre de ces démarches n'étant, bien sûr, pas forcément incompatibles. Le dispositif de re-réglementation se développe en l'occurrence sur deux axes: l'axe monétaire, que nous aborderons dans le cadre de la politique monétaire (cf. § 8), et l'axe fiscal que nous nous proposons maintenant d'analyser au plan de ses implications potentielles dans la dynamique de la réciprocité avec les pays tiers. Comme l'exprime Christiane Scrivener, commissaire en charge de la fiscalité, dans la notice d'information de la CE du 8 février 1989, le but ne consiste pas à élaborer un dispositif fiscal communautaire idéal, mais à «supprimer ou à atténuer les risques de distorsion, d'évasion ou de fraude fiscales liés à la diversité des régimes nationaux». Fidèle à l'esprit de l'Acte unique, la Commission, par le biais de deux directives, propose de réaliser l'harmoni- sation minimale qui permette l'application du principe du contrôle par le pays d'origine, tout en conférant aux autorités compétentes les moyens de coordination et d'échange d'informa- tions assurant la maîtrise d'une telle délégation des tâches. Il s'agit de la Proposition de Directive sur la retenue à la source et la Proposition de Directive concernant l'assistance administrative (cf. bibliographie Nos 49 et 50). Examinons pour commencer la première de ces directives. Il est proposé d'instituer une retenue à la source minimale de 15% sur les intérêts perçus par les résidents communautaires. La directive introduit ainsi une notion fiscale nouvelle: celle de résident fiscal communautaire. 122 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Comme on le sait, l'application de cette directive a été au moins provisoirement repoussée, suite à la fuite des capitaux qu'avait provoquée l'instauration en Allemagne d'une retenue à la source. Son examen nous paraît cependant indispensable dans la mesure où on peut partir de l'idée qu'elle illustre bien l'approche du législateur européen d'une part et, d'autre part, que ses chances d'entrer en vigueur demeurent. Cette proposition, simple, économique et transparente au plan technique paraît à la fois modeste et ambitieuse. Elle apparaît modeste pour les raisons suivantes : — Sa portée est limitée à la seule fiscalité des revenus de l'épargne fixe (intérêts d'obligations, rémunération des dépôts bancaires, etc.) selon la note d'information de la Commission du 8 février 1989 susmentionnée. Il apparaît en fait à l'examen de la Proposition de Directive qu'on entend par intérêts «Les revenus de créances de toute nature, y compris les primes et lots attachés à des fonds publics et à des obligations d'emprunts», ainsi que «la différence entre le prix d'émission et le prix de rembourse- ment» des titres dont le revenu est constitué par une augmentation de leur valeur (art. 2). Le débiteur peut être soit un résident d'un Etat membre, un Etat membre, une subdivision politique ou une collectivité locale (art. 14). Dans les commentaires (ch. II, art. 2, § 1), il est précisé qu'il s'agit des créances de toute nature, même assorties d'une clause de participation aux bénéfices, y compris les dépôts d'espèces et les cautionnements en numéraire. En voie de conséquence sont exclus du dispositif les revenus qui n'ont pas un caractère d'intérêts, comme les dividendes d'actions. Une telle omission souligne le caractère modeste de l'ensemble. Il est connu en effet que les actions incorporent une partie substantielle de l'épargne tant des personnes privées que des investisseurs institutionnels. A telle enseigne qu'en Suisse, le prélèvement à la source s'étend à cette catégorie de titres. De plus, il existe des instruments d'épargne mixte, groupant le dépôt en espèces et le dépôt en titres qui bénéficient, en Suisse, d'une exonération fiscale totale (cf. les comptes d'épargne-placement Invest ou Fiscaplan), ainsi que des revenus sous forme d'options ou de futures, qui ne tombent pas dans la catégorie des revenus d'intérêt. — L'importance du prélèvement ne dépasse pas ce que la Proposition de Directive, dans son introduction (§ 20), qualifie de «chiffre proche de la moyenne des retenues à la source pratiquées dans la CE» (de 0% à 35%). — Son champ d'application souffre un certain nombre d'exceptions, explicitées: à l'article 5: • épargne à taux privilégié ou exonérée, dite «populaire», sous forme de dépôt en espèces ou d'émissions ponctuelles; • organismes de placements collectifs en valeurs mobilières (fonds de placement) ; • prêts entre particuliers ; • emprunts internationaux ou euro-obligations ; • épargne dont le bénéficiaire est résident d'un pays tiers; • intérêts constituant des revenus commerciaux et industriels pour le bénéficiaire (soit les prêts inter-entreprises) ; 123 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE • épargne en général quand les Etats membres sont en mesure de connaître les bénéficiaires des intérêts. à l'article 4 (§ 3): m le domaine d'application des conventions bilatérales conclues entre Etats membres. La directive paraît ambitieuse pour les raisons suivantes : — A l'instar des mesures concernant la liberté de circulation et d'établissement des personnes, les normes fiscales nécessitent une décision du Conseil à l'unanimité. Or le fisc, c'est le salaire de l'Etat, c'est le moyen de toutes ses politiques, c'est la marque de ses succès comme de ses échecs au niveau national, et cet état de fait demeurera le cas même dans le cadre d'une harmonisation fiscale communautaire. Ainsi par définition toute mesure fiscale peut être qualifiée d'ambitieuse au plan politique et, a fortiori, une mesure de portée supranationale comme celle-ci. Le domaine fiscal constitue l'un des aspects les plus problématiques au plan politique du programme d'intégration, et la probabilité de mise en vigueur de l'appareil normatif qu'il comporte dans les temps impartis paraît très faible (cf. bibliographie N0 51, p. 46, dernier §). — Il est évident que la libéralisation des mouvements de capitaux et des services financiers entraîne un risque élevé de délocalisation de l'épargne. Pour apprécier ce potentiel de délocalisation, il faut souligner, comme nous le verrons de façon approfondie plus loin (cf. § 8) que la Directive concernant les flux de capitaux (cf. bibliographie N" 52) est l'instrument d'une libéralisation complète des flux de capitaux qui doit intervenir déjà au 1er juillet 1990. Au plan juridique, la relation de cause à effet entre libéralisation et risque de délocalisa- tion est explicitée dans le corps de cette directive, dans son 8° considérant selon lequel «il convient de mettre à profit le délai retenu pour la mise en application de la présente directive afin que la Commission puisse soumettre les propositions visant à supprimer ou à atténuer les risques de distorsions, d'évasion et de fraudes fiscales liés à la diversité des régimes nationaux». Au plan pratique, il suffit de réaliser qu'un résident sera en droit d'ouvrir un compte dans n'importe lequel des douze Etats, en monnaie nationale ou en devises, sous forme d'opération financière liée à une activité commerciale ou non, à court, moyen ou long terme. Ainsi l'épargne, qu'elle se traduise par un placement à long terme ou qu'elle prenne la forme d'une opération spéculative à très court terme, se déplacera vers les pôles jugés de profitabilité supérieure. A court terme, l'épargnant raisonnera en fonction des taux d'intérêt nominaux, voire des taux de change en cas de réalignement prochain supputé, ou des taux de change et d'intérêt combinés à moyen et long terme. Si la clientèle privée, devenue au fil des années «cost minded» agit en fonction d'un tel schéma, il en est de même a fortiori pour les professionnels, qu'ils soient gérants de fortune, fonds de prévoyance ou trésoriers de grandes sociétés. Or ces flux de capitaux peuvent, grâce à la technique moderne, se déclencher quasi instantanément, inscrivant à la limite plusieurs aller et retour quasiment dans l'instant. Quant à l'inventaire des flux possibles, nous nous référons d'une part à la liste contenue en annexe à la Directive concernant les flux de capitaux (cf. bibliographie N0 52) qui n'a 124 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION d'ailleurs pas de caractère exhaustif et, d'autre part, au § 8 ci-après. Qu'il nous suffise, à ce stade, d'indiquer que tous les mouvements de capitaux sont concernés, qu'il s'agisse de mouvements liés à des activités commerciales, qu'ils soient de nature purement financière, qu'ils prennent la forme d'un mouvement d'espèces ou de monnaie scripturale, qu'ils se résolvent à une échéance immédiate ou à long terme, qu'ils prennent la forme d'engagements conditionnels, qu'ils visent un but purement spéculatif ou de couverture d'avoirs. Ainsi nous paraît ambitieuse la directive qui a pour but d'éviter la délocalisation de l'épargne par une retenue à l'assiette limitée. Bien que la directive apparaisse comme une démarche à la fois ambitieuse dans un contexte politique rendu délicat par les disparités socio-économiques, et limitée dans le cadre d'une libéralisation complète des flux et des services financiers, nous sommes d'avis que ses chances de succès peuvent être considérées comme bonnes, malgré les retards et tergiversations actuels. Cela tant au plan du processus de formalisation politique qu'à celui de l'application technique. Au plan politique pour le double motif de la volonté commune de réaliser l'Espace financier européen en tant que pierre angulaire du Marché unique, et de l'acceptation nécessaire et déclarée de son corollaire que constitue un processus d'harmonisation fiscale minimale. Au plan technique, pour le double motif de sa facilité de réalisation et de sa souplesse d'exécution. Les distorsions que pourrait entraîner l'application d'un taux unique dans des situations différentes seront atténuées par l'effet cumulatif du caractère facultatif de son effet libératoire (art. 7) et le caractère minimal de son taux (art. 4). Les Etats membres, responsables de son application, pourront opter pour l'effet libéra- toire lorsque le montant retenu ou l'appareil de contrôle s'avéreront suffisants pour que le résident fiscal s'acquitte de son dû. Ils opteront pour l'effet non libératoire, soit considére- ront le montant perçu comme un acompte imputable sur la créance fiscale, le trop-payé étant restituable au résident fiscal dans les autres cas. En conclusion, cette mesure, qui constitue un premier pas vers une harmonisation minimale des règles fiscales communautaires, s'imposera en principe plus rapidement que l'ensemble du dispositif d'harmonisation proposé par la Commission, et qui porte sur la TVA et les droits d'accise. Comme le mentionnent J.A. Kay et S.R. Smith (cf. bibliographie N0 51, p. 67) «le fait qu'il soit virtuellement certain que les propositions de la Commission concernant l'harmonisation des taxes indirectes ne seront pas mises en vigueur d'ici à 1992 ne doit pas être interprété comme le symptôme qu'il ne se passera rien». Or, la Suisse paraît s'éloigner résolument, non seulement d'une approche coopératrice qui se traduirait par la négociation de l'harmonisation, mais encore de toute structure fiscale qui se rapproche de la TVA. Il nous semble que nos autorités pourraient, dans ce domaine également, montrer qu'elles se soucient d'éviter une confrontation du type «TIT for TAT», et faire la démonstration d'efforts dans le but de tendre à une certaine harmonisation. L'existence de deux structures fiscales aussi différentes présentera un obstacle d'autant plus grand que l'intégration de la Suisse au Marché unique se fera plus étroite. Un monde économique plurinational, doit tendre, par souci de rationalisation et d'économies d'échelle, par souci de compétitivité, vers une harmonisation des contraintes administratives et notamment fiscales. Comment la Suisse peut-elle justifier de son intérêt à participer au 125 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE processus pour éviter d'être isolée, tout en se refusant d'envisager la mise en place d'une coordination minimale pour la dynamique de la coopération? Envisager la coordination ne signifie pas coordonner passivement, et coordonner ne signifie pas nécessairement perdre sa souveraineté. Dans ce segment de la coopération également, et peut-être plus fortement que dans d'autres, nous bénéficions d'atouts qu'il s'agit de faire valoir. En effet, notre système de retenues à la source est l'un des plus contraignants, tant par le niveau de son taux que par son application aux non-résidents. De plus, notre Etat ne compte depuis longtemps plus au nombre des paradis fiscaux, de façon générale. De surcroît, le caractère non pénal de l'évasion fiscale, ou l'inventaire légal relativement limité des délits fiscaux en Suisse, ainsi que l'importance des fonds confiés à nos banques notamment, nous mettent également dans une position de force par rapport à nos partenaires européens, pourvu que nous montrions par de transparentes velléités de coordination notre volonté de coopération. Dans le cas contraire, les mêmes atouts pourraient se révéler embarrassants. Or le comportement affiché par le CF nous paraît aller dans la direction radicalement opposée. Car l'Europe avance dans ce domaine également. C'est ainsi que J.A. Kay et S.R. Smith (cf. bibliographie N0 51, pp. 67 et suivantes) envisagent trois scénarios de déblocage possibles du processus fiscal dans la CE: • l'arrangement transactionnel, qui pourrait porter soit sur des spectres de produits exonérés, sans que cela implique des distorsions de la concurrence, soit sur un taux minimal de TVA adaptable par chaque Etat ; • la communauté à deux vitesses, qui verrait la création d'une zone libéralisée et d'une zone non libéralisée, ce qui représenterait pour les Etats non libéralisés la pire des solutions, celle que ces auteurs jugent expressément (p. 73) être celle que redoutent l'Autriche, la Suède et la Suisse, le bénéfice de l'intégration échappant à ces derniers; • le report de délai, qui paraît improbable vu les échéances fixées dans le domaine de la libéralisation financière et de la réalisation du Marché unique. Un symptôme de cette volonté politique nous paraît être le rapprochement entre la RFA et la France sur la TVA («Journal de Genève », 26-27 août 1989). La RFA déclare se rallier à la position française, pourtant favorable à un pays importateur net, qui consiste à maintenir le système actuellement en vigueur selon lequel les biens exportés vers un Etat membre sont taxés aux taux de TVA appliqués dans cet Etat. Bien que regrettant une «solution plus macro-économique», telle que celle préconisée par la Commission, selon laquelle exporta- tions et importations devaient être traitées à pied d'égalité, soit selon le taux du pays exportateur, la RFA a tiré les conséquences pratiques des «difficultés insurmontables» que soulevait la constitution d'une caisse de compensation au niveau européen. En bref, il apparaît que la Suisse s'engage sur le plus mauvais des scénarios, si elle poursuit dans son attitude de confrontation, notamment et peut-être surtout en matière fiscale. Il nous apparaîtrait erroné, quant à nous, d'essayer de poursuivre une politique de terre d'asile alors que les conditions de mise en péril chez nos partenaires européens s'estompent et disparaissent à l'horizon d'une conjoncture favorable. 126 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Nous n'avons fait qu'évoquer la problématique de la structure des taxes indirectes, cela afin de placer le débat concernant la retenue à la source dans son contexte général. Il est évident que l'étude des avantages, des inconvénients et des mesures possibles devrait être faite rapidement et de façon approfondie par nos autorités fédérales avec bonne et due information au public. Or seul le message du CF (cf. bibliographie N0 13) mentionne cette problématique, sans l'approfondir et sans indiquer de recherches quelconques en l'espèce. D'ailleurs le débat semble davantage se situer en Suisse sur le plan politique qu'économi- que et occulter le vrai problème qui se place au niveau de la compétitivité, partiellement battue en brèche, de nos banques. Pour en revenir à la retenue à la source, voyons quelle attitude adopte la Commission par rapport aux pays tiers dont la Suisse. Il s'agit de se référer au corps normatif que constituent: • la Directive portant sur la libération des flux de capitaux (cf. bibliographie N0 52), laquelle propose une règle de comportement ainsi qu'un champ d'application clairement défini ; • la Directive concernant la retenue à la source (cf. bibliographie N0 49), qui définit les risques de distorsions avec les pays tiers ; • la Directive concernant l'assistance administrative (cf. bibliographie N0 50), qui prévoit des mesures de contrôle spécifique. Il nous paraît également intéressant de relever que, dans sa note d'information du 8 février 1989 (p. 3), la Commission nomme explicitement les deux pays tiers plus particulièrement visés, à savoir les USA et le Japon. Au plan historique, nous nous proposons d'ancrer notre réflexion dans la philosophie que dégage le Rapport sur un espace financier européen (cf. bibliographie N0 48), dont nous tirons les lignes de force suivantes. La CE devrait «devenir un centre financier à vocation mondiale», car elle n'occupe pas une place qui correspond à sa puissance économique. La stratégie consiste à créer une identité suffisamment crédible et profitable, pour attirer les capitaux tiers tout en plaçant les barrières qui permettront au marché financier unique de rattraper le retard pris par l'Europe financière, en faisant d'abord et en première priorité profiter les Etats membres de l'effet bénéfique de la libéralisation. Celle-ci sera d'abord «intra-omnes» avant de devenir «erga- omnes ». La CE recherchera «notamment dans le cadre de l'OCDE et du Conseil de l'Europe, la conclusion d'accords sur le rapprochement des systèmes fiscaux et l'assistance administra- tive mutuelle contre la fraude fiscale». Ainsi la CE réalise que les risques d'évasion des capitaux vers des pays tiers ne seront efficacement écartés, ou suffisamment atténués que moyennant une approche internationale, si possible multilatérale. La stratégie consiste à utiliser l'arme de la négociation pour imposer le principe de la retenue à la source notamment, et de l'assistance administrative en échange d'une libéralisa- tion «erga-omnes». Il nous paraît en l'occurrence une fois de plus frappant, qu'il soit fait référence au Conseil de l'Europe et à l'OCDE, et non pas à l'AELE. Citons encore la Commission : «Tant la libéralisation des mouvements de capitaux que son corollaire, la libre 127 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE prestation des services financiers, pourra exposer aussi la Communauté à la concurrence inégale de certains pays tiers, en cas de non-réciprocité, et à la déstabilisation de ses marchés. » Or le protectionnisme a ses limites et la Commission constate que la libéralisation «ne peut se concevoir indépendamment de l'extérieur». C'est pourquoi la Commission parle d'un «nouvel esprit d'ouverture d'une Communauté en voie d'intégration financière», par rapport à l'esprit «défensif» qui avait présidé à l'élaboration des premières directives réglant les processus de soutien financier. L'exposé des motifs de réaménagement de la directive N0 72/156/CEE pour la régulation des flux financiers internationaux et la neutralisation de leurs effets indésirables sur la liquidité interne mentionne «l'affirmation implicite d'une large ouverture de l'espace financier vers l'extérieur» (cf. bibliographie N0 52). En fait, il est stipulé à l'article 1 de cette directive modifiée que les Etats membres se contenteront de s'efforcer à atteindre avec les pays tiers le même degré de libéralisation qu'entre eux. Il est de surcroît précisé qu'il s'agit là d'une «affirmation implicite», et qu'elle «ne constitue pas une obligation de libération erga-omnes». Une telle obligation compromet- trait en effet toute marge de manœuvre dans la négociation que nécessiterait la non- réciprocité. L'ambiguïté de cette position est d'autant plus grave que, nous tenons à le souligner, la non-réciprocité se définit aussi bien par rapport à des règles nationales que communautaires, développant ainsi un potentiel de synergies négatives d'une force nouvelle pour les pays tiers. Il n'est d'ailleurs nulle part précisé si la démarche en l'occurrence doit s'entendre comme étant collective et concertée, ou ne ressortir qu'à un Etat au plan individuel. Jusqu'à ce point nous nous rallions en fait à l'analyse de l'étude faite par Patrick Dibout (cf. bibliographie N0 53). Nous ne partageons néanmoins pas le point de vue que l'auteur exprime selon lequel une démarche isolée aurait peu de chance d'aboutir pour des motifs d'ordre concurrentiel, les capitaux interdits d'un Etat se transférant instantanément vers un autre ayant déjà libéralisé, comme la Grande-Bretagne, le Luxembourg par exemple. En effet, rien n'empêche, à notre avis, qu'un jugement de non-réciprocité valable à l'endroit de l'un des Douze ne porte pas ses effets à l'intérieur de la CE tout entière. La directive, qui prend effet au 1er juillet 1990, libéralise entièrement les mouvements de capitaux, tout en disposant le cadre des re-réglementations que nécessite un tel décomparti- mentage. D'abord la directive ne préjuge pas du droit des Etats membres à se protéger contre les infractions à leurs propres lois et règlements, notamment en matière fiscale, et les laisse libres et compétents pour la mise en place de toute mesure nécessaire à l'information administrative ou statistique (art. 4). Cela signifie notamment qu'un des Douze peut en tout temps demander à l'un de ses partenaires des informations sur les flux de capitaux en provenance ou à destination de pays tiers. En conséquence, le résident européen que constituerait la filiale d'une banque suisse devrait être à même de fournir ces informations sur simple réquisition, provenant à la limite d'un des Douze avec lequel elle n'est pas en relation d'affaires, et portant sur des flux établis entre cette filiale et un autre Etat tiers comme le Japon ou les USA, par exemple. On peut bien entendu se demander quelle serait la réaction des autorités compétentes, ou simplement de l'ayant droit concerné dans cet autre pays tiers, alors même que ce type 128 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION d'informations est couvert par le secret bancaire suisse, ou dans son propre Etat de résidence. Au plan de l'analyse de l'obligation de la réciprocité pour une dynamique de la coopération, il s'agit de définir le risque de réciprocité négative qu'engendre la simple existence d'un tel schéma potentiel. La directive précise que l'obligation d'atteindre avec les pays tiers le même régime qu'au sens de la directive ne constitue pas une obligation absolue. Il s'agit uniquement de s'efforcer d'atteindre le même degré de libération (art. 7, al. 1). De surcroît, le fait que selon ce même article (al. 2) ces dispositions ne préjugent pas de l'application des conditions éventuelles de réciprocité, s'agissant de règles nationales ou du droit communautaire, implique que la directive présente un caractère défensif aussi bien que libéral. Libéral dans la mesure où il marque la limite légale du caractère facultatif de la disposition. Défensif dans la mesure où il fait apparaître clairement que les conditions de réciprocité au plan national priment les conditions de réciprocité au plan communautaire. Encore une fois, la réciprocité devrait pouvoir être démontrée comme établie à la limite avec la totalité des Douze pris individuelle- ment. D'après l'annexe I de la directive, laquelle, nous le répétons, n'a pas un caractère exhaustif, à chaque hypothèse définie des mouvements de capitaux est intégrée la double possibilité de flux dirigé vers la CE par des non-résidents, et dirigé hors la CE par des résidents. Selon les notes explicatives, les entreprises concernées sont les «entreprises juridiquement indépendantes (filiale à 100%) et les succursales». Par résidents et non- résidents on entend «les personnes physiques ou morales d'après les définitions établies par la réglementation sur les changes dans chaque Etat membre». De plus, la portée du dispositif comprend non seulement les établissements de crédit mais également les établissements financiers, soit notamment les compagnies d'assurances, alors que le champ d'application s'étend également aux prêts hypothécaires. On peut, selon nous, partir de l'idée que chacune de ces prestations, que chaque type de prestataire est susceptible de faire l'objet d'une réglementation séparée, au plan bilatéral, avec les pays tiers. A titre d'exemple, nous mentionnons l'accord sur les assurances-choses. Quant à la Directive sur la retenue à la source, elle prolonge la Directive sur la libération des flux de capitaux dans ses effets. Voyons de quelle façon. Dans les observations générales (ch. 12) il est souligné, en référence à l'article 4 de la précédente directive, qu'un «Etat membre aura toujours la faculté d'obtenir de ses banques des informations sur les transferts de capitaux à l'étranger effectués par ses résidents, soit lors du transfert, soit a posteriori». Au § 25, il est répété que la CE «devrait engager soit sur une base bilatérale, soit dans un cadre multilatéral comme l'OCDE, des négociations avec les principaux pays tiers». L'utilisation du conditionnel ne marque pas, à nos yeux, que l'expression d'une tactique diplomatique: elle marque que l'ouverture «erga omnes» ne figure pour le moins pas au niveau des priorités. Dans l'exposé des motifs (I considérations générales, § 3), il est indiqué que «le taux minimum d'imposition obligatoire dissuadera les investisseurs de la CE de transférer des fonds vers d'autres Etats membres uniquement pour se soustraire à l'impôt». Cette considération marque la limite du dispositif à l'égard de l'évasion vers des pays tiers. C'est pourquoi l'article 9 stipule que pour limiter ces risques la CE entamera des négocia- tions afin d'étendre le champ d'application géographique de la retenue à la source. 129 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE On jugera sans peine de la portée du potentiel de réciprocité négative que comporte le fait que la Suisse pratique une politique d'exonération de la retenue à la source dès lors que le débiteur est un non-résident, dans le cadre notamment d'un dépôt fiduciaire. Or, le schéma du dépôt fiduciaire sous-tend une trilogie : le fïduciant qui agit à ses risques et périls et qui n'apparaît que vis-à-vis du fiduciaire, l'intermédiaire financier ou fiduciaire qui replace le même montant en son nom propre et l'établissement dépositaire, en principe une banque qui ne peut établir de lien avec le fiduciant, soit qui ne peut connaître l'origine des fonds. Afin de maintenir la viabilité de telles opérations, qui représentent des montants d'autant plus substantiels que les expectatives monétaires à court terme sont intéressantes, les banques suisses vont-elles s'engager à ne pas recycler des fonds communautaires dans la CE par le biais d'opérations fiduciaires? Si oui, moyennant quelle voie institutionnelle et en vertu de quel mandat politique ? Ou bien les banques suisses vont-elles adopter un comporte- ment de confrontation et prêter le flanc au potentiel de réciprocité négative ? On conçoit en effet qu'il y a discordance entre la norme communautaire selon laquelle les non-résidents sont exemptés de l'impôt à la source (art. 1, al. 2) et le schéma fiduciaire ci- dessus explicité. Comme expliqué dans Observations générales, ch. 23, de la directive, les limitations dépendant «uniquement d'une pratique administrative plus restrictive» (en matière de publicité sur les opérations) «peuvent et doivent être éliminées». Le principe est considéré comme un point d'harmonisation minimal ou essentiel, tant que l'harmonisation des législations sur le secret bancaire est encore jugée impossible. C'est dans cette idée de «renforcement de la coopération entre administrations fiscales» (cf. bibliographie N0 49, observations générales, ch. 26) que la Commission propose une directive qui modifie les dispositions de la directive du Conseil 77/799/CEE du 19 décembre 1978, selon laquelle «l'échange d'informations était limité par le fait qu'une autorité compétente n'était pas tenue de rechercher ou de transmettre à l'autorité compétente d'un autre Etat membre des informations que la législation ou la pratique administrative de son pays ne l'autorise pas à recueillir ou à utiliser pour ses propres besoins». En vertu de la Directive d'assistance mutuelle (cf. bibliographie N0 50), qui entre également en vigueur le 1er juillet 1990, aucun Etat membre ne peut plus se prévaloir de pratiques administratives restrictives, pour refuser de donner aux autorités fiscales d'un autre Etat membre, toute information sur la situation fiscale d'un résident. Il suffit pour ce faire que les autorités requérantes puissent «faire valoir des raisons précises permettant de présumer qu'un de ses résidents a transféré, directement ou par l'intermédiaire d'un autre pays, des fonds importants» sans avoir accompli ses devoirs fiscaux (art. 1er). Le pouvoir d'investigation ainsi conféré est grand car la notion de présomption n'est pas définie, donnant libre application à tout soupçon, en l'absence de toute documentation objective. Comme la pratique l'a déjà montré, il suffirait que les autorités fiscales ayant demandé à une banque de confirmer ou d'infirmer l'existence d'une relation avec un résident donné ne reçoivent aucune réponse pour qu'elles puissent «de facto» en déduire une présomption suffisante. La pratique administrative qui consiste par exemple à créer un cloisonnement de l'information entre les autorités de surveillance prudentielle et les autorités fiscales, entre l'administration des fonds de prévoyance de droit public et les autorités fiscales, entre les 130 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION fonctionnaires relevant de départements ou de ministères différents, entre la CFB et le Département des finances, tombe. Il devrait probablement en aller de même entre l'Organe de révision, ou de contrôle, et les autorités fiscales. Il nous paraît inutile d'examiner de façon plus détaillée quel risque de réciprocité négative il existe dans ce domaine entre l'un quelconque des Douze, ou la Communauté et la Suisse notamment. Que se passerait-il, au cas où la structure de réciprocité directe entre la Suisse et la CE ne serait en l'occurrence pas contestée, mais que les autorités fiscales de l'un des Douze s'y réfèrent pour exiger, en application de cette norme, que les autorités fiscales suisses donnent toute information concernant un ayant droit résidant au Japon, ou dans n'importe quel autre pays tiers? En l'absence de toute initiative de coordination visant à satisfaire de façon institutionnali- sée à l'obligation de réciprocité, les banques suisses ne se retrouveraient-elles pas à la merci d'une politique systématique de mainmise des autorités fiscales des Douze sur le contenu de leurs relations avec les tiers non résidants communautaires, ne serait-ce que pour la raison qu'elles auraient à prouver qu'il ne s'agit pas de relations liées avec des résidents communautaires ? Dans le domaine fiscal également et peut-être plus particulièrement, car c'est le plus sensible au plan politique et là que l'image de la Suisse en l'occurrence pourrait la desservir, la coopération passe par la mise en œuvre d'une stratégie par définition volontariste de la réciprocité dans le cadre d'une négociation dont on sent bien qu'elle ne peut être que bilatérale Suisse-CE, étant donné le caractère prédominant des idiosyncrasies concernées. Nous ne saurions être complet sans souligner les contraintes de marché et de compétiti- vité que l'absence d'une plate-forme de coordination soulèvera pour les entreprises suisses et, particulièrement, pour les banques. Autant la tendance à l'harmonisation fiscale permet de réaliser des économies d'échelle substantielles, autant une divergence de fond en la matière entraîne des pertes de ressources importantes. Même si cet aspect n'entre pas dans le contenu de la structure de la coopération que nous analysons, il n'en constitue pas moins une raison supplémentaire qui plaide en faveur d'un changement de comportement au plan bilatéral Suisse-CE, tant il est vrai que la Suisse dispose, en matière fiscale dans le domaine bancaire, d'un segment de la coopération à la valeur spécifique qui justifie la constitution d'une plate-forme de coordination. 7.4. La dynamisation du mouvement de concentration 7.4.1. Les facteurs de dynamisation 7.4.1.1. Le facteur politique Le facteur politique constitue à notre sens l'élément le plus important dans le processus en cours de dynamisation du mouvement de concentration des entreprises, sur territoire communautaire. 131 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE La volonté politique exprimée au niveau communautaire a pour objectif, comme nous l'avons mentionné sous § 7.3., de conférer à l'ensemble de l'Espace financier européen la qualité de centre financier à vocation internationale. L'expression de cette volonté s'inscrit dans le cadre d'une politique plus large, que la Commission a fait sienne, à savoir la protection du marché européen, dans l'attente que le dispositif mis en place par les mesures de libéralisation intérieure permette d'affronter la concurrence des pays tiers tels que les USA et le Japon, dans une perspective de progrès économique général. La Commission ainsi que le Parlement européen traduisent cette stratégie de défense de la CE par l'explicite identification de la position de vulnérabilité dans laquelle la place «tant la libération des mouvements de capitaux que son corollaire, la libre prestation des services financiers qui pourra exposer aussi la CE à la concurrence inégale de certains pays tiers, en cas de non- réciprocité, et à la déstabilisation de ses marché» (cf. bibliographie N° 48, p. 15). Dans l'idée d'une dynamique de la coopération avec la CE, les pays tiers doivent en conséquence constamment se placer au niveau d'une finalité politique qui nécessite la mise en place de moyens normatifs et qui, pour réaliser son objectif lointain, leur ménage, par le biais de la stratégie de la réciprocité, l'alternative d'une coordination étroite ou d'une mise à l'écart au moins provisoire. L'un des moyens, mis en place par la stratégie communautaire, consiste dans la réallocation des ressources. Au plan macro-économique, le processus d'économie d'échelles visé passe, notamment, par le mouvement de regroupement et de concentration des entreprises. Il existe donc, au sein de la Commission et du Conseil des ministres, une volonté politique qui consiste à faciliter, à encourager la réallocation des ressources intracommunau- taires, d'une part par l'érection d'un système de défense vis-à-vis du potentiel de prise de contrôle de ces ressources par des pays tiers, et d'autre part par l'injection d'un enzyme normatif dans le tissu communautaire, notamment en ce qui concerne le mouvement de concentration d'entreprises et sa dynamisation. Soulignons à ce propos que le processus de défense s'inscrit dans le cadre élargi de l'ensemble des politiques budgétaire, monétaire et de l'emploi puisque le mouvement de concentration, au plan multinational, ne peut qu'influencer la mise en œuvre de ces politiques et, à la limite, tendre à la faire échapper au contrôle du Prince. 7.4.1.2. Le facteur du marché Il nous paraît nécessaire d'aborder l'analyse du facteur du marché, en tentant de définir son «poids» exprimé en unités monétaires dont on sait, intuitivement, qu'il est considérable. L'«AGEFI» du 5 septembre 1989, sous le titre «Transactions boursières internationales: elles atteindraient cette année un montant sans précédent», qui nous résume une récente étude publiée par Salomon Brothers, la firme de courtage américaine, nous en donne une idée. Selon elle, les achats d'actions internationaux, soit ceux effectués par des étrangers, ascenderont à quelque 1400 milliards de dollars en 1989 (contre 1340 milliards de dollars en 1987). Ce montant pourrait atteindre 3900 milliards de dollars en l'an 2000. 132 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION La ventilation des opérations au plan géographique révèle que les Européens viennent en tête, puisqu'ils représentent les 72% du total de 1210 milliards de dollars d'achats internationaux effectués en 1988 et qu'en outre 82% de ce chiffre d'affaires ont été réalisés sur les places financières européennes. Quant au montant des fonds investis, fin 1988, en valeurs étrangères, il s'élevait à 640 milliards de dollars, représentant les 6,7% de la valeur capitalisée globale des actions cotées sur le marché (soit 9550 milliards de dollars en tout). Nous ne disposons pas d'une ventilation plus fine permettant d'isoler les paramètres purement communautaires, mais il est notoire que Londres accapare un pourcentage élevé de ces différentes valeurs. L'étude mentionne que les détenteurs britanniques de capitaux étrangers arrivent en tête de la liste avec 180,5 milliards de dollars. Ce qu'il faut, à nos yeux, bien retenir, c'est l'importance décisive de l'enjeu à la fois financier et économique que représente la possibilité de placer les facteurs de production d'une entité donnée dans le flux du marché des capitaux, et ce de façon attractive puisque le débat se situe dans le cadre d'une globalisation et d'une déréglementation générale. Il ne s'agit pas seulement de participer à la création de richesses financières pour bénéficier de leurs retombées économiques (le volume des transactions financières « atteint en effet environ 25 fois le chiffre d'affaires du commerce mondial» (cf. bibliographie N0 48, p. 10), mais également de participer à la création de richesses économiques par le biais de l'investissement, et d'assurer le processus d'amélioration de la productivité, indispensable dans un cadre libre-concurrentiel. Or, selon cette même étude, la tendance à investir dans une part toujours plus importante de titres étrangers ne fera que se renforcer dans le cadre de la gestion institutionnelle; le niveau du taux d'intérêt relativement bas dans la plupart des pays industriels, la création d'un grand Marché unique en Europe après 1992, et la multiplication des concentrations internationales d'entreprises inciteront de plus en plus les investisseurs institutionnels à acheter étranger. Participer de façon active à ce marché définit l'un des enjeux les plus importants de l'avenir si l'on songe aux sommes que représentent les fonds de pension américains et japonais par exemple. La stratégie de la réciprocité trouve, dans ce domaine, sa véritable dimension et constitue, pour la Suisse également, une chance unique de survie et de développement. Pour la bonne forme, nous tenons à préciser, à propos du «krach» du 19 octobre 1987, nous référant à l'éditorial du «Journal de Genève» des 26 et 27 août 1989, qu'il «n'est plus qu'un mauvais souvenir». Au-delà de cette formulation quelque peu stéréotypée, qui exprime il est vrai de façon fidèle l'ambiance actuelle des marchés, même suisses, il y a lieu de relever, avec l'auteur de cet article, Jean-Luc Lederrey, que «la remontée régulière et rapide de la bourse après octobre 1987 s'explique par le caractère fondamentalement sain de la situation économique actuelle des pays industrialisés». Face aux incertitudes que représentent les grands déséquilibres de l'économie mondiale, et notamment le déséquilibre de la balance des paiements américaine, l'anticipation des besoins en placement des fonds institutionnels et des mouvements de concentration à venir, notamment au sein de la CE, donne le ton et dirige le marché. 133 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Les lignes de force du marché qui sous-tendent le processus de libéralisation, comme nous l'avons déjà mentionné, seront analysées de façon plus approfondie sous le titre consacré à la libération des flux de capitaux (§ 8). A ce stade, et pour marquer par ailleurs combien la connaissance de cette problématique est devenue de portée générale, nous avons choisi de limiter nos références à deux résumés, présentés dans la presse, de la publication d'Arthur Andersen: «European Capital Market: A strategic forecast. The Economist Publication Ltd» publié le 25 janvier 1989, soit dans «Financial Times» du 25 janvier 1989 et dans le «Figaro» des 10 et 11 juin 1989. La globalisation du marché des capitaux correspond à une intégration des marchés nationaux, à l'issue de laquelle le prix des instruments négociés sur l'un des marchés est déterminé par l'évolution de l'équilibre entre l'offre et la demande des capitaux sur l'ensemble du système défini. A l'origine de ce phénomène, qui se développe au plan mondial et dont l'intégration financière communautaire n'est qu'une des résultantes et des composantes, les sources citées évoquent trois causes principales : — la déréglementation ou le décompartimentage des marchés financiers nationaux et leur ouverture aux agents étrangers, investisseurs directs ou intermédiaires; — la diversification politique et géographique de la masse des investissements en prove- nance des multinationales et, plus substantiellement, en ce qui concerne le moyen et le long terme des investisseurs institutionnels américains et japonais, mais également, et dans une moindre mesure, européens; — le progrès technologique permettant aux différents agents investisseurs directs, comme aux intermédiaires, d'accéder instantanément et en temps réel à l'information relative au prix de tout instrument financier. La globalisation comporte comme conséquence un moindre coût du capital pour les emprunteurs et un rendement accru pour les investisseurs. A l'opposé, l'absence d'intégra- tion des places européennes, voire d'une partie d'entre elles, entraînerait une perte de compétitivité non seulement des intermédiaires mais aussi des agents économiques indus- triels et commerciaux dans l'accès au marché des capitaux par rapport à leurs homologues des pays tiers. Or, vu la vulnérabilité des places financières des Etats membres à l'exception de Londres, du Luxembourg et, dans une certaine mesure de Francfort, les risques de délocalisation des capitaux et de distorsion des politiques communautaires sont jugés comme étant élevés. Pour les gens de la pratique par exemple, il apparaît clairement que «la fragmentation actuelle des marchés européens constitue un handicap sérieux par ses consé- quences: liquidité insuffisante, disparité en matière de normes et de règles de fonctionne- ment, inefficacité des processus de dénouement», ou de règlement-livraison. Un facteur important de risque et de coût à ne pas oublier consiste dans le processus de règlement-livraison des opérations, qui «constitue une condition sine qua non à toute stratégie de participation au marché global des capitaux». En effet, les opérations sur titres, qui portent sur des montants considérables et auxquelles l'automatisation confère une fréquence quasi infinie, devraient normalement chacune entraîner un déplacement physique de titres. 134 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Pour pallier l'impraticabilité d'un règlement-livraison physique, il est procédé à deux approches parallèles: la dématérialisation des titres et l'automatisation des livraisons. Or les processus de dématérialisation paraissent très diversement engagés au sein de la CE. De grands espoirs sont fondés sur le système RELIT français, tandis que le concept TAURUS en Grande-Bretagne paraît se heurter à d'importants problèmes. Que l'on songe simplement au risque qu'entraîne le fait d'être dans l'incapacité de déterminer à un moment donné la localisation d'instruments comptant pour des centaines de milliards, voire qu'ils s'avèrent déposés auprès d'un établissement qui, à l'instar du cas «Herstadt», se trouve en 24 heures dans l'impossibilité matérielle de procéder à une livraison et soit instantanément mis en faillite. Nous avons voulu évoquer ce problème technique de la livraison des titres pour souligner l'absolue nécessité d'accords logistiques, comme partie intégrante de la globalisation des marchés. D'ailleurs l'étude d'Arthur Andersen conclut que le marché des capitaux communau- taires va continuer à croître substantiellement après 1992 mais de façon ralentie, soit à un rythme annuel de 10 à 15 %, contre 30 % en moyenne de 1984 à 1987, et que, même dans ces conditions, la plupart de ces marchés ne sont pas aptes à intégrer cette croissance, car les «opérations se déroulent dans des places étroites, dotées d'une liquidité modeste, d'un système de compensation et de règlement-livraison inefficace, qui les rend non attractives pour les flux de fonds internationaux». A cela s'ajoutent les lacunes en matière d'informa- tion et le manque général de transparence. 7.4.1.3. Conclusion En conclusion, la majorité des panellistes interrogés (80%) dans le cadre de l'étude d'Arthur Andersen est d'avis que, dans ces conditions, le marché international des actions va se concentrer à Londres, Tokyo et New York. Si l'on ajoute à cette analyse l'opinion des dirigeants de la Deutsche Bank parue dans la «Handelsblatt» du 22 juin 1989, selon laquelle «il ne faut pas compter sur une bourse européenne centralisée», il nous paraît que les conclusions suivantes s'imposent: — la pression, que font subir la volonté politique d'intégration et le phénomène libre- concurrentiel de globalisation, se traduira en priorité par une dynamisation du processus de concentration des entreprises, par le biais des offres publiques d'achat (OPA); — ce n'est que subsidiairement, et dans un avenir non encore définissable, que ces pressions se traduiront par des réallocations du facteur capital, par le biais d'une bourse européenne centralisée ; — c'est en conséquence sur un dispositif normatif réglementant les OPA qu'il s'agit de mettre l'accent en priorité; — le risque de délocalisation des ressources, et de concentration sur trois places privilé- giées, est devenu si important que la CE est obligée d'utiliser l'arme de la réciprocité dans un sens de protection, au moins temporaire, et en attendant que l'Europe financière ait trouvé son identité et sa force ; — la pénétration du Marché unique et la participation à son dynamisme ne sont guère concevables sans une approche au moins partiellement basée sur les OPA ; 135 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE — il est en conséquence prioritaire pour les pays tiers comme la Suisse d'examiner les implications que ce processus comporte pour la définition de leurs structures relation- nelles avec la CE. 7.4.2. Le dispositif normatif 7.4.2.1. Champ d'application En Angleterre et aux USA les notions de fusion («merger») et d'offre de prise de contrôle («take over bid»), ou offre publique d'achat (OPA), sont souvent indifféremment substituées l'une à l'autre. La notion de fusion, que l'on désigne également par les termes de «assets merger» ou de «legal merger», implique que l'ensemble des actifs et passifs d'une ou de plusieurs entreprises sont intégrés à une nouvelle entité, ou que cette intégration donne lieu à la naissance d'une entité nouvelle. Une OPA, que l'on traduit également aux USA par l'expression «tender offer», signifie en principe une offre sous forme de titres ou d'espèces en échange de titres d'une société avec droits sociaux, ou de titres convertibles en actions incorporant de tels droits, par exemple des actions, des obligations convertibles, des droits de souscriptions, des options et des warrants. Le but de l'OPA est de contrôler la société cible, et l'offre comporte une condition résolutoire aux termes de laquelle elle doit se concrétiser par un nombre d'actions suffisant pour permettre le contrôle. La société contrôlée subsiste donc, ce qui n'est pas le cas dans un processus de fusion. La proposition de Directive concernant les OPA (cf. bibliographie N0 54) a pour objet toute opération de prise de contrôle portant sur une société à capital-actions, dont le siège social se situe au sein de la CE et qui est ouverte au public, qu'elle soit cotée en bourse ou non, et l'objectif de ce dispositif normatif ne porte en conséquence que sur la concentration par voie d'OPA, et pas sur la concentration par voie de fusion. Nous avons décidé de limiter notre examen à la concentration par voie d'OPA, vu que l'élaboration du dispositif est nettement plus avancée que pour les fusions, et nous nous contenterons d'aborder la problématique de la fusion. On peut constater, avec le «Journal de Genève» du 6 mai 1989, que le débat en matière de fusion paraît se heurter à des oppositions de principe; celle de la Grande-Bretagne qui «renâcle devant un texte qui ferait que le droit communautaire aurait le pas sur sa propre législation», de l'Allemagne qui veut «protéger ses entreprises de la convoitise de ses partenaires», alors que la France, qui part de l'hypothèse de travail que «les concentrations d'entreprises constituent une chance pour la CE d'améliorer sa compétitivité face à ses concurrents japonais ou américains», désire simplement éviter une surcharge des services de la Commission. Au plan des fusions, le débat porte en réalité sur l'opportunité d'un transfert de souveraineté des Etats membres à la Commission, sur un terrain d'importance aussi vitale et d'étendue aussi floue que le contrôle de l'émergence de positions dominantes dans le marché. En ce qui concerne les OPA, à l'inverse, la compétence du contrôle demeure, comme nous le verrons plus loin, au niveau national. C'est probablement la raison pour laquelle un 136 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION consensus a pu se former autour de la directive réglementant ce processus de concentration, alors qu'il paraît loin de l'être pour celui de la fusion. La complexité des intérêts enjeu se reflète dans l'âpreté de la négociation en cours sur les fusions, qui atteignait un degré suffisant fin 1989 pour que la «Neue Zürcher Zeitung» du 21 novembre conclue qu'apparemment «une position dominante dans le marché ne devrait pas être interdite en soi, mais qu'une solution spécifique devrait être trouvée au cas par cas», que le candidat acquéreur, personne physique ou morale, soit de nationalité communautaire ou non. La problématique concurrentielle devrait être réglée dans le cadre d'un dispositif qui porterait sur les fusions et dont le concept de base est actuellement en voie de négociation. L'enjeu nous paraît cependant être d'importance car il constitue une lacune fondamentale dans le dispositif normatif communautaire en matière de concurrence. C'est ainsi qu'appa- remment («Journal de Genève» du 20 juillet 1989) la CE serait maintenant parvenue à un «compromis de principe sur le contrôle des concentrations d'entreprises qui devraient être de plus en plus nombreuses dans la perspective de 1993». Tel semble bien être le cas, puisque selon le «Journal de Genève» du 22 décembre 1989, les Douze sont tombés d'accord de conférer à la Commission un droit de veto sur «toute fusion d'entreprises donnant jour à un groupe au chiffre d'affaires supérieur à 5 milliards d'écus». Cette clause serait en outre de nature évolutive, dans le sens que suivant les expériences le seuil minimal d'intervention pourrait être abaissé^par la suite. En deçà, c'est le pays d'origine qui est compétent pour faire respecter les règlements et traités en l'occurrence. En bref, il faut s'attendre à la promulgation d'une directive sur les fusions, qui fera vraisemblablement appel aux compétences supra-étatiques en matière de contrôle de la libre concurrence, entraînant dans la même mesure un abandon de souveraineté des Etats membres au profit de la Commission. Le «Figaro» des 16 et 17 septembre 1989, rapportant vraisemblablement la volonté particulière que marque la France à aboutir notamment dans ce domaine, se référant aux «réels efforts» de la présidente française de la commission de travail, Edith Cresson, parle d'un «projet de compromis» et annonce qu'un «accord semble en vue» sur les fusions lors du prochain Conseil des Ministres. Un jour après le Conseil, le «Journal de Genève» du 19 septembre 1989 parle d'un risque «d'hypothéquer l'adoption rapide d'une législation... à l'état de projet depuis quatorze ans ». La RFA s'était en effet opposée au transfert de compétence que constituerait l'instaura- tion d'un droit de veto exclusif à la Commission européenne sur les plus importantes fusions. Le but d'un tel droit est évidemment d'éviter que le Marché unique ne soit écrasé dès 1993 par quelques grands groupes tout-puissants qui annihileraient toute force concurrentielle. La RFA veut conserver son droit de veto au niveau national, en l'occurrence détenu par la Commission des cartels. L'Angleterre a également fait part de ses réticences, voulant maintenir cette compétence au niveau national également pour sa Commission des mono- poles et des fusions. C'est exactement la démarche inverse qui est suivie par des Etats «économiquement moins puissants et dépourvus d'organisme de contrôle propre (Pays-Bas, Luxembourg, Danemark, Belgique, Portugal). 137 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Le mode de décision lui-même pour l'adoption de cette directive n'est pas clair. D'aucuns le prétendent à la majorité qualifiée (ceux qui «ont la fibre européenne» selon le «Figaro»), d'autres préconisent l'unanimité. Allemands et Britanniques tendent à se fonder sur les articles 85 et 86 du Traité de Rome qui réglementent les abus de "position dominante et les ententes. Cherchant à éviter de faire jouer à la Commission le rôle d'instrument de la politique industrielle, ils visent, à nos yeux, notamment à éviter tout comportement négatif du type «TIT for TAT» à l'extérieur de la CE. En outre, ces deux pays jouissent notoirement d'une structure multinationale plus importante que les autres, et ils entendent bien conserver chez eux la maîtrise et le suivi de leur avantage. En ce qui nous concerne, nous voyons difficilement, si nous nous plaçons dans le mécanisme de la dynamique de l'intégration européenne, comment un domaine d'importance aussi stratégique que les fusions pourrait échapper, à terme, à une certaine mainmise des instances supra-étatiques, à un transfert de souveraineté important au moins au plan de ses conséquences économiques. Ou alors il faudra tendre, à la limite, à renoncer à la finalité politique dont chacun sait qu'en soi la finalité des grandes fusions ne peut être lointaine ni lui présenter de dialectique contradictoire. Il nous est apparu nécessaire d'aborder la problématique de la fusion d'entreprises d'abord pour bien délimiter l'objectif du dispositif réglementant les OPA, ensuite pour souligner l'importance d'une approche globale par les pays tiers de la stratégie de la coopération mise en place par la CE dans le domaine névralgique des concentrations d'entreprises. En effet, il nous paraît évident que si les moyens mis en place par la CE, pour atteindre ses objectifs dans le sous-ensemble des OPA, consistent dans une stratégie de la réciprocité, tel sera également le cas a fortiori et de manière nécessairement plus restrictive pour les fusions d'entreprises. Dans ce dernier domaine, pourquoi attendre la promulgation de l'appareil normatif, soit la conclusion des négociations, pour montrer une attitude coopératrice en mettant sur pied une plate-forme de coordination ? Une fois de plus on constate que la dynamique de l'intégration européenne entraîne un rééquilibrage des souverainetés et que le processus est de nature politique. Pour entrer en phase avec le processus ou, en d'autres termes, pour mettre sur pied la plate-forme de coordination par le biais d'une stratégie de réciprocité, dans le but de déclencher la coopération, le débat, pour les pays tiers, devrait se hisser au niveau politique. 7.4.2.2. L'objectif poursuivi En matière d'OPA, l'objectif poursuivi consiste dans la protection des associés et des tiers (1er considérant), des actionnaires (2e considérant et art. 3), par l'application du principe de l'égalité de traitement, le bannissement des offres purement spéculatives (cf. bibliogra- phie N0 55, p. 496) et des opérations dites «d'initiés» (6e considérant). Il ne s'agit donc pas en l'occurrence d'assurer le respect des conditions de libre concurrence réglementées par le Traité de Rome, qui stipule que sont interdites les concentrations conduisant à la création ou au remplacement d'une position dominante sur le marché. Mentionnons à ce propos que ce même article prévoit des exceptions dérogatoires qui doivent permettre de tenir compte de la concurrence internationale, exceptions dont l'existence milite à nos yeux en faveur de notre interprétation du caractère protectionniste de la dynamique d'intégration en général. 138 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Pour terminer sur l'objectif poursuivi, mentionnons que la directive s'applique aussi bien aux OPA «induites» (rendues obligatoires par suite d'un niveau de participation suffisam- ment élevé), qu'aux OPA «volontaires». Les Anglo-Saxons parlent de «mandatory bids» et de «voluntary bids». 7.4.2.3. La réciprocité La directive se profilant dans la structure juridique communautaire en l'absence ou «en attente d'une coordination ultérieure», les Etats membres restent libres «d'interdire une OPA lancée par un offrant qui est un ressortissant ou une société d'un Etat tiers » (20e considérant). Ce principe entraîne notamment les corollaires suivants : — a contrario, les Etats membres ne sont plus libres d'interdire une OPA dont l'offrant est un ressortissant ou une société d'un Etat communautaire, dès lors qu'elle satisfait aux conditions émises dans la directive ; — l'obligation de réciprocité est levée au sein de la CE, alors qu'elle est érigée comme principe institutionnel de défense vis-à-vis de l'extérieur; — le régime de protection est substantiellement aggravé par le fait que la réciprocité ne constitue «expressis verbis» qu'un argument parmi d'autres pour interdire une OPA, puisque «la présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des Etats membres d'interdire une OPA... notamment lorsque les ressortissants et les sociétés communau- taires ne bénéficient pas d'un traitement de réciprocité» (20e considérant); — le critère de la réciprocité est défini au plan bilatéral, Etat par Etat, et l'on peut à bon droit se demander dans quelle mesure l'application éventuelle de la réciprocité négative ne déploiera pas ses effets au niveau global de la CE, si l'un des Douze met en application le principe de la reconnaissance mutuelle. On peut ainsi sérieusement craindre, à nos yeux, qu'un offrant ou une société ressortissante à un pays tiers donné ne se voie interdire l'accès à toute OPA dans le cadre de la CE suite à l'opposition d'un seul membre. Il n'y a pas de raisons de penser en effet que l'Espagne, par exemple, accepte sans autre l'OPA d'une multinationale suisse ou japonaise sur une société luxembourgeoise, laquelle donnerait à la société mère accès aux OPA, en Espagne notamment. La CJE pourrait en l'occurrence servir d'instrument suspensif et, même s'il ne s'agit là que d'une hypothèse de travail, les effets en sont suffisamment sérieux pour qu'elle mérite à nos yeux d'être mentionnée, en tant que risque potentiel de confrontation. Or le principe de la réciprocité n'a pas été incorporé dans le corps législatif lui-même puisqu'il n'est posé que dans le cadre du 20e considérant sans être réglementé par un article de la directive. Comme l'explique Nathalie Basaldua (cf. bibliographie N° 55), l'obligation de récipro- cité au niveau communautaire impliquerait qu'il y ait homogénéité au sein de la CE en ce qui concerne «the feasability of contested takeovers», ce qui n'est pas, et de loin pas, le cas. En conclusion, l'obligation de réciprocité, pour une dynamique de la coopération dans le cadre des OPA, nous paraît d'autant plus nécessaire, ou en d'autres termes, comporter un potentiel de confrontation d'autant plus grave, qu'elle n'est en l'occurrence pas réglementée, que son application est dûment reconnue et autorisée par la norme législative supra-étatique 139 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE au niveau de chaque Etat membre, que son interprétation est laissée à leur libre arbitre, et que le dispositif de défense vis-à-vis des tiers ainsi institutionnalisé s'inscrit dans un cadre plus large et quasi infini au niveau légal puisque les Etats membres sont autorisés à utiliser d'autres armes que la réciprocité sans que leur inventaire ne soit précisé. 7.4.2.4. Contenu de la réciprocité Nous proposons de passer en revue quelques aspects de la directive qui nous permettront d'essayer, par comparaison avec la situation en Suisse, de vérifier la qualité de la plate-forme de coordination nécessaire au déclenchement de la coopération basée sur l'obligation de réciprocité. Pour ce faire, nous avons choisi les éléments suivants, qui nous paraissent constituer le contenu de la réciprocité de façon déterminante : a) L'hétérogénéité juridique au sein de la CE ; b) L'égalité de traitement; c) Le principe de la transparence. Le rapide survol auquel s'emploie Nathalie Basaldua (cf. bibliographie N0 55, pp. 489 et suivantes) montre que l'on est bien loin de pouvoir édicter une règle du jeu qui soit acceptable par tous, étant donné Y hétérogénéité juridique qui règne dans la Communauté. La nature de cette donnée, nous l'avons vu, devrait renforcer l'importance d'une stratégie de la réciprocité, à savoir le risque de voir se développer les effets négatifs du «TIT for TAT» dans le cadre d'une OPA. Le principe de Y égalité de traitement est posé à l'article 3 : «Les actionnaires se trouvant dans des situations identiques sont traités de façon égale.» Il s'agit tout d'abord de préserver l'ensemble des actionnaires de tout effet que pourrait comporter l'expression d'une minorité de blocage. Comme le relève Nathalie Basaldua, «dans tous les Etats membres, toute décision importante, dont la compétence relève de l'assemblée générale des actionnaires, requiert une majorité des deux tiers au moins des votes incorporés aux actions représentées». Cette règle est imposée par la législation communautaire notamment dans les cas suivants : — suppression ou limitation des droits de souscription préférentiels des actionnaires lors d'augmentation de capital; — réduction du capital ; — fusion avec une autre entreprise. C'est la raison pour laquelle la directive stipule (art. 4) que le lancement d'une OPA est obligatoire dès lors qu'un actionnaire détient une participation aux droits de vote «qui ne peut être fixée à plus de 33½%» du total de ces droits. En d'autres termes, une participation supérieure au plafond de un tiers ne peut être envisagée que par le biais d'une OPA. Afin de protéger ensuite l'actionnaire minoritaire (4e considérant), l'offrant doit étendre son OPA à la totalité des actionnaires pour la totalité des actions existantes. Le but consiste 140 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION également à éviter des OPA de nature purement spéculative. Ce dernier type de mouvement boursier, qui ne comporte pas de justification économique, provoque généralement des distorsions graves au niveau de la gestion de l'entreprise, de la stabilité de ses ressources, et entraîne des coûts de défense et de protection considérables. Le caractère total de l'offre permet également d'éviter les conséquences indésirables, qui pourraient résulter de circonstances spécifiques, telles que le fait pour la société de n'être pas cotée, ou d'entraîner un coût disproportionné par rapport à la taille et à la valeur de la société visée. Cette dernière hypothèse ouvre la problématique des PME non cotées. L'article 5 exempte ce type de sociétés de l'offre obligatoire dans la mesure où les trois critères suivants pris cumulativement sont satisfaits: — société non admise à la cote officielle d'une bourse des valeurs; — société à laquelle s'applique l'article premier de la directive 83/349/CEE; — société qui ne dépasse pas, à la date de clôture du dernier bilan, les limites chiffrées de deux des trois critères prévus à l'article 27 de la directive 78/660/CEE du Conseil décrits ci-après. Mentionnons que la définition d'une PME est donnée par l'article 27 de la Quatrième Directive sur le Droit des Sociétés (cf. bibliographie N0 43), à savoir que peut être qualifiée de PME une société qui ne dépasse pas deux des trois plafonds suivants : — total du bilan: 6,2 millions d'écus; — chiffre d'affaires net: 12,8 millions d'écus; — effectif moyen de collaborateurs: 250. D'autres exceptions sont prévues pour les cas où la majorité du tiers a été atteinte de façon non intentionnelle, soit par donation ou héritage. Ce sont les autorités compétentes nationales qui veillent à la régularité des exceptions. Elles peuvent d'ailleurs accorder des dérogations autres que celles qui sont mentionnées, à la condition que leur décision soit dûment motivée, et que toutes les mesures aient été prises pour garantir la protection des actionnaires (art. 3, ch. 3). Le fait de ne pas promulguer une liste exhaustive de dérogations relève de la philosophie de souplesse que la Commission entend adopter dans le cadre d'un processus d'essence volatile, dont l'application et la fréquence varient rapidement en fonction de la conjoncture et des opportunités. Il s'agit par ailleurs d'éviter de saisir des PME dans un carcan administratif et réglementaire qui risquerait de tuer leur dynamisme alors qu'elles constituent l'essentiel du tissu socio-économique et du potentiel de développement propres de la CE. Le principe de l'égalité de traitement se traduit également par la réglementation du prix offert par action. Dans le cas d'un prix payé par l'offrant qui serait supérieur à celui mentionné dans la documentation officielle, pendant le processus de l'OPA, la différence devrait être rendue aux autres actionnaires. Selon l'article 16, il y aurait en effet dans ce cas «révision de plein droit de l'offre en cause ayant pour effet l'augmentation de la contrepartie des offres acceptées antérieurement». 141 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Dans le même ordre d'idée, il est stipulé (art. 13) qu'une OPA, une fois lancée par la publication réglementée à l'article 11, ne peut plus être retirée que sous réserve de cas dûment explicités et ce de façon exhaustive. En dérogation au principe préalablement énoncé de la compétence nationale, l'une de ces exceptions (art. 13, ch. 1, al. d) consiste dans le retrait de l'OPA ensuite d'une décision communautaire des «autorités chargées de veiller à la libre concurrence». En fait, il n'est pas précisé de façon explicite que cette dernière compétence relève des autorités communautaires. Mais cela nous paraît tomber sous le sens commun, puisque c'est au niveau communautaire seulement que peut se juger valablement une position de dominance, telle que par ailleurs réglementée par le Traité de Rome. Le principe de la transparence est réglementé de façon précise et approfondie dans de nombreux passages de la directive. C'est dire l'importance attachée par le législateur à une bonne application de ce principe. Le législateur ne fait d'ailleurs là que calquer sa position sur celle du marché des investisseurs qui se trouve aujourd'hui nettement dominé par des professionnels, lesquels entendent pouvoir juger de la qualité intrinsèque du récipiendaire de leurs investisse- ments. Ainsi l'offrant, que l'OPA soit obligatoire ou volontaire, doit annoncer publiquement son intention (art. 7). L'idée consiste à réduire le potentiel d'opérations d'initiés, en influençant le marché aussi rapidement que possible et de façon large et complète. Relevons, dans le contenu de cette documentation à publier (art. 10), les éléments qui nous paraissent comporter plus particulièrement des incidences possibles au niveau de la réciprocité : — L'identité et l'adresse de l'offrant, ou la forme, la dénomination et le siège social de la société offrante. — Les mêmes coordonnées que ci-dessus pour le représentant qualifié de l'offrant par l'intermédiaire duquel il doit obligatoirement passer pour une OPA (art. 9). — La catégorie des titres de la société visée et les droits de vote y afférents dans le cas d'une société offrante. — La politique que l'offrant entend suivre par la suite dans le cadre des activités de la société visée, et notamment le maintien ou l'utilisation selon les cas de ses facteurs de production, tant en personnel qu'en actifs. Il en va en conséquence, à nos yeux, de même pour les dettes que l'offrant compte réaliser par l'intermédiaire de la société visée, pour financer totalement ou partiellement le coût de l'achat ou de l'échange. La pratique démontre en effet que ce type d'engagements peut obérer substantiellement la société acquise jusqu'à compromettre sa survie. — Le concept de l'identité de l'offrant rejoint à notre avis le concept suisse d'ayant droit économique final, ou de «beneficial owner» anglo-saxon, puisqu'il est stipulé que «cas échéant, le document doit mentionner l'identité des personnes pour le compte desquelles l'offrant agit». — Le Conseil d'administration de la société visée doit publier son avis et ses intentions dans le cadre de l'OPA, que l'offre soit amicale ou hostile. 142 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION — L'offrant consiste en un ensemble, non seulement des personnes qui agissent en leur nom et des personnes pour le compte desquelles elles agissent, comme nous venons de le voir, mais aussi «des personnes agissant de concert avec l'offrant», et des «entreprises appartenant au même ensemble d'entreprises que l'offrant au sens de l'art. 1er de la directive 83/349/CEE». La notion de personnes qui agissent de concert (en anglais «connected persons» selon Nathalie Basaldua, bibliographie N0 55, p. 496) recouvre celles qui agissent en leur nom propre mais pour le compte de l'offrant, ainsi que chacun des membres des instances dirigeantes de l'offrant. Cette notion de personnes qui agissent de concert s'applique d'ailleurs non seulement dans le cadre de la publication obligatoire, mais également dans celui du dénombrement de la participation acquise par l'offrant, et notamment le calcul du plafond de un tiers. Au chapitre de la transparence ajoutons la problématique du véhicule de publication. L'article 11 parle de «journaux à diffusion nationale ou à large diffusion» et dans le bulletin national désigné selon l'article 3 (§ 4) de la directive 68/151/CEE du Conseil. — Selon l'article 8, l'administration de la société visée doit agir en tout temps et notamment pendant le déroulement d'une OPA, qu'elle soit de caractère amical ou hostile, dans l'intérêt bien compris de son entreprise. Si la directive ne réglemente pas son comporte- ment, et notamment les mesures de défense que cette administration pourrait déployer contre une OPA, elle prévoit néanmoins l'interdiction de certaines pratiques. L'article 8 interdit notamment l'émission d'actions nouvelles, ou des mesures de type exceptionnel. En ce qui concerne l'émission d'actions nouvelles, si elles comportent des droits de vote, seule l'Assemblée générale est compétente. Il s'agit là d'éviter les controverses du type de celles que l'OPA de Carlo de Benedetti sur la Société Générale a fait naître, par exemple. Quant aux mesures exceptionnelles, elles ne peuvent être prises que moyennant une «autorisation dûment motivée de l'autorité compétente», soit, nous l'avons vu, de l'autorité nationale désignée. — Alors que la compétence du contrôle est dévolue aux autorités nationales, il est néanmoins institué au niveau supra-étatique de la Commission une autorité spécifique, baptisée «Comité de Contact» (art. 21), dont les tâches débordent en fait la mission simple de l'information puisqu'il est appelé: • à faciliter une « application harmonieuse » de la directive ; • à assurer la concertation nécessaire en vue d'obtenir un traitement de réciprocité ; • à amender ou à compléter ladite directive par voie de proposition à la Commission. Le Comité est composé d'un président membre de la Commission et des représentants des Etats membres. En conclusion, la Commission a délégué à chaque Etat la mise en œuvre de la stratégie de la réciprocité au niveau bilatéral, tout en conservant le contrôle de son application et une compétence de décision au plan communautaire. Ainsi est conservé intact le potentiel de la réciprocité comme arme de négociation avec les Etats tiers. Cette arme sera d'autant plus efficace qu'elle opérera sur deux niveaux et, à la limite, sur l'initiative non cumulative de treize entités (les Douze et la Commission). 143 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE 7.4.3. La position de la Suisse 7.4.3.1. En général La nécessité de l'instauration d'un cadre institutionnel contraignant, jusqu'à ce jour inexistant en Suisse en ce qui concerne les OPA, nous paraît, dans une pression générale du marché menant à la déréglementation, se justifier pour les deux raisons principales suivantes. Au plan intérieur, de récents incidents, desquels nous ne citerons que l'un d'entre eux, soit l'OPA sur Publicitas S.A., démontrent d'une part que le mouvement de concentration par OPA jusqu'ici quasiment ignoré en Suisse gagne également notre pays, et d'autre part que l'absence de législation spécifique peut mener à divers désordres tant aux points de vue éthique, qu'économique et financier. Au plan des relations extérieures, les sociétés suisses d'envergure multinationale ne peuvent développer désormais leur stratégie d'expansion sans prendre en compte les normes qui réglementent cette problématique dans leurs territoires d'élection à l'étranger ni tenter de se prémunir contre les attaques en réciprocité négative dont elles pourraient faire l'objet au cours d'opérations d'expansion. Il ne s'agit plus, face aux perspectives de normes européennes dans le domaine, de se contenter de ne pas afficher une position dominante ou de ne pas réaliser une entente qui tomberait sous le couperet des articles 85 et 86 du Traité de Rome. Nous proposons d'aborder le problème sous deux angles différents, à savoir les conditions cadres réglementant les OPA et celles réglementant les bourses. Ce dernier angle sera ouvert au chapitre intitulé «La bourse suisse à la croisée des chemins» (§ 7.5.). 7.4.3.2. Les conditions cadres réglementant les OPA Il n'existe pas en Suisse de norme institutionnelle contraignante réglementant le proces- sus de l'OPA. Il n'existe ni appareil législatif ni doctrine de référence en la matière, pas plus d'ailleurs qu'il ne paraît exister d'intention politique si l'on se réfère notamment au Rapport du CF (cf. bibliographie N0 13). Cette carence de normes institutionnelles surprend, si l'on se place dans Ia perspective de l'obligation de réciprocité pour une dynamique de Ia coopération avec l'Europe de 1992. Cela surprend d'autant plus que la réciprocité peut ne pas être invoquée seulement au plan de l'OPA elle-même, mais également au plan des règles d'accès à la bourse et aux actions de sociétés suisses, lesquelles, nous le verrons (§ 7.5), paraissent relativement restrictives pour les acquéreurs non résidants ou étrangers. On peut se demander si une opération telle que celle lancée par Nestlé sur Rowntree en novembre 1988 pourrait encore se dérouler aujourd'hui ou a fortiori dès 1993, sans qu'un blocage intervienne à un stade quelconque du processus, en raison d'une situation de confrontation née d'un constat de réciprocité négative et cela même dans l'hypothèse où la nature politique de l'arrière-pensée n'apparaîtrait pas en clair, mais s'exprimerait de façon voilée par le langage du processus juridique. C'est la raison pour laquelle le Code suisse des OPA (cf. bibliographie N0 57) nous paraît représenter une œuvre de pionnier et constituer un modèle de comportement coopératif avec la CE par la plate-forme de coordination qu'il érige. 144 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION 7.4.3.3. Le Code suisse des Offres publiques d'achat Rédigé par l'Association des bourses suisses, et appliqué par la Commission de régulation de cette même association, le Code suisse des OPA est un code d'honneur. Promulgué par un organisme privé, il n'a pas force de loi et ne «fait donc pas appel à une autorité publique investie du pouvoir de contrainte»... Son respect découlera de sa force de persuasion et des inconvénients liés à sa violation (cf. Commentaires du Code, ch. 4. bibliographie N° 58). Les principaux établissements bancaires étant membres d'une des bourses suisses, ils sont tenus de la même façon de s'y conformer. Cette obligation s'étend à nos yeux à l'ensemble des opérations bancaires qui sont liées à un processus d'OPA et, notamment, à son financement, à l'émission d'actions nouvelles, à la consignation et au clearing des actions par exemple lors d'échanges, aux garanties accordées en vue d'un paiement, d'une libération de capital, sans oublier le conseil et le devoir de diligence, ce dernier soit au niveau de la relation mandant-mandataire, soit au niveau de la Convention de Diligence des banques. En raison de la nature privée du droit qui régit le Code d'honneur, il n'y a pas réciprocité matérielle avec l'appareil normatif européen (cf. bibliographie N0 54) mais réciprocité formelle. La Commission européenne ainsi que les autorités compétentes ont pouvoir d'annuler un processus d'OPA, ce qui n'est pas le cas pour la Commission de régulation. Compte tenu des intérêts engagés et de l'importance de la crédibilité et de l'hygiène du système, il y a tout lieu de penser qu'en pratique, la réciprocité formelle sera appliquée en l'occurrence. A la différence de la Directive sur les OPA (cf. bibliographie N0 54), c'est à une fiduciaire neutre et qualifiée (reconnue par le CF au sens de l'art. 732 CO) qu'il appartient de vérifier et de déclarer que toutes les conditions codifiées sont satisfaites. Le Code nous paraît sur ce point aller plus loin que la Directive et donner des gages encore plus sérieux d'objectivité, si ce n'est éventuellement d'expertise. Dans un considérant qui a, pour nous, valeur de modèle, l'attitude de coopération avec la dynamique européenne est exprimée par la déclaration selon laquelle le Code « s'inspire... de la proposition de directive des CE de décembre 1988», soit de la Directive (cf. Commen- taires, ch. 3, bibliographie N0 58). Il est même fait référence au principe de l'harmonisation des règles essentielles, puisque c'est précisément l'intitulé du chapitre des considérants dans lequel l'inspiration européenne est mentionnée. Mais là ne s'arrête pas, toujours à nos yeux, la qualité de modèle du Code puisque, dans ce même considérant, il est également fait référence aux «expériences étrangères, notam- ment celle du take-over Panel anglais», ce qui établit très diplomatiquement un distinguo entre les approches anglaise et communautaire, dont on sait que la première est plus libérale, plus proche de celle de la Suisse que la seconde, avec laquelle elle s'est néanmoins identifiée. Le modèle consiste, à notre sens, dans l'application concrète et constructive du «réflexe européen», qui débouche sur une réglementation pratique, déjà en vigueur, ratifiée au plan national par la majorité des membres de l'Association des bourses suisses, dont chacun sait que les mentalités et les ambitions forment un tout encore aujourd'hui plutôt hétérogène. C'est également un modèle, toujours à nos yeux, pour l'élan que le secteur privé peut donner 145 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE au secteur public dans l'approche de la dynamique européenne. En bref, c'est pour nous, en l'occurrence, une initiative de référence pour l'instauration d'une dynamique de la coopéra- tion par le biais de la réciprocité. Même si le Code n'a pas pour objet spécifique la réciprocité, il contribue à créer ce que nous baptiserons un «appel de réciprocité» dans une démarche d'harmonisation des règles essentielles. Si ce n'est le but explicite de ce code, c'est en tout cas l'une des conséquences de sa mise en vigueur. Nous proposons d'illustrer notre propos en relevant, à titre d'exemple, quelques-unes des règles ainsi codifiées dans cette perspective d'harmonisation de façon plus détaillée et cela, même si, nous le répétons, le but de ce code porte sur un autre objet, à savoir la protection des actionnaires, des sociétés visées et des sociétés offrantes, et qu'il vise à éviter les distorsions du marché que peuvent comporter et entraîner des OPA non «civilisées». Le Code s'applique aux sociétés suisses cotées en Suisse, que ce soit au marché principal ou en avant-bourse (cf. bibliographie N0 58, B 2), ou aux titres comportant un droit d'acquisition de telles actions. Il ne s'applique donc pas aux sociétés étrangères dont les actions sont cotées en Suisse, ni aux sociétés non cotées. Or la Directive s'applique à toutes les sociétés à capital-actions, qu'elles soient d'origine communautaire ou étrangère, admises ou non à la cote officielle d'une bourse de valeurs. Seul le caractère obligatoire de l'OPA (art. 4) ne s'applique pas aux sociétés non cotées ou aux PME (cf. définition plus haut 7.4.2.4). Autant l'application aux actions suisses d'un code d'honneur qui anticipe la promulgation de la Directive, aujourd'hui au stade de proposition, nous paraît, nous l'avons déjà relevé, un pas important vers une dynamique de la coopération, autant le fait de ne pas l'étendre aux sociétés étrangères (sauf dans le cas d'une OPA d'une société étrangère sur une société suisse) nous paraît devoir faire l'objet d'un réexamen le moment venu. En effet, on peut imaginer qu'une société communautaire offrante passe par des bourses tierces, dont la Suisse, pour lancer une OPA sur une autre société communautaire cotée notamment à Zurich, à Genève, à New York. Il en va évidemment de même pour une société d'un pays tiers lançant la même procédure sur une société communautaire. Or, les grandes banques suisses, membres de l'Association des bourses suisses et comme telles parties au Code d'honneur, se conformeront à leurs obligations en soutenant, par le biais de leur financement et celui de leur pouvoir de placement, une OPA dont le schéma a été élaboré pour contourner la norme communautaire. Il pourrait y avoir intérêt à la détourner, par exemple, pour éviter l'obligation d'OPA qui est déclenchée par une participation équivalant au moins au tiers des droits de vote. Il y aurait là clairement à nos yeux motif à positionnement dans une situation de confrontation qui se concrétiserait par une accusation de réciprocité négative. Comme tout résident communautaire en a le droit, il suffirait pour déclencher un tel processus que la société communautaire visée par l'OPA s'en réfère à la CJE, laquelle statuerait par un arrêt constatant l'absence de réciprocité en l'occurrence, ou la réciprocité négative. Nous ne voulons pas insister sur les éléments de compatibilité nombreux qui existent entre le Code d'honneur des bourses suisses en matière d'OPA et la norme législative communautaire correspondante, tels que l'égalité de traitement des actionnaires, le principe de la transparence, la sauvegarde de la loi du marché notamment. Soulignons simplement 146 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION que le principe de la transparence implique, comme par ailleurs expressément stipulé (art. 4.1.), que «l'identité de l'offrant et des personnes qui agissent d'entente avec lui», que les noms de l'ayant droit économique final, de son représentant, ainsi que des personnes qui «agissent de concert, les personnes qui coopèrent au titre d'un accord en vue d'acquérir des titres d'une société» (cf. bibliographie N0 54, art. 2 et 5, et art. 10), soient publiquement révélés. Il y aurait ainsi compatibilité entre la CE et la Suisse sur une norme essentielle, et cela au détriment du secret bancaire. Encore une fois le pas effectué par l'Association des bourses suisses nous paraît en l'occurrence d'une importance majeure et préfigure en quelque sorte d'un esprit nouveau qui flotte dans notre monde financier helvétique. Le caractère de «modèle» que nous avons attribué au Code d'honneur nous paraît renforcé par la nature délibérément dynamique donnée à l'ensemble. Dans son communiqué de presse du 13 septembre 1989 (cf. bibliographie N0 58), la Commission de régulation de l'Association annonce en effet que cette «autorégulation se développera progressivement dans d'autres domaines (transparence des marchés, transpa- rence des sociétés cotées, etc.)» ... et qu'elle devrait ... «permettre l'adoption d'une loi cadre générale et souple, s'il apparaît que la législation fédérale est nécessaire». En conclusion, la démarche des bourses suisses, prise à l'initiative de la Bourse de Genève, nous paraît un exemple de référence pour le type de comportement à adopter, dans la perspective d'une dynamique de la coopération basée sur la réciprocité, pour les raisons suivantes : — anticipation de la norme communautaire et prise en compte de son contenu (concrétisa- tion du réflexe européen) ; — manifestation d'une volonté de coordination au plan international dans le but de permettre et de dynamiser la coopération par le moyen d'une réciprocité formelle; — attitude coopérative volontariste qui s'exprime avant de se trouver dans une situation d'obligation matérielle ou formelle; — approche globale au plan national grâce à un consensus qui dépasse les divergences de mentalité, de langue et d'usages; — comportement «modèle» qui ouvre la route non seulement à l'initiative privée au niveau des organisations faîtières, mais également à l'Etat; — approche «modèle» dans le sens que, par son caractère évolutif, elle constitue une tête de pont vers une normalisation législative ; — adaptation souple et efficace aux besoins du marché suite d'une part au développement d'un processus anarchique en Suisse, et d'autre part anticipation du grand mouvement de concen- tration à venir notamment dans le cadre de la réalisation d'un Marché financier unique. 7.5. La bourse suisse à la croisée des chemins 7.5.1. Le décor Depuis le krach du 19 octobre 1987, le marché international, si l'on se réfère à l'opinion de la presse, se montre plutôt critique à l'endroit de la bourse suisse, suivi dans ce 147 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE comportement par certains professionnels suisses eux-mêmes. Quand on sait l'importance que revêt l'image d'un marché pour l'investisseur, quand on réalise combien la bourse suisse et les entreprises qui s'y trouvent cotées ont besoin des liquidités internationales, quand on anticipe les inévitables concentrations que précipitent les processus de déréglementation et de globalisation en cours, tout en gardant l'oeil rivé sur les pertes de parts de marché que subit le marché suisse des capitaux, il devient, à nos yeux, d'autant plus nécessaire d'examiner dans quelle mesure l'intégration du marché financier européen représente un handicap supplémen- taire pour la Suisse au plan de son marché national des capitaux, toujours dans la perspective d'une dynamique de la coopération basée sur l'obligation de réciprocité. Pour planter le décor, mentionnons quelques-uns des titres parus dans la presse ces douze derniers mois qui nous paraissent refléter le climat de marché qui marque la bourse suisse : — «Bourses suisses: réformes urgentes» («Journal de Genève» des 17-18 juin 1989); — «The Swiss fail to improve life for foreign investors» («Financial Times» du 2 juin 1989); — «Switzerland: Modernizing an old-fashioned market: the Swiss are groping to refurbish and reform their outdated and overtaxed (in every sense) stock markets to remain competitive» («Institutional Investor», mai 1989); — «Le marché boursier suisse risque d'être délaissé par les étrangers; des réformes urgentes sont nécessaires pour maintenir son attrait, selon une enquête d'Arthur Andersen» («Journal de Genève» du 2 mars 1989); — «Widening convulsions from the Nestlé bomb» («Financial Times» du 27 février 1989) ; — « Swiss banks dressed books. More than half of the 520 banks in Switzerland dipped into hidden reserves to improve 1987 profits marred by the 1987 stock market collapse» («Herald International Tribune» des 25-26 février 1989); — «Kritik der Sandoz am Schritt der Nestlé: gegen Zulassung der Ausländer» («Neue Zürcher Zeitung» des 19-20 novembre 1988). Nous n'avons voulu, ici, que donner une idée de ce qu'on appelle la «température» des marchés, afin d'introduire le débat. Nous proposons d'essayer de dresser un inventaire des facteurs qui, selon nous, ont contribué à amener la détérioration de l'image de la bourse, au point qu'elle se doit de redéfinir sa position au plan international et de mettre en place les moyens de s'y maintenir ou de s'y rétablir. Cet inventaire n'a pas de caractère exhaustif et reflète davantage l'opinion de la pratique que celle de la doctrine. Les facteurs sur lesquels nous proposons de faire porter notre examen sont les suivants : a) Structure atomisée de la bourse suisse (cf. § 7.5.2.). b) Le manque de transparence (cf. § 7.5.3.). c) La contrainte de l'action «liée» (cf. § 7.5.4.). d) Le caractère protectionniste des règlements boursiers (cf. § 7.5.5.). e) La dissuasion cartellaire (cf. § 7.5.6.). 148 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION 7.5.2. Structure atomisée de Ia bourse suisse La bourse suisse consiste en une juxtaposition de sept marchés: Zurich, Genève, Bâle, Lausanne, Berne, Saint-Gall et Neuchâtel, dont trois d'entre eux (Genève, Zurich et Bâle) occupaient une part correspondant aux 97 % du total du marché, deux d'entre eux (Zurich et Genève) une part de 88%, et dont un seul (Zurich) comptait pour 65% du total, en 1988 (cf. «Journal de Genève» du 31 janvier 1989). Si une telle structure correspond à une tradition fédéraliste dont le bien-fondé nous paraît historiquement incontestable, force est de constater qu'elle est devenue inadaptée aux besoins internationaux actuels. D'abord il est hors de question que l'investisseur professionnel se montre enclin à étudier puis à se conformer à un ensemble hétérogène de réglementations. Ensuite, pour être opérationnel le marché boursier a besoin d'un important volant de liquidités, sorte de bassin d'accumulation auquel il doit pouvoir être constamment fait appel dans le sens du flux ou du reflux, afin de donner aux transactions le volume qu'implique une vocation internationale. Il s'agit de créer un milieu ambiant suffisamment étoffé, ou liquide, pour que l'offre du marché suisse des capitaux soit compatible avec la demande internationale, et réciproquement. En l'absence d'une liquidité adéquate, le prix subit des fluctuations qui sont davantage fonction de l'étroitesse de l'opération, de la lourdeur du titre, de l'impact sporadique et atypique d'une situation donnée, d'une nouvelle incontrôlée, bref de circonstances indépen- dantes du marché et de la conjoncture, de la marche des entreprises et de l'environnement international. C'est ainsi que dans les mois qui suivirent le krach du 19 octobre 1987, le marché suisse des capitaux était faussé par le fait que les transactions portaient sur un nombre de titres trop restreint pour concrétiser un prix de marché. Faute de demande par exemple, l'offre d'un lot de quelques actions, à la limite dix actions, suffit, dans de telles circons- tances, à faire chuter les cours de l'action d'une entreprise dont les affaires et notamment les prévisions en cash-flow et dividendes seraient notoirement prometteuses. Bien entendu, le volume n'est pas seulement produit par la liquidité, il l'est aussi par le nombre de titres sur le marché, mais l'élément «liquidités» est d'autant plus déterminant que, en l'occurrence, la quantité de titres sur le marché s'avère relativement restreinte. C'est ainsi qu'à la Bourse de Zurich, on recensait, dans le courant de 1988, 309 actions suisses enregistrées, 226 actions étrangères cotées. De plus, seules 32 valeurs y étaient traitées en simultané, le reste l'étant de façon séquentielle, le tout pour un chiffre d'affaires, toujours en Bourse de Zurich et pour 1988, de 570 milliards de francs environ (contre 636 milliards de francs en 1987) (cf. «Institutional Investor», mai 1989, et «Journal de Genève» du 31 janvier 1989). Or, d'après l'étude publiée en août par la firme de courtage américaine Salomon Brothers, nous avons vu précédemment que les achats d'actions effectués à l'étranger s'élèveraient à quelque 1400 milliards de dollars (contre 1340 milliards de dollars en 1987), dont les 82% paraissent être réalisés sur les places financières européennes (cf. § 7.4.1.2). Si, il y a quelques années, la place financière suisse pouvait se targuer de compter au nombre des trois plus importantes après New York et Londres, de l'avis général des milieux financiers, elle se situe actuellement assez loin derrière Londres, New York et Tokyo. 149 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Bien que les comparaisons soient sujettes à caution, notamment en raison du manque de transparence dans les statistiques suisses qui ne reflètent pas l'intégralité des cours traités, il nous a paru nécessaire de relever que les critères d'attractivité des bourses suisses ne correspondaient plus aux normes des grandes places internationales en termes de liquidités, et que leur atomisation en différents centres ne faisait que renforcer leur caractère marginal. En termes de dynamique de la coopération basée sur l'obligation de réciprocité, notre idée consiste à relever que, en ce qui concerne le marché des capitaux, la Suisse ne dispose vraisemblablement déjà plus des mêmes atouts à faire valoir dans le cadre d'une coordination négociée que par le passé, car son attractivité paraît s'être dégradée notablement depuis octobre 1987. Il est évident qu'au nombre des facteurs négatifs s'ajoute le timbre fédéral sur les émissions et sur les transactions boursières, qui fait de notre place l'une des plus chères du monde sans qu'elle offre par ailleurs de contrepartie suffisamment compensatrice. Il s'agit à nos yeux, en conséquence, d'une part d'enrayer cette tendance à la perte d'attractivité de la bourse suisse et, d'autre part, d'empêcher que ce processus de dégradation ne s'étende aux autres facteurs du marché financier suisse, et notamment à ceux qui paraissent vulnérables en termes d'obligation de réciprocité, tels que le manque de transpa- rence, la contrainte de l'action «liée», le caractère protectionniste des règlements boursiers, la dissuasion cartellaire et la réalité de l'accès réel et effectif au marché. En conclusion, nous voudrions souligner l'importance qu'il y a à initier une négociation dans un segment de coopération quand on s'y trouve en position de force. Ce qui est vrai pour la bourse peut l'être pour d'autres secteurs financiers, tel le marché monétaire, et nous devons veiller, par exemple, à ce que le franc conserve sa valeur bon marché dans un rapport de change fort, ou initier une nouvelle plate-forme de coopération avec le CE par le biais du SME avant que la valeur de refuge de notre monnaie montre des signes de déclin. Quoi qu'il en soit, notre appel en faveur d'une stratégie volontariste passe par l'optimali- sation des ressources internes. Nous avons vu que, sur le plan sectoriel de la bourse suisse, une telle stratégie déploie d'ores et déjà ses effets au niveau d'une plate-forme de coordination des normes (cf. § 7.4.3.). Nous verrons, dans les chapitres suivants, qu'elle les déploie également au niveau d'une plate-forme de coordination des éléments de marché (cf. § 7.5.3, 7.5.4, 7.5.6). 7.5.3. Le manque de transparence Nous ne reviendrons pas sur la problématique des réserves latentes et de la consolidation des comptes qui, nous l'avons vu, contient un potentiel d'effets négatifs non seulement en termes d'attractivité du marché boursier, mais également en termes d'obligation de récipro- cité. C'est le manque de transparence au niveau de la criée que nous voulons évoquer. Le système actuellement en place ne donne pas toutes les garanties d'un véritable prix du marché, puisque les opérateurs ont tout loisir de formuler une entente par-devers eux. Alors que les transactions sont informatisées dans les principales places boursières, sans compter celle de Paris (depuis le 21 septembre 1989), réduisant notablement les possibilités d'entente entre opérateurs, la SOFFEX (Swiss Options and Financial Futures Exchange), soit la 150 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION formule automatisée des bourses suisses, ne porte encore que sur 24 des grandes valeurs suisses et uniquement dans la perspective d'une transaction conditionnelle. L'Association tripartite des bourses suisses a, dans la même démarche, l'ambition de réaliser le projet intitulé Elektronische Börse Schweiz, qui devrait déboucher sur la création d'une seule bourse suisse homogène, les transactions des trois grandes bourses étant en quelque sorte sublimées par l'électronique en une seule corbeille commune, dépassant sans les éliminer les divergences de compétitivité et de mentalité si solidement ancrées par le fédéralisme. Les conditions minimales de transparence et de liquidité, au niveau des opérations boursières, seraient ainsi vraisemblablement réalisées de façon à ce que les investisseurs professionnels, et non pas seulement les investisseurs privés, utilisent l'énorme potentiel de placements et d'investissements que déploient les banques suisses au niveau mondial. Le problème de l'attractivité du marché, d'une part, et de l'obligation de réciprocité, d'autre part, qui nous paraissent dans le cadre du marché suisse des capitaux être imbriqués l'un dans l'autre, se posent à nos yeux en termes de «tempo» ou de coordination avec les marchés mondiaux et notamment le Marché unique, davantage qu'en termes de principe, puisqu'une restructuration est en marche en Suisse. Arriverons-nous à temps à nous adapter afin de représenter encore une valeur de négociation dans la dynamique mondiale et notamment européenne? Le projet Elektronische Börse Schweiz doit avancer étape par étape, d'abord par le commerce des obligations sur écran, en 1991, puis avec les titres convertibles et les warrants, et c'est après seulement, vraisemblablement en 1995, que les opérations sur actions seront intégrées au système. Même alors on ne s'attend pas à ce que l'ensemble des actions soient traitées par écran, mais continuent à l'être par la criée. Bref, le système devrait être pleinement opérationnel en principe en l'an 2000, soit bien après la réalisation du Marché unique. C'est alors seulement que nous devrions disposer de statistiques fiables, complètes et immédiates qui permettent à l'investisseur d'établir les comparaisons dont il a besoin pour ses analyses et leur suivi pour ses opérations sur les principales bourses mondiales. Quelles que soient les contraintes inhérentes à une telle restructuration, nous ne pouvons à la fois que nous réjouir que le processus soit en marche et craindre qu'il ne déploie pleinement ses effets qu'une fois que l'impact de la déréglementation, de la globalisation et de l'intégration du marché financier européen se soit fait sentir au point d'ôter au marché suisse des capitaux toute possibilité d'intégration, du moins à pied d'égalité sur l'axe faible- fort, dans le cadre d'une négociation. Nous préconisons quant à nous que la démarche entreprise par les bourses suisses soit reprise dans un cadre faîtier institutionnel, qu'elle soit notifiée à la CE comme signal d'un comportement de coopération et qu'elle soit mise au nombre de nos atouts dans une négociation globale avec la CE dans le cadre d'un segment de coopération. Une telle négociation pourrait-elle se réaliser au niveau de l'Association des bourses suisses en coordination avec le Bureau de l'intégration européenne? De toute façon le marché, à nos yeux, nous dictera ses conditions dans le sens d'une normalisation accélérée. Il est notoire qu'aujourd'hui déjà les titres suisses se traitent en bourse de Londres et ce par des banques qui ne sont pas suisses, alors que ces dernières respectent leurs engagements limitant à la Suisse leurs transactions sur les titres suisses. 151 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE 7.5.4. La contrainte de l'action «liée» Selon l'article 627, alinéa 8, du CO, le Conseil d'administration d'une S.A. a le droit de refuser le transfert d'actions nominatives, pourvu que cette possibilité soit prévue par les statuts et, selon l'article 686, alinéa 2, il peut en conséquence refuser l'inscription d'un acquéreur d'actions nominatives au registre des actionnaires, sans indication de motif. D'après la jurisprudence, le fait de l'inscription au registre n'opère pas le transfert, mais le suppose. Toujours selon la jurisprudence, la vente en l'occurrence est valable, même si la société refuse d'agréer l'acquéreur. En ce cas, seuls passent à l'acquéreur les droits patrimoniaux (dividendes, part de liquidation), tandis que restent attachés à l'aliénateur les droits sociaux (vote, contrôle, propositions, contestations des décisions de l'Assemblée générale, droit général à la répartition du bénéfice et droit de participer à la détermination des parts de liquidation). Il est évident que ce type de règle, par ailleurs insatisfaisante au plan juridique puisqu'elle dissocie, dans une quasi-fiction, les droits sociaux et patrimoniaux, pourtant liés au même objet, lorsqu'elle a été établie, avait pour but de protéger la société anonyme suisse contre des acquéreurs non seulement indésirables, mais tout particulièrement étrangers. Selon le «Journal de Genève» du 10 mai 1989, Nikolaus Senn, président en exercice de l'Union de Banques Suisses, affirme que les actions nominatives liées sont «condamnées à long terme» puisque «la Suisse ne peut pas se permettre de discriminer les entreprises étrangères qui veulent acquérir des sociétés suisses alors que la croissance de beaucoup d'entreprises helvétiques dépend de leurs acquisitions à l'étranger». Ainsi le nouveau droit suisse des sociétés anonymes ne «devrait contenir aucune clause violant le principe de réciprocité». Il est bien entendu, par ailleurs, qu'une société doit conserver le moyen de se protéger contre un acquéreur indésirable. C'est ainsi que devrait pouvoir jouer le processus de décision à la majorité qualifiée et pour des motifs clairement définis dans les statuts. Il est enfin intéressant de relever que Nikolaus Senn va plus loin que le Code d'honneur des bourses suisses, puisqu'il préconise l'obligation d'annoncer un processus d'OPA dès un seuil qu'il fixe, quant à lui, à 5% du capital-actions. A notre sens, si la Suisse ne veut pas se voir à court terme opposer une fin de non- recevoir à toute OPA dans le cadre de la CE, elle aurait intérêt à faire preuve d'une attitude de coopération, basée sur une stratégie de la réciprocité, en révisant notamment la règle de l'action liée, en coordination avec la législation communautaire et en s'inspirant de l'ouvrage de Nikolaus B. Senn (cf. bibliographie N0 15). La décision prise en date du 17 novembre 1988 par le Conseil d'administration de Nestlé est bien sûr exemplaire à cet égard. Selon le «Finanz und Wirtschaft» du 19 novembre 1988, il s'agissait d'ouvrir aux personnes physiques et aux institutions étrangères l'acquisition d'actions nominatives. Le fait que cette possibilité soit contingentée, à concurrence de 3% du total des actions nominatives émises, ne nous paraît pas constituer un motif valable d'attaque en réciprocité négative. La décision du Conseil, d'abord prise dans le cadre de sa compétence statutaire, comportait en outre le projet de soumettre à l'Assemblée générale la proposition de limiter à 3% de l'ensemble des droits de vote, la part revenant à un seul actionnaire, tendant par là même à atténuer le caractère discriminatoire subsistant suite à la 152 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION mesure d'ouverture partielle aux étrangers. De plus, à notre connaissance, les législations communautaires contiennent des dispositions analogues. Sans procéder à une recherche qui déborderait le cadre de la présente étude, choisissant l'Etat réputé pour être avec le Luxembourg le plus libéral des Etats membres, mentionnons pour illustrer notre propos que, dans le cadre de la privatisation de ses entreprises, l'Angleterre a fixé la quote-part des étrangers dans le capital-actions de British Aerospace et de Rolls Royce à 15 % au maximum (documentation interne Société de Banque Suisse), et ce ne sont là que quelques exemples. Il est intéressant de relever les motifs qui ont officiellement poussé Nestlé à prendre cette initiative de libéralisation, à savoir avant tout (cf. article «Finanz und Wirtschaft» précité): — anticipation de la globalisation croissante des marchés des biens et financiers, libéralisa- tion souhaitable au niveau mondial apparaissant dans l'intérêt à long terme des action- naires d'une entreprise multinationale telle que Nestlé; — étroitesse (soit manque de volume et de liquidités) du marché suisse pour les actions nominatives qui limitait leur valeur à la moitié du niveau des titres étrangers compara- bles ; — au surplus les événements récents démontrant que, pour des entreprises de toute taille, un dispositif de protection bien proportionné et non discriminatoire relève de la sagesse quand il s'agit de maintenir son indépendance. Ainsi Nestlé ne prétend pas seulement résoudre un problème qui lui est propre, dans la dynamique de déréglementation dont l'intégration du marché européen est un sous-ensem- ble, mais également, en tant que première entreprise de Suisse, par la capitalisation, le chiffre d'affaires et le nombre de collaborateurs, montrer l'exemple et initier un mouvement coopératif basé sur l'obligation de réciprocité qui porte sur l'ensemble des sociétés suisses, «quelle que soit par ailleurs leur dimension», pour reprendre en citation le même article précité. S'agissant d'un cas d'école, et d'un signal ouvert à de nouvelles initiatives de cet ordre, il nous paraît intéressant d'analyser brièvement les réactions du marché. En effet, si le comportement coopératif de cette entreprise nous paraît bien se profiler sur les grandes lignes de force qui déterminent notamment l'articulation Suisse-CE au niveau institutionnel, telles que décrites dans la présente étude, il reste à discerner de quelle façon l'initiative s'inscrit dans la réalité du marché. Selon le numéro précité de «Finanz und Wirtschaft», voici quelques échantillons de réactions : — Sulzer a de la compréhension pour l'initiative de Nestlé, considère que c'est un pas accompli vers le futur et notamment en direction des mutations européennes et mon- diales, et se demande si les entreprises suisses pourront à l'avenir rester en phase de divorce avec la communauté internationale; — le Vorort approuve également en invoquant le fait que l'existence légale de l'action nominative liée peut être ressentie à l'étranger comme une mesure planifiée de nature discriminatoire ; — le Crédit Suisse parle d'une mesure positive et stimulante en termes de marché. 153 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Pour Sandoz («Neue Zürcher Zeitung» des 19-20 novembre 1988) l'initiative est critiquable dans la mesure où elle entraîne un traitement discriminatoire selon le type d'actionnaires. Cette multinationale ne se prononce pas contre le principe mais on peut inférer de ses remarques qu'elle l'approuve à l'exception de ses effets discriminatoires sur les actionnaires. On sait en effet que, dans un premier temps, la bourse a mal réagi à la décision de Nestlé. 7.5.5. Le caractère protectionniste des règlements boursiers Les lois et règlements régissant les sept bourses suisses n'ont pas été promulgués selon un modèle commun et sont tous, plus ou moins, marqués par les données locales. En soi cette hétérogénéité, compréhensible pour des raisons historiques telles que le fédéralisme, ne correspond plus, nous l'avons déjà évoqué, aux besoins du marché. Plus grave à nos yeux, dans le cadre de la coopération basée sur une approche de la réciprocité la philosophie même de ces normes est à nos yeux protectionniste, dans le sens qu'elles visent à préserver le caractère local de leurs structures spécifiques. Une étude comparative de ces différentes données déborderait le cadre de la présente étude, et nous proposons de nous limiter à illustrer notre propos par les quelques éléments qui nous ont paru en l'occurrence compter au nombre des plus frappants dans le cadre de la Bourse de Genève. Les agents de change, d'après la Loi sur la Bourse de Genève du 20 décembre 1856, par définition autorisés à négocier les valeurs traitées (art. 1), peuvent être des étrangers pourvu notamment qu'ils soient domiciliés à Genève et qu'il y ait entre leur pays d'origine et la Suisse un traité de commerce ou de réciprocité (art. 8). Les agents de change sont membres de la Bourse. Dans le Règlement de la corbeille officielle de la Bourse de Genève du 20 mai 1980, il est stipulé que pour être membre titulaire à la corbeille, il faut avoir la nationalité suisse (art. 8, ch. 1.1). Il en va de même pour le représentant que le titulaire délègue à la corbeille (art. 8, ch. 2). A la lumière de ce seul exemple, on doit, à nos yeux, se poser la question du potentiel de réciprocité négative qui se dégage de clauses de ce genre, dans la perspective européenne de la libéralisation des services. Allant jusqu'au bout de notre raisonnement général, nous dirons même qu'à nos yeux la question doit être posée dans l'optique d'une anticipation de l'approche en réciprocité annoncée par la CE. Il va sans dire que l'approche devrait se situer à un niveau global de la «bourse suisse», seul point de chute qui intéresse l'étranger et notamment la Commission européenne, que nous ne voyons négocier ni avec sept ni avec trois bourses suisses séparément. L'intégration de la démarche devrait ainsi opérer au niveau régional ou horizontal, ainsi qu'au niveau vertical, soit en remontant l'ensemble du processus de la «production boursière», depuis la société, la présentation de ses comptes, son prospectus d'émission, le prospectus d'adhésion à la cote officielle, les critères de référence pour l'admission et pour le maintien de la cotation, soit jusqu'à l'opération commerciale sur le titre. Il n'est pas inutile de relever, dans une perspective plus large, que la «nécessité d'une union boursière européenne pour faire face à la concurrence américaine et japonaise» a été 154 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION évoquée notamment par Andrew Hugh Smith, président de l'International Stock Exchange, parlant, le 5 septembre 1989 à Londres, de la stratégie de la bourse britannique pour les années nonante. A cette priorité s'ajoute naturellement celle de la sécurité des transactions, qui prend une dimension nouvelle dans le cadre d'une libéralisation des services et des capitaux. Un mandat pourrait-il être conféré à l'Association des bourses suisses de mettre sur pied un cadre général de négociation avec la Commission européenne d'une part, et peut-être simultanément avec l'International Stock Exchange d'autre part, en coordination étroite avec le Bureau de l'intégration européenne? L'importance et le caractère libéral de la Bourse de Londres, ainsi que l'implantation des banques suisses sur place nous paraissent a priori justifier une telle demande. 7.5.6. La dissuasion cartellale 7.5.6.1. En général Le mouvement de déréglementation développe ses prolongements en Suisse, notamment dans le cadre du processus de « décartellisation » engagé suite au Rapport de la Commission suisse des cartels (cf. bibliographie N" 59). Notre but ne consiste pas à analyser le processus ni à chercher à prendre position dans la structure de la relation, qui apparaît en public de nature conflictuelle entre le Département fédéral de l'économie publique et des organismes faîtiers tels que l'ASB, les membres de la Convention de courtage, de la Convention sur le commerce des devises, de la Convention sur les dépôts à terme, du Syndicat des grandes banques, du Syndicat pour les émissions suisses, ainsi que l'Association des bourses suisses qui tous ont souscrit à la publication du contre-rapport publié par l'ASB (cf. bibliographie N" 60, p. 106). Notre propos se limite à tenter de dégager la perspective que le processus engagé de décartellisation ouvre, à nos yeux, sur l'obligation de réciprocité pour une dynamique de la coopération. En ce qui concerne la définition de la dimension de l'environnement et le tracé des lignes de force qui caractérisent le marché concerné, les prémisses sur lesquelles se basent les deux parties, soit la CFC et l'ASB, paraissent reposer en première analyse sur deux plates-formes éloignées à la fois l'une de l'autre et de la problématique du Marché financier unique. Eloignées l'une de l'autre pour la raison que la CFC se réfère au dogme libéral de la libéralisation des prix dans une optique juridico-économique, et que l'ASB se base sur la qualité de la prestation, sans pour autant négliger l'aspect de son prix dans une optique économique. Eloignées de la problématique du Marché financier unique pour la raison que nulle part dans le corps, soit du Rapport de la Commission des cartels (cf. bibliographie N0 59), soit de la prise de position des banques (cf. bibliographie N0 60), il n'est dressé d'inventaire systématique des implications que comportent soit l'existence d'ententes cartellaires, soit leur démembrement dans une approche communautaire basée sur la réciprocité avec les pays tiers qui se définit notamment dans le cadre de concepts tels que «l'accès réel et effectif, 155 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE l'équivalence, la non-discrimination ou les conditions de concurrence comparables» (cf. les cinq cercles de la réciprocité, § 6.2.3.). Nous ne pouvons que déplorer, quant à nous, ce double mouvement centrifuge et il nous paraît nécessaire de bien le souligner dans l'idée d'une sensibilisation constructive. Le combat mené sur la place publique entre le secteur financier et le Département fédéral de l'économie publique, même si l'on peut raisonnablement augurer qu'il s'achève rapide- ment dans le consensus, ne peut que contribuer à la détérioration d'une image de la place financière suisse encore réputée pour sa stabilité politique notamment. N'oublions pas qu'à cette dichotomie s'ajoute actuellement la querelle qui s'est installée entre l'Association suisse des membres du barreau et l'ASB à propos de la procédure d'identification de l'ayant droit économique final et de la vérification de l'origine des fonds (Convention de Diligence), querelle qui tend à ternir l'image de stabilité juridique de notre Etat de droit. De tels processus ne peuvent que désorienter notre clientèle, tout particulière- ment la clientèle internationale. Les quelques titres tirés de la presse indiquent ci-après le climat du marché : — «Journée des banquiers: la Suisse à un carrefour» («Journal de Genève» des 23-24 septembre 1989); — «Die Eidgenössische Kartellkommission bekommt Schützenhilfe von der OECD» («Basler Zeitung» du 7 septembre 1989); — «Cartels bancaires: Berne tranchera» («Journal de Genève» du 30 août 1989); — «Le cartel bancaire devra sauter» («24 Heures» du 30 août 1989); — «Commission's powers put to test» («Financial Times» du 12 juillet 1989); — «Squeeze on Swiss bankers» («Investors Chronicle» du 7 juillet 1989); — «Banks warn Switzerland on excessive regulation» («Financial Times» du 15 juin 1989); — ¦ «Swiss shiver in winds of change ... on threats to the Big Three over-syndication» («Financial Times» du 9 juin 1989). Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'évoquer, la dynamique du Marché unique, et notamment du Marché financier unique, n'est qu'un épisode du processus mondial et global de déréglementation. C'est pourquoi nous proposons de nous référer à l'OCDE pour vérifier le contenu de notre plate-forme de coordination en l'occurrence. 7.5.6.2. La position de l'OCDE Nous basant sur le rapport «La concurrence dans le secteur bancaire» de l'OCDE et sur le résumé de la «Basler Zeitung» du 7 septembre 1989, nous pouvons constater que, si la Suisse se trouve inéluctablement prise dans les, et par ailleurs partie prenante aux mouve- ments généraux de déréglementation, de globalisation, de «titrisation», elle n'en constitue pas moins un cas spécial reconnu qui pourrait justifier de son rythme propre dans le déroulement du processus. Cela étant, le différentiel, s'il peut s'inscrire en termes de «tempo», ne peut guère à nos yeux le faire en termes de principe. 156 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Le rapport de l'OCDE mentionne que «au moins en ce qui concerne l'application des requêtes de la Commission des cartels, la Suisse se distingue au sein de la Communauté des 24 pays signataires comme un cas qui n'existe nulle part ailleurs (»ein Fall, den es nirgendwo gibt«) en ce qui concerne le nombre d'accords existants, ce qui ne signifie pas que le client suisse de ces banques soit moins bien traité que les clients des banques à l'étranger». C'est la même idée qu'exprime l'ASB (cf. bibliographie N0 60, p. 121), soit «tout en empêchant une rivalité exacerbée dans le domaine des prix, les conventions contribuent grandement à la qualité, à la stabilité et à la sécurité sur la place financière suisse». Nous pouvons par contre nous demander, avec le «Journal de Genève» du 30 août 1989, si les banques suisses ne mènent pas un «combat d'arrière-garde». Si nous nous référons au processus engagé dans le cadre du GATT, c'est bien la libéralisation des services financiers et des flux de capitaux qui est officiellement un but de négociation au plan multilatéral. Si nous nous référons au rapport précité de l'OCDE, la déréglementation repose sur un consensus parmi les signataires et notamment sur les éléments suivants : — assouplissement de la concurrence sur les prix par la déréglementation des taux d'intérêt et des tarifs des services de financement, de même que interdiction d'accords dans ce domaine ; — accroissement du nombre de concurrents également par élargissement de la concurrence à d'autres secteurs financiers que la banque, par l'encouragement de la dé-spécialisation et de la diversification, tant au plan national qu'international; — multiplication des possibilités de choix pour les investisseurs et les créanciers par l'offre d'un éventail de nouveaux instruments dans la gestion des actifs et des passifs ; — élimination ou tout au moins diminution des contraintes étatiques telles que restrictions de crédit, contrôle des prix, notamment; — recherche d'une plus grande transparence des marchés par le biais d'une meilleure information ; — lutte préventive contre les ententes dans les secteurs bancaires et financiers qui iraient à rencontre de la concurrence. Même si l'application de ces recommandations sur lesquelles les signataires de l'OCDE ont marqué un consensus, y compris la Suisse, s'exprime dans un large spectre d'interpréta- tion, il n'en reste pas moins que, dans le cadre multilatéral de la coopération, la Suisse et ses banques ne peuvent rester à l'écart du processus de la décartellisation. Essayons de cerner d'un peu plus près la position des deux parties à la structure de la relation, soit la CFC et l'ASB. 7.5.6.3. La position de la CFC La CFC place le débat dans la double perspective internationale et nationale. Dans la première elle mentionne que «les tendances à l'internationalisation, à la globalisation et à la libéralisation, qui sont fortement soutenues par les progrès techniques, sont la cause d'un 157 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE rapprochement des places financières et, partant, d'un renforcement de plus en plus marqué de la concurrence» (cf. Commission des cartels, bibliographie N0 59, IIIe partie, ch. 2.2). Ainsi la CFC place à juste titre le secteur bancaire suisse dans les lignes de force qui définissent le marché international. Elle fait même allusion au prolongement européen de ces lignes de force en mentionnant qu'«un défit tout particulier est, à cet égard, lancé par la réalisation du Marché intérieur de la CE en 1992, réalisation qui devrait fortement renforcer l'attractivité des places financières de Londres, Amsterdam, Francfort et Luxembourg, mais également Paris». La dynamique européenne n'est donc pas oubliée dans ce rapport et, même s'il n'y est fait allusion pratiquement que dans ce passage, la perspective est bien ouverte également sur cette problématique spécifique à laquelle les banques suisses n'échap- peront pas. Au plan national, les perspectives s'ouvrent bien, comme le relève la CFC, sur les tendances de transfert de l'épargne du privé à l'institutionnel, de la «titrisation» par le biais de laquelle notamment s'opère le transfert des activités bilancielles aux activités dites neutres et indifférentes. C'est judicieusement à nos yeux que la Commission relève les faiblesses devenues endémiques des structures bancaires suisses, à savoir le «manque de personnel hautement qualifié», ainsi que le retard pris dans la technologie et notamment dans le «domaine des télécommunications» (cf. ibidem, lre partie, ch. 5.3). La CFC nous paraît donc placer le débat sur la libre concurrence dans une juste perspective tant nationale qu'internationale, en soulignant de façon implicite l'aggravation de la position de la Suisse en raison de problèmes essentiels qui portent sur la politique des ressources humaines et technologiques. Personne ne peut nier qu'elle ait raison quand elle exprime l'avis «que la structure de l'appareil bancaire doit s'adapter aux modifications dues à l'évolution des circonstances», et qu'«elle ne saurait être protégée en soi» (cf. ibidem, IIP partie, ch. 2.3.). L'élément essentiel qui nous paraît devoir être relevé à ce propos consiste dans le fait que la conclusion du rapport de la CFC se limite aux distorsions qu'entraînent les ententes cartellaires dans la structure bancaire suisse, et notamment au détriment des établissements petits et moyens, tout en considérant par ailleurs, de façon explicite, que les conventions ne comportent pas de facteurs déterminants pour l'évolution de la place financière (cf. ibidem, p. 171), sans qu'à aucun passage ne soit évoqué le potentiel de réciprocité négative emmagasiné dans ces ententes, et qui représente à nos yeux un danger également, dans le cadre, par exemple, des exigences en matière d'équivalence, voire de traitement national, quand le traitement est différencié entre sociétés suisses et étrangères. Pour le reste, nous partons de l'idée que les banques se trouvent suffisamment imbriquées dans le processus de concurrence internationale pour réagir d'elles-mêmes et s'adapter. De par leur nature même, les conventions bancaires sont «ouvertes», c'est-à-dire que l'adhésion est en principe libre, comme la démission, et qu'il n'existe aucune procédure coercitive soit pour les signataires, soit pour les non-signataires. De plus, pour reprendre l'expression de la CFC, on constate de 1976 à 1986 «une diminution du nombre des instituts en mains suisses et une énorme augmentation de celui des instituts en mains étrangères » (cf. ibidem, lre partie, ch. 5.4.2.) y compris de sociétés financières (cf. ibidem, tableau N0 1). On pourrait être tenté de déduire de ce qui précède que la place financière suisse se caractérise par son libéralisme. 158 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Or les statistiques montrent que la position des grandes banques, soit UBS, SBS, CS, BPS et la Banque Leu, n'a fait que se renforcer au cours de cette même période 1976-1986. C'est ainsi que la part des grandes banques à la somme totale des bilans a passé de 25,1 à 51,1% (cf. ibidem, tableau N0 4), que leur part au total des commissions (solde) a conservé son caractère dominant en régressant il est vrai de 57,6 à 46,1 % (cf. ibidem, tableau N0 13), que leur part aux emprunts publics en francs des émetteurs étrangers classés selon les « lead managers» («Syndicat des grandes banques») s'est maintenue de 1984 à 1987 entre 72 et 70,8% (cf. ibidem, tableau N0 15), pour ne citer que quelques exemples. De plus, le contrat du Syndicat des grandes banques (en l'occurrence UBS, SBS et CS) stipule que: — chaque membre ne participe qu'à des emprunts du Syndicat des grandes banques; — les quotas nominaux des trois banques qui représentent 51,3% sont supérieurs à la majorité simple; — toutes les décisions, en particulier celles qui concernent l'adhésion de nouveaux mem- bres, exigent la majorité simple des quotas nominaux et, partant, au moins l'approbation d'une grande banque. «Ensemble les trois grandes banques sont en mesure de déterminer à elles seules l'ensemble de l'activité du syndicat excepté l'exclusion de membres du syndicat» (cf. ibidem, IIe partie, ch. 5.3.2.). La CFC, au plan général, conclut que les conventions vont à rencontre des règles de la concurrence, puisqu'elles freinent l'évolution des structures et favorisent de manière dispro- portionnée les grandes banques (cf. ibidem, IIIe partie, ch. 2.3. in fine). Nous ajoutons, pour notre part, que les Conventions représentent en tant que telles, et de par leur objectif spécifique pour certaines d'entre elles, un potentiel de plate-forme de confrontation, notamment en ce qui concerne les cercles du traitement national, de l'accès réel et effectif, et de l'équivalence qui circonscrivent l'accès à la réciprocité. En conclusion, malgré la nature «ouverte» des ententes cartellaires bancaires et la floraison d'instituts en mains étrangères, nous ne pouvons, à nos yeux, nous contenter de cet état de fait pour conclure que les concepts européens de non-discrimination ou de conditions de concurrence comparables sont, a priori, satisfaits par l'actuelle structure de la concurrence en Suisse. Intéressant nous paraît être le fait que nos autorités fédérales, soit le Département de l'économie publique, aient déclaré par le biais d'un rapport officiel, de façon explicite, que la structure cartellaire qui contribue à la normalisation des activités bancaires en Suisse «favorise de manière disproportionnée les grandes banques», soit de facto trois d'entre elles, puisque l'UBS, la SBS et le CS sont membres notamment du Syndicat permanent dont la «charte» comprend un certain nombre de clauses de nature protectionniste. Dans la perspective d'une dynamique de la coopération qui passe par l'obligation de réciprocité, l'attitude de la CFC nous paraît aller dans la bonne voie. C'est à notre avis la raison pour laquelle les banques vont dans ce sens, en acceptant dix des dix-neuf propositions de la CFC et en adaptant progressivement les autres. 159 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Ainsi, dans ce segment de la coopération que constituent les ententes cartellaires, le chemin pris d'ores et déjà nous paraît être le bon et nous ne pouvons qu'espérer qu'il sera poursuivi jusqu'au bout. Soulignons que l'initiative paraît être venue cette fois de l'Etat. Disposons-nous ainsi, comme c'est le cas pour le Code d'honneur des banques suisses, d'un nouveau cas d'école? Ces deux initiatives, l'une privée et l'autre institutionnelle, malgré le caractère dispersé de leur ressort, sont-elles un prélude à la stratégie coordonnée que nous souhaitons ? 7.5.6.4. La position de l'ASB Nous entendons par position de l'ASB celle des signataires de la prise de position des banques (cf. bibliographie N0 60) cités sous 7.5.6.1. Pour faire le lien direct avec ce qui précède immédiatement, relevons que l'ASB rejette pour une part, et accepte pour une part les recommandations de la CFC. De façon plus générale, l'ASB ne paraît pas dénier à la structure cartellaire qui contribue à la normalisation des activités bancaires en Suisse une nature protectionniste. Bien au contraire, puisqu'elle le proclame en avançant qu'«on ne saurait accepter pour notre pays une politique concurrentielle qui affaiblirait sans nécessité la position des banques suisses au profit d'établissements étrangers» (cf. ibidem, p. 131). On sait en effet que la part du revenu bancaire touché directement par les velléités de décartellisation ascende à plus de 45 % de l'ensemble des recettes bancaires et plus de 90% des commissions (ibidem). Il faut néanmoins répéter que l'ASB a accepté dix des dix-neuf recommandations de la CFC et qu'elle a annoncé des révisions dans la plupart des autres conventions «chaque fois que les recommandations ... concordent avec les forces du marché» (cf. ibidem p. 137). Alors s'agit-il d'un «combat d'arrière-garde» ou d'un «typical Swiss compromise» («Financial Times» du 12 juillet 1989)? Le fait que la CFC ait maintenu sa position et que l'ASB en appelle aujourd'hui au Département de l'économie publique ne nous paraît confirmer ni l'une ni l'autre des hypothèses. La vérité, à nos yeux, ainsi que l'exprime à maintes reprises et sous des formes différentes la prise de position des banques, est que l'ASB, consciente de Finéluctabilité du processus de déréglementation, et ses membres, sensibles aux stimuli du marché international, consentent au principe de la décartellisation mais veulent en maîtriser le rythme et mettent l'accent sur la non-discrimination entre résidents et non-résidents. Les dangers que représente une décartellisation appuyée par l'instance politique, et qui s'appliquerait de façon brutale à l'instar du «big bang» londonien, sont notamment inventoriés dans la prise de position des banques (cf. bibliographie N0 60, pp. 120 à 137), qui s'appuient sur des critères autres que celui du prix. Comme nous l'avons déjà annoncé, une prise de position de notre part entre les deux tenants du débat sortirait de notre propos. Ce que nous proposons de souligner en l'occurrence, c'est le fait qu'un processus de décartellisation pourrait être utilisé comme arme dans une négociation avec, notamment, la CE et que, dans une dynamique de la coopération basée sur une stratégie volontariste de la réciprocité, il est indispensable de définir le degré de compatibilité et sur les principes et sur les «tempo» avec le partenaire. Cette idée procède de la nécessité de la coordination en tant 160 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION que pierre angulaire d'un comportement de coopération, rendu d'autant plus délicat qu'il se développe dans une stratégie de la réciprocité. Que la structure cartellaire qui contribue à la normalisation des activités bancaires en Suisse soit de nature réellement protectionniste ou non, elle est désormais jugée comme telle par la Suisse elle-même dans un rapport officiel publié. En conséquence, de par le fait même de son expression officielle, son caractère dissuasif recèle un potentiel de réciprocité négative de la part, notamment, de la CE. Tout paraît se passer d'un côté comme si, déjà, la Suisse (et sa place financière) subissait le diktat de la dynamique européenne et, en lieu et place d'adopter une stratégie de coopération qui la fasse bénéficier de son élan nouveau, débouche sur une inutile structure de confrontation. Tout paraît se passer d'un autre côté comme si des initiatives diverses tendaient à placer la place financière suisse sur une plate-forme de coordination, sans qu'il y ait encore, à ce stade, de stratégie globale et coordonnée. A nos yeux, la décartellisation devrait également constituer un segment de coopération avec la CE et ne se dérouler que dans la perspective d'une négociation basée sur l'obligation de réciprocité. 7.5.7. L'accès réel et effectif au marché 7.5.7.1. Généralités Nous avons relevé, dans l'examen du concept de réciprocité institutionnalisé par la Deuxième Directive (cf. § 6.2.3), qu'il existait différents cercles par lesquels il fallait notamment que les banques suisses passent, pour que les conditions de réciprocité posées par la CE soient satisfaites. Faute d'application, notamment jurisprudentielle, il nous est une fois de plus difficile de définir leur impact au plan pratique. Nous proposons de centrer notre réflexion sur deux critères, que nous avons sélectionnés pour le fait qu'ils constituent une intersection entre un intérêt économique vital pour la Suisse et une priorité politique pour ses partenaires européens dans un des domaines les plus sensibles. Il s'agit d'une part de la libre circulation des personnes, l'un des éléments constitutifs du Marché intérieur et l'une des dispositions considérées comme essentielles du Traité de Rome qui concerne la libre circulation des travailleurs (art. 48 à 51), la liberté d'établissement (art. 52 à 58), ainsi que la libre prestation des services (art. 59 à 66). Il s'agit d'autre part de la compétence juridictionnelle de la CJE (art. 164). Dans l'analyse de ces deux systèmes, nous nous limiterons à tenter de dresser la perspective dans laquelle ils s'ouvrent sur une dynamique de la coopération basée sur la réciprocité définie par les concepts «d'accès réel et effectif» et «de non-discrimination». 7.5.7.2. La libre circulation des travailleurs Pour nos autorités fédérales (cf. bibliographie N013, ch. 631.43), la libre circulation des travailleurs devrait plutôt comporter des effets bénéfiques pour la Suisse. 161 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE La référence mentionnée consiste dans l'anticipation des données du marché du travail qui prévaudront à la fin du siècle dans les pays communautaires de la zone sud et en Suisse. Selon le CF, les pronostics parlent tantôt d'une augmentation du chômage due à l'adaptation des structures, tantôt de l'aggravation de la pénurie due à des facteurs d'ordre démographi- que. Sans donner la préférence à l'un ou à l'autre de ces scénarios, le CF part de l'idée que la pénurie de main-d'œuvre qualifiée dans certains domaines de l'économie suisse ira croissant, «en raison du niveau élevé des salaires», et que la libre circulation de la main-d'œuvre permettrait de «surmonter» cette «pénurie très marquée». Ce qu'il entend en réalité, c'est que la compétition accrue sur les salaires contribuera à améliorer la compétitivité de la Suisse. Seul est relevé un potentiel de problèmes au niveau technique des «assurances sociales». En ce qui concerne la liberté d'établissement, le CF n'entrevoit guère de problèmes essentiels, si ce n'est de façon quantitativement limitée. Selon lui, des effets d'une certaine importance seraient surtout concevables dans le domaine des professions libérales parce que, «dans notre pays, les diplômes universitaires étrangers ou du moins une partie d'entre eux ne sont pas reconnus à l'heure actuelle». Il précise que « sur ce point une modification de notre régime juridique serait de mesure à stimuler la concurrence». Le CF relève de surcroît que les filiales des sociétés suisses, selon l'article 58 du Traité de Rome, bénéficient de la liberté d'établissement, ce qui leur conférera «une possibilité intéressante de tirer profit des avantages procurés par le Marché intérieur de la CE». La notion de réciprocité se trouve en l'occurrence ainsi implicitement introduite dans l'hypothèse d'une non-adhésion, puisque dès lors la Suisse «pourrait subir une pression tendant à ce qu'elle assouplisse, en faveur des ressortissants de la CE, ses dispositions légales sur l'établissement». A la lumière de notre analyse, la position du CF paraît se situer très en deçà de ce que nous appelons un comportement volontariste de coopération basé sur une stratégie de la réciprocité. Or le CF dispose de contingents pour la main-d'œuvre étrangère, qu'il distribue à divers secteurs économiques prioritaires, excluant certains cantons, et favorisant par ailleurs en cela la concentration économique. Nous partons, pour notre part, de l'idée que le CF continuera à s'arroger le droit de ventiler ces contingents et que, pour éviter que le problème de la réciprocité ne se pose avec un Etat membre ou la CE, il accordera formellement des unités à un canton, même si, par pure hypothèse, ce dernier les refuse. Afin d'illustrer notre propos nous proposons de nous référer à Christian Lutz (cf. bibliographie N0 61, § 5) Cet auteur souligne d'abord que le principe de la libre circulation des travailleurs consiste à éliminer toute discrimination entre citoyens de la Communauté qui reposerait sur l'Etat d'origine, qu'il leur confère le droit de postuler librement pour toute place de travail, de s'installer n'importe où pour créer une entreprise et s'établir définitivement une fois l'entreprise créée ou le poste accordé. 162 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION Nous partageons, pour notre part, l'avis de l'auteur selon lequel, en cas d'adhésion de la Suisse, cette dernière ne sera pas en mesure de négocier davantage qu'une simple exception de transition. C'est d'ailleurs l'avis du CF que «en cas d'adhésion ... la Suisse serait évidemment tenue de mettre en œuvre les principes de libre circulation et de la liberté d'établissement» (cf. bibliographie N0 13, p. 116). Le contingentement de la main-d'œuvre étrangère en Suisse ne porterait dès lors plus que sur les pays tiers. La Suisse devrait d'ailleurs aller plus loin, jusqu'à appliquer les normes communautaires à tout pays tiers à l'endroit des étrangers sur son territoire. Ainsi, à l'exception des droits politiques, les ressortissants communautaires et suisses devraient jouir des mêmes droits, y compris au double plan social et familial. Cela signifierait que sur les quelque 975 000 étrangers résidant en Suisse, les trois quarts provenant de la CE, il ne resterait qu'une très faible marge de compensation avec les pays tiers. Pour l'auteur, les conditions économiques de la zone sud de la CE iront s'améliorant, ce qui réduira encore le potentiel migratoire de ces pays vers la Suisse. Il est à nos yeux indéniable que, dans des pays tels que l'Espagne surtout, l'Italie et également le Portugal, les données économiques ont changé et changent encore rapidement dans le sens d'un appel croissant à la main-d'œuvre qualifiée, et notamment formée en Suisse. Et l'auteur de craindre que, à l'instar de ce que la Suisse a connu dans les années soixante, les préceptes d'une croissance qualitative («viel Geistig wenige Materie») soient une fois de plus remis en question. Comme le disent la plupart des patrons d'entreprises en Suisse, comme le dénoncent de plus en plus fortement les organes économiques faîtiers, l'économie suisse est déjà, à l'heure actuelle, caractérisée par une pénurie aiguë de main-d'œuvre qualifiée, et cette tendance ne fera que se renforcer à l'avenir. De l'avis général des milieux intéressés, ce phénomène est particulièrement sensible dans les banques. Le niveau des exigences sera de plus en plus haut placé. Citons, à titre d'exemple, Walter G. Frehner, président du Directoire de la SBS (cf. «AGEFI», édition spéciale N0 183). Parmi les facteurs de succès qui conditionnent l'avenir des grandes banques face à l'Europe, il en est deux qui relèvent de la qualité du personnel d'après cet article: — d'abord «L'expérience pratique des opérations internationales, la connaissance des conditions qui régissent chacune des places financières importantes d'Europe», soit la maîtrise des «techniques les plus récentes» telles que le wholesale banking, où règne une concurrence de plus en plus âpre, la combinaison habile des vastes possibilités de l'investment banking, appuyée par une présence dans le monde entier et une force de placement à l'avenant; — ensuite «Les banques doivent impérativement disposer d'un personnel hautement quali- fié, motivé et polyglotte». Citons également Hans J. Mast, Senior Economie Advisor du Crédit Suisse First Boston, Zurich, dans Christine Hirszowicz (cf. bibliographie N0 62, pp. 114 et 115). «En matière bancaire, les possibilités d'école en Suisse sont à peine optimales et certainement pas comme il serait souhaitable, à la pointe au niveau mondial», et «sans solution au problème du personnel dans ses dimensions quantitatives et qualitatives, la force concurrentielle de la place financière suisse n'est en tout cas pas assurée». 163 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Et enfin Martin Lusser, vice-président du Directoire de la BNS (cf. bibliographie N0 62, p. 26): «Le recrutement du personnel hautement qualifié pose des problèmes. Un pont sur les marchés étrangers se heurte à la politique de contingentement. Les possibilités de formation en Suisse se révèlent, ainsi que le proclament les banquiers, insuffisantes.» Quels sont les remèdes envisagés? La position de Lusser s'inscrit dans la perspective de la présente étude. En effet sa position peut se résumer comme suit: — Il apparaît nécessaire d'inventorier de façon sérieuse les conditions actuelles et à venir du marché du travail, afin de se mettre en condition d'atténuer les effets pervers que comporte en l'occurrence pour la Suisse la dynamique européenne. En cas de diminution de l'immigration et de renforcement de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée en Suisse, c'est une libéralisation de la circulation et de l'établissement qui devrait prévaloir. Dans l'hypothèse d'une croissance purement quantitative, qui se ferait au détriment de la qualification, c'est une voie moyenne qui est préconisée, avec tous les désavantages qu'elle comporte en matière notamment de contrôle aux frontières, de politique d'asile, etc. — Dans cette dernière hypothèse qui nous paraît, toutes choses restant égales par ailleurs, la plus probable, c'est la voie de la négociation qui est proposée. Celle-ci pourrait se faire sur la base de contingents qui tiendraient compte des forces relatives en présence. Ce scénario déboucherait sur une obligation de réciprocité pour une dynamique de la coopération. Ce comportement de coopération pourrait se baser sur un ensemble de plates-formes de coordination dans un cadre institutionnel d'ores et déjà opérationnel tel que ERASME, COMETT, YES, EURIDICE, constituant ainsi également un segment de la coopération. Les contraintes cependant paraissent d'une dimension telle que, toujours selon l'auteur, nous devons rester sans illusion quant au succès de la démarche. En effet, il ne s'agit pas seulement du fait que, selon le CF, la reconnaissance des diplômes étrangers est limitée en Suisse, élément qui comporte évidemment un potentiel certain de réciprocité négative. Il s'agit bien plus du fait que les diplômes suisses ne sont pas reconnus à l'étranger, alors même que le principe de reconnaissance mutuelle est d'ores et déjà appliqué au sein des Douze. Il s'agit également du fait que la plupart des diplômes en Suisse demeurent de la compétence des cantons, ce qui constitue en soi un obstacle à toute démarche globale et, bien entendu, nous fait prêter le flanc à une attitude conflictuelle basée sur la réciprocité négative. La récente démarche des hautes écoles de Suisse romande, entreprise dans le but de concrétiser l'équivalence des diplômes entre elles, constitue un pas positif vers la dynamique de la coopération déclenchée par l'obligation de réciprocité. Il restera sans effet au plan européen tant que le reste de la Suisse n'aura pas suivi. Il ne s'agit pas seulement du fait que seules les filiales de sociétés suisses, comme le relève le CF, seront en droit de bénéficier des avantages du Marché intérieur. Il s'agit avant tout du fait qu'il existe, comme nous l'avons vu, notamment en matière de concentration 164 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION d'entreprises et dans le domaine bancaire, que ce soit dans le cadre de la libéralisation des services financiers ou des flux de capitaux, une cautèle qui pourrait, selon nous, s'avérer déterminante pour la réelle concrétisation de ce droit d'établissement ou de prise de participation, à savoir l'exigence de réciprocité. Qui peut être certain que l'Espagne, par exemple, ne va pas exiger la réciprocité en matière de libre circulation des travailleurs pour accorder l'agrément unique aux banques suisses, le feu vert à une prise de participation, que le processus se déroule sur son territoire propre ou dans l'un quelconque des onze autres Etats membres? Pourquoi l'Espagne, pour prolonger notre exemple, ne profiterait-elle pas du cadre institutionnel qui lui est donné au niveau communautaire pour exiger la suppression du statut de saisonnier, et la France celle de frontalier? Et qu'en sera-t-il si l'un des Douze décide que la réciprocité n'est pas accordée par la Suisse, puisqu'elle contingente les permis de travail dont ses entreprises ont besoin en Suisse, alors que ces dernières auront peut-être décidé que la majorité des cadres implantés dans leurs filiales, succursales et bureaux de représentation en Suisse seraient ressortissants communautaires, par exemple, les Espagnols pour l'implantation d'une banque espagnole en Suisse? Qu'adviendra-t-il de la courageuse, et à nos yeux fort intéressante, démarche que la Chambre du Commerce et de l'Industrie de Genève a envisagée dans son rapport (cf. bibliographie N° 63, § 1.6.1) qui revient à proposer «d'étendre le statut de travailleur frontalier à l'ensemble des ressortissants de la CE, ou plus généralement à des tiers, plutôt que de le limiter aux Français et aux Suisses» s'il est requis de supprimer purement et simplement ce statut? (Précisons que cette démarche a au moins le mérite à nos yeux de proposer une approche concrète, basée sur la coopération et la réciprocité avec les régions de France voisine.) Le problème est, à nos yeux, d'autant plus grave que, par le fait de la non-participation de la Suisse aux institutions précitées, il devient de plus en plus difficile pour notre personnel cadre d'accomplir d'indispensables stages ou études en Europe, d'y poursuivre les apprentis- sages linguistiques. Le problème, en l'occurrence, ne consiste plus seulement à anticiper un éventuel potentiel de réciprocité négative et de prendre toute mesure utile pour y parer, mais de constater que l'Europe se ferme progressivement et s'est déjà partiellement fermée à un secteur des plus névralgiques pour l'avenir de la Suisse: celui de la main-d'œuvre qualifiée. De toute façon les Suisses, en tant qu'originaires d'un pays tiers, passeront en troisième rang de priorité après les nationaux et les ressortissants communautaires des onze autres Etats membres dans un processus d'autorisation pour le séjour, le travail, les stages ou les études. Il nous faut relever que le problème s'étend à un domaine plus vaste et comportant un potentiel d'effets tout aussi pervers en matière de réciprocité négative, celui de l'application du principe de la libéralisation des services dans le domaine juridique. L'article du «Journal de Genève» du 22 septembre 1989 «Protectionnisme — Avocats: La grande peur de 1992» nous paraît à ce propos intéressant à un double titre. Il montre d'une part l'anxiété d'une partie des représentants de cette profession et d'autre part l'indifférence des autres, dichotomie qui nous paraît, à l'heure actuelle, bien caractéristique de l'impression que l'on peut intuitivement dégager de l'état d'âme des Suisses à propos du Marché unique. 165 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Il s'agit d'une part de la crainte que soulève la libéralisation des services qui implique la reconnaissance mutuelle des diplômes et une circulation des conseillers juridiques et des avocats de plus en plus libre en Europe. Or, selon cet article «Genève est un point de chute logique pour les gens qui exercent à l'échelle internationale». En conséquence, les conseillers et avocats suisses, craint-on, devraient subir la double contrainte de la concurrence étrangère chez eux et de l'interdiction de pratiquer en Europe. Soulignons au passage qu'en principe seuls des avocats suisses peuvent être membres du barreau, et sont par conséquent considérés comme bénéficiant du secret professionnel au titre de Ia Convention de Diligence des banques, et peuvent donc signer des documents de compte sans donner à la banque les coordonnées de l'ayant droit. Il s'agit d'autre part de la crainte de la réciprocité. «Il y a des avocats genevois qui travaillent au barreau de New York ! Si nous faisons des misères à ceux qui viennent chez nous, il y aura des mesures de rétorsion!», proclame cet article. Et nous ajoutons, dans la ligne de notre propos général: si les Suisses accordent la réciprocité aux avocats new-yorkais, la CE ne l'ayant pas fait, sera-t-elle «contrainte» de la dénier aux avocats suisses? Plus simplement, l'obligation de n'exercer que dans son pays d'origine ne tient plus, face à une dynamique de la coopération basée sur la réciprocité. Une fois de plus, il nous paraît que nous aurions tout à gagner en englobant cette problématique dans une approche globale basée sur une stratégie volontariste de la réciprocité. Mentionnons que, selon notre entretien avec Me Charles Poncet, avocat, du 8 janvier 1990, le problème paraît si crucial et urgent à Genève qu'une proposition de motion était alors sur le point d'être déposée au Grand Conseil genevois en vue d'obtenir l'équivalence des diplômes avec l'étranger sur le canton. Mais ce problème ne s'arrête pas là. Il faudrait approfondir les répercussions que comporte la libéralisation des services dans des domaines tels que le tourisme, les transports aériens, routiers et ferroviaires. En conclusion, nous cherchons à démontrer que notre approche, en tant que Suisses, doit résolument se mettre au diapason européen dans le but d'éviter de prêter le flanc au potentiel de réciprocité négative. Encore une fois, l'obligation de réciprocité nous paraît être le facteur nécessaire et décisif pour le déclenchement d'une dynamique de la coopération. Et il nous paraît évident qu'il s'agit de baser notre comportement sur une stratégie de la coordination, en l'affichant clairement, de façon à ce qu'elle soit en elle- même déjà perçue comme le symptôme d'un comportement coopératif. Commençons donc par chercher à instituer l'équivalence des diplômes au plan suisse et à harmoniser les règles essentielles concernées, et à informer clairement le souverain sur cette problématique et la CE sur notre démarche. 7.5.7.3. La compétence juridictionnelle de la Cour de justice européenne Nous nous proposons d'examiner de quelle façon le fait de la compétence juridictionnelle de la CJE pourrait être invoqué en tant que motif de réciprocité négative. Pour décrire la compétence de la CJE nous nous référerons essentiellement à Jean-Victor Louis (cf. bibliographie N0 64). 166 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION La CJE est l'institution de contrôle de la légalité de l'action des institutions européennes, du respect des traités par les Etats membres et la garante de l'application uniforme du droit communautaire (cf. ibidem p. 30). La CE est une «communauté de droit» qui non seulement est une création du droit, puisqu'elle repose sur des traités, mais qui est également une créatrice du droit, sans pouvoir coercitif. Son efficacité tient dans son caractère obligatoire, uniforme dans tous les Etats membres. «D'où l'importance vitale pour l'ordre juridique communautaire de se voir reconnaître la primauté sur les ordres nationaux.» (cf. ibidem p. 43) La Cour est accessible non seulement aux Etats et aux institutions, mais également aux particuliers qui peuvent la saisir par divers moyens de droit. Le mécanisme de la procédure par le biais des questions préjudicielles «fait du juge national un juge communautaire» (cf. ibidem p. 46). Le juge national étant en premier chef appelé à faire appliquer le droit communautaire par le fait de son «effet direct», à savoir qu'un règlement promulgué par les instances supra-étatiques est directement applicable dans tout Etat membre, a l'obligation, lorsque les voies de recours sont épuisées, de saisir la Cour, alors que les autres juridictions ont la faculté de le faire. En d'autres termes, «lorsqu'une question relative à l'interprétation du droit communautaire ou à la validité des actes des institutions se pose à lui, le juge peut ou doit selon les cas, saisir la CJE de cette question, avant de se prononcer sur le fond du litige» (cf. ibidem p. 46). L'arrêt rendu sera imposable à la juridiction qui l'a saisie et liera les autres juridictions, lesquelles conservent le droit de la saisir à leur tour, cas échéant. Une des conséquences pratiques réside dans le fait que les Etats membres n'ont pas le droit de faire usage de rétorsions entre eux dans l'interprétation des traités ou des actes communautaires. La primauté de la CJE nous paraît particulièrement bien motivée dans cette citation tirée du Recueil 1964, p. 1160 (cf. ibidem, pp. 132 et 133): «... il résulte de l'ensemble de ces éléments que, issu d'une source autonome, le droit né du Traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même ; »que le transfert opéré par les Etats, de leur ordre juridique interne au profit de l'ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du Traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains, contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté». On peut aussi se référer à la jurisprudence constante de la CJE en vertu de laquelle un Etat membre ne saurait exciper des spécificités de son ordre interne pour justifier le non-respect des obligations découlant des directives communautaires. Ces dernières, contrairement aux règlements qui par un «effet direct» se substituent aux normes nationales, nécessitent la promulgation d'une norme au plan national. De plus, l'administration nationale est mise au service de l'application des règles communautaires. C'est ainsi que des fonctionnaires tels que les douaniers, les offices de statistiques, les bureaux de surveillance des contingents et des licences, pour citer certains des agents administratifs mentionnés par Jean-Victor Louis (p. 162) sont, en grande partie, des agents communautaires. 167 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Tous les jours les fonctionnaires de la Communauté sont approchés par leurs homologues nationaux, aux fins d'échange d'informations, de conseils en matière d'interprétation des normes, etc., dans le but d'éviter de commettre des infractions aux normes communautaires. Ajoutons, avec le CF (cf. bibliographie N0 13, p. 21), que la CJE est «garante des progrès de l'intégration communautaire». Elle peut notamment, comme elle l'a fait à propos de la politique des transports, condamner le Conseil des ministres pour son inaction. Ainsi la CJE peut jouer un rôle politique dans la mesure où le but final de l'intégration est un but politique. C'est dans le cadre d'un scénario d'adhésion à la CE que le CF évoque les contraintes que comporte l'Etat de droit de la CE pour nos institutions (cf. bibliographie N0 13, ch. 633), à savoir: l'acceptation des objectifs politiques de la CE d'un côté et la crédibilité de notre politique traditionnelle de neutralité d'un autre côté; d'un côté le transfert de souveraineté aux organes supranationaux tels le Conseil, la Commission et la CJE et la souveraineté de notre Assemblée fédérale et du Tribunal fédéral, ainsi que notre structure fédéraliste et la nature directe de notre démocratie d'un autre côté. Ainsi le problème peut à nos yeux se résumer de la façon suivante. La CJE comptant au nombre des institutions supra-étatiques indispensables au processus d'intégration européenne, on peut partir de l'idée que sa juridiction peut être considérée comme un garant indispensable non seulement de la bonne application des normes euro- péennes, mais également de l'atteinte des objectifs finals. La Suisse se trouvant hors sa juridiction, quel substitut peut-elle offrir en tant que garant du respect des normes dont l'application est considérée comme exigence minimale en matière de réciprocité avec elle? Le fait qu'un arrêt de la CJE portant sur un litige entre deux établissements de crédit, l'un communautaire et l'autre suisse, aurait force obligatoire dans les Etats membres et ne le serait pas en Suisse ne constitue-t-il pas matière à exciper de la réciprocité négative au plan institutionnel ? On peut également imaginer qu'une filiale de banque suisse, sise dans l'un des Douze Etats membres, soit une personne morale résidante communautaire, saisisse la CJE en cas de non-délivrance de l'agrément unique; que se passerait-il si l'établissement de crédit se contentait de limiter l'application de l'arrêt à la filiale, sans l'étendre à la société-mère, alors que les établissements de crédit dans l'un quelconque des Etats membres devraient obligatoi- rement et intégralement l'appliquer, par exemple dans le cadre des exigences de surveillance consolidée et de consolidation comptable ? Le fait de l'Etat de droit communautaire et notamment de la compétence juridictionnelle de la CJE constitue donc, à nos yeux au moins en théorie, un potentiel de réciprocité négative. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons que nous rallier à l'avis du CF selon lequel la jurisprudence en Suisse devrait, en acquérant le «réflexe européen», tendre dès mainte- nant à considérer l'harmonisation des principes essentiels comme une priorité. Ce serait là manière à notifier un comportement coopératif, basé sur une stratégie de la réciprocité au niveau de la coordination jurisprudentielle. Encore nous manquerait-il l'aide substantielle que doit constituer la tendance à l'osmose administrative que nous avons évoquée plus haut. 168 LES PLATES-FORMES DE COORDINATION L'ambassadeur Jakob Kellenberger (cf. bibliographie N" 12, 2. VIII) rapporte qu'à compter du 18 septembre 1989 le CF a entamé une étude comparative systématique des normes suisses et européennes concernant le Marché unique. Un rapport intermédiaire était déjà attendu pour fin 1989. Ce pas est à nos yeux le premier pas concret qui entre dans la démarche que nous préconisons de stratégie globale et coordonnée qui définisse l'ensemble des segments de la coopération, dans l'idée d'établir les nécessaires plates-formes de coordination à une stratégie de la coopération basée sur l'obligation de réciprocité. En fait, le risque de réciprocité négative, dû à l'inexistence d'une plate-forme institution- nelle de coordination commune à la Suisse et à la CE en matière juridictionnelle, peut paraître de nature plutôt théorique, ainsi qu'il a été relevé par quelques-uns des spécialistes que nous avons consultés à ce sujet. En effet, la structure de la coopération ne nécessite a priori aucunement l'instauration d'une compétence juridictionnelle parallèle et le droit international ainsi que les procédures d'arbitrage permettent d'en maîtriser l'application. De plus l'obligation de réciprocité n'est nulle part explicitée en ce qui concerne la compétence juridictionnelle. Or, c'est à notre sens bien sous l'angle d'une obligation de réciprocité, au caractère inconditionnel et diffus, à l'expression implicite et au sens le plus large de l'acception du concept, que nous paraît faire appel la CE quand elle réclame, dans la perspective institutionnelle d'un Espace économique européen, la reprise de l'acquis communautaire. En effet, nous référant à nouveau au rapport de Jakob Kellenberger dans ibidem, 2. VIII, page 12, nous constatons que les conditions préliminaires suivantes ont été notamment émises par la Commission : — nécessité d'application de l'effet direct des mesures prises dans le cadre de l'Espace économique européen; — nécessité de réalisation d'une unité de doctrine dans l'élaboration et l'application du droit dans le cadre du même Espace par le truchement d'un organe juridictionnel commun. Quand on ajoute à ces exigences, toujours en référence à ibidem, celle d'intégrer les normes acquises au niveau communautaire, du moins celles d'entre elles qui seront jugées indispensables, on ne peut que conclure, à nos yeux, qu'implicitement la Commission met, comme condition préalable à la dynamique de la coopération entre elle et l'AELE, l'instauration d'une plate-forme commune et globale de coordination législative basée sur une stratégie de la réciprocité diffuse et inconditionnelle. Imaginons le scénario suivant: — une décision est prise dans le cadre de l'Espace économique européen avec la Suisse, notamment, selon la règle du consensus ; — Ie référendum est demandé par le peuple suisse ; — la décision est rejetée lors du vote populaire qui s'ensuit; — la CJE, ou l'organe juridictionnel à créer, déclare le référendum illégal ; — la Suisse est sommée d'appliquer le droit supranational et de suivre l'arrêt du «juge étranger», soit de remettre en cause les fondements mêmes de sa Constitution. 169 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Les conséquences d'un tel scénario nous paraissent suffisamment évidentes pour en stopper là l'exégèse; En conclusion, nous voyons bien que la Suisse a intérêt d'une part à aborder le problème sous l'angle d'une approche bilatérale et, d'autre part, de toute façon, à entamer une procédure d'harmonisation systématique et coordonnée. Cela est vrai, a fortiori, si elle aborde une approche multilatérale par le biais de l'AELE. Au plan multilatéral, la Suisse se verra imposer un cadre minimal. Elle pourrait, en se montrant plus avancée que l'AELE, grâce à son approche bilatérale simultanée, au contraire viser à un cadre maximal pour définir la structure de la relation. Elle pourrait par exemple montrer qu'elle s'aligne sur les Douze en matière d'harmonisation des règles bancaires essentielles, par une adaptation de sa propre législation, et en matière de politique monétaire, par une adhésion au SME. Ne serait-ce que le fait d'afficher un tel comportement coopératif, sans pour autant s'engager tout de suite vers un objectif final déterminé, nous permettrait peut-être de reprendre l'initiative que nous avons perdue. Or, l'ensemble des segments de la coopération, dans lesquels la Suisse peut faire état d'une structure de coopération privilégiée, ou dans lesquels il n'appartient qu'à elle de progresser en direction à la fois des tendances du marché et des évolutions normatives avec ses principaux partenaires économiques que nous venons de passer en revue, constituent autant d'atouts à nos yeux pour la réussite d'une stratégie globale et coordonnée de la coopération basée sur l'obligation de réciprocité. En lieu et place d'un scénario de statu quo, nous répétons que nous nous prononçons, pour notre part, en faveur d'un tel comportement qui tende à nous hisser à pied d'égalité sur l'axe faible-fort en l'occurrence, et cela sans nous engager nécessairement à un objectif déterminé qui reviendrait à définir une formule arrêtée de coopération à ce stade. Le CF (cf. bibliographie N0 13, p. 100) parle d'un «développement harmonieux des jurisprudences (de la CJE et du TF)». Il va sans dire que l'approche devrait englober l'ensemble du processus législatif et, pour citer ibidem, page 133, «nous devons nous efforcer dans toute la mesure du possible à la compatibilité de nos dispositions juridiques avec celles de nos partenaires européens». Une telle assertion nous paraît aller exactement dans le sens de notre réflexion, à savoir qu'un comportement affiché de coopération est nécessaire à l'endroit de la CE et qu'il fonde sa dynamique d'abord sur une coordination des démarches. En l'occurrence, la coordination remplirait le cadre normatif et constituerait un saut qualitatif opportun par rapport à la démarche actuelle qui revient à négocier essentiellement des réductions tarifaires. 170 8. La libération des flux de capitaux 8.1. Généralités La création d'un Espace financier européen constitue le corollaire de la création d'un Marché unique européen. Par définition le Marché unique ne peut comporter de volet financier et bancaire cloisonné en une structure hétérogène. Ainsi la volonté politique d'intégration européenne étend son champ d'application, notamment en matière de transfert de souveraineté, en matière de nécessité d'harmonisation, au domaine financier et bancaire. A l'inverse, la réalisation d'un marché financier intégré constitue l'un des passages obligés sur le chemin d'une intégration politique. Cette philosophie de base prend toute son importance, notamment pour la Suisse, dans la perspective de la création d'un Espace économique européen, depuis que la Commission a posé comme préalables à toutes négociations, même exploratoires, la reprise de l'acquis communautaire et, par voie de conséquence, l'appareil normatif bancaire, et notamment la Deuxième Directive et la Directive portant sur la libération des flux de capitaux. Dans la communication que la Commission a transmise au Conseil en avril 1983 pour la relance de l'intégration financière (COM (83) final), la libération des mouvements de capitaux a été mise au premier rang des priorités. C'est cette dynamique spécifique et les implications qu'elle entraîne, notamment vis-à-vis des pays tiers dans une structure générale de relation coopération-confrontation, que nous allons maintenant passer en revue. 8.2. La volonté politique du législateur européen 8.2.1. Crédibilité et maîtrise du Marché financier unique Notre propos consiste à tenter de dégager, à la lumière des différentes prises de position de la Commission, dans quel esprit le législateur européen a envisagé la perspective d'une extension du principe de la libération des flux de capitaux aux pays tiers. 171 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Pour ce faire, nous nous référons essentiellement au dispositif normatif prévu par la Commission, soit au Rapport sur la Création d'un espace financier européen (cf. bibliogra- phie N0 48), à la Directive portant sur la libération des flux de capitaux (cf. bibliographie N0 52), ainsi qu'à l'ensemble du dossier collationné dans le cadre de l'ouvrage de la CE «Création d'un espace financier européen» (cf. bibliographie N° 65). La Commission définit clairement que le champ d'application du processus porte sur un Espace financier européen délimité par les frontières de la Communauté (cf. bibliographie N° 48, p. 6). En effet, l'ouverture du marché des capitaux s'inscrit dans le programme de la création du Marché unique. La Commission constate que la CE «qui n'occupe pas actuellement, sur le marché financier mondial, la place correspondant à sa puissance économique et commerciale devrait au contraire devenir un centre financier à vocation mondiale» (ibidem, p. 7). Elle se fixe pour politique d'inverser la tendance suivie par la prédominance de la sphère financière, qui répond à une dynamique propre, celle de la spéculation, et qui se développe au détriment de l'économie réelle, pour en faire un «facteur de croissance et de cohésion économique et sociale pour l'Europe» {ibidem, p. 6). En d'autres termes, la Commission exprime clairement sa volonté de soumettre et d'utiliser la dynamique financière à la poursuite de sa politique de développement économi- que qui repose, avant tout, sur la constitution d'un Marché unique circonscrit aux Etats membres. Toute autre considération, et notamment l'ouverture aux tiers, conservera un caractère subsidiaire par rapport à cette politique et ne devrait logiquement être entreprise que, et uniquement, dans la mesure où elle contient un potentiel de synergie avec la politique suivie par la CE. Compte tenu de l'importance relative des volumes concernés d'une part, et de leur volatilité d'autre part, il en est une, parmi les conditions à remplir pour créer un espace financier, qu'il soit européen ou national, qui d'expérience doit être qualifiée d'essentielle: c'est la crédibilité. C'est un fait reconnu qu'il ne suffit pas de se donner une politique monétaire, comportant des objectifs reconnus comme étant largement consensuels tels que le contrôle de l'inflation par le biais des taux d'intérêts, ni de la mettre en pratique, encore faut- il que les marché financiers la considèrent comme étant crédible. Or, pour assurer la crédibilité d'un Espace financier européen, la Communauté doit en «garder l'entière maîtrise» (ibidem, p. 7). Quelles sont, pour le législateur communautaire, les conditions requises pour assurer cette entière maîtrise dans la structure de la coopération avec les pays tiers ? 8.2.2. Compatibilité, harmonisation et équivalence La libération des flux de capitaux va de pair avec la libéralisation complète des services financiers dans l'acte de création d'un Marché financier unique. Il n'est pas de Marché financier unique sans compatibilité des structures normatives en matière de législation financière et bancaire, soit sans harmonisation des règles essentielles et sans reconnaissance mutuelle pour les règles non essentielles. On imagine difficilement que la Communauté ne pose pas le même type d'exigence vis-à-vis des pays tiers qui voudraient participer à cet Espace financier unique. En effet, un Etat membre ne peut accorder à un pays tiers un 172 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX traitement privilégié par rapport au traitement national, puisque ce dernier bénéficierait alors du même traitement privilégié dans les onze autres Etats de façon automatique. 8.2.3. Réciprocité et ouverture «erga omnes» Si l'application du principe de la réciprocité au plan de la libéralisation des services et de la liberté d'établissement est réglementée par le truchement d'une procédure de négociation institutionnalisée, il n'en va pas de même pour l'application du principe de l'ouverture «erga omnes» qui prévaut au plan de la libération des flux de capitaux. Ainsi la structure de coopération diffère selon qu'il s'agit de la libéralisation des services financiers ou de la libération des flux de capitaux. Dans «Création d'un Espace financier européen», page 289 (cf. bibliographie N0 65), il apparaît, de surcroît, que libération des mouvements de capitaux et pleine participation au mécanisme de change du SME sont complémentaires. C'est en effet moyennant la stabilité des taux de change, induite comme un champ magnétique par ce régulateur qu'est le SME, que la libération est possible. Il est reconnu de plus que l'alignement des politiques économiques est rendu plus nécessaire encore par le fait de la libération des flux des capitaux. Pour la Communauté, la réalisation du Marché unique, qui va au-delà de l'instauration d'une zone de libre-échange et de libre circulation des capitaux, exige la stabilité des taux de change dans l'ensemble de VEspace financier européen. Concernant la libéralisation des services financiers, ainsi que la liberté d'établissement, il s'agit clairement d'une structure de coopération basée sur une stratégie volontariste de la réciprocité dont le but consiste à la fois à protéger le marché intérieur et à ouvrir le marché extérieur. Concernant la libération des mouvements de capitaux, la limite de l'accès est définie en quelque sorte par Y inexistence, au moins provisoire, d'une union monétaire et économique dans la CE. L'investissement de capitaux tiers est qualifié de désirable par la CE, et leur présence apparaît comme indispensable, non seulement pour réaliser l'ambition d'une identité propre en tant qu'espace économique cohérent et largement ouvert à l'extérieur, mais encore pour assurer un niveau minimal d'efficacité économi- que, sous la pression inexorable de la globalisation des marchés et de l'internationalisa- tion de l'économie. Ainsi, pour un pays tiers, la limite de la libération des flux de capitaux sera définie par les besoins d'homogénéité des structures, de convergence des politiques monétaire et budgé- taire, et par l'absence de distorsions dues à l'extrême volatilité des anticipations à court terme, bien davantage encore que par la réciprocité pour la libéralisation des services financiers et du droit d'établissement. Cela étant, il tombe sous le sens commun qu'il sera impossible de libérer les flux tiers de la même façon que les flux communautaires, dans la mesure où ces derniers seulement tendent à être maîtrisés par l'application d'une politique qui vise à la convergence des objectifs en matière de taux d'inflation et de stabilité des changes. 173 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Dans une entité comme la Suisse, où le marché unique est non seulement réalisé, mais où les instruments qui permettent la maîtrise des politiques monétaire et budgétaire sont institutionnalisés, l'ouverture «erga omnes» est possible. Dans la mesure où l'instrument de maîtrise et, disons-le, un degré minimal d'homogé- néité feront défaut en son sein, la CE se verra, à l'inverse, contrainte de compenser par l'érection de barrières externes et le renforcement des politiques monétaire et économique internes. C'est à nos yeux la raison principale pour laquelle le législateur, dans la réflexion qu'il fait à propos de la Directive sur les flux financiers internationaux, a limité son ouverture à une «déclaration d'intention» selon laquelle «le degré de libération des flux de capitaux en provenance ou à destination de l'étranger devrait être équivalent à celui prévalant au sein de la Communauté», et renonce à une «obligation de libération erga omnes» (cf. bibliographie N" 65, p. 284). En effet, la Directive, article 7, alinéa 2 (cf. bibliographie N0 52), stipule que les dispositions visant à l'application des principes de l'intention de l'ouverture «ne préjugent pas de l'application, vis-à-vis des pays tiers, des règles nationales ou du Droit communau- taire, et notamment des conditions éventuelles de réciprocité, concernant les opérations d'établissement, de prestation de services financiers et d'admission de titres sur le marché des capitaux». Ainsi le processus de libération des flux de capitaux ne comporte, vis-à-vis des tiers, qu'une déclaration d'intention quant à une ouverture, ce qui constitue une structure de coopération en régression par rapport à une obligation de libération «erga omnes», et encore davantage par rapport à un régime légal de réciprocité, qui peut développer une dynamique à deux sens, soit mutuellement bénéfique. Il est de plus un élément qui contient un potentiel de contrainte supplémentaire, dans la structure de coopération-confrontation en l'occurrence, à savoir la possibilité, au moins théorique, de lier l'octroi de l'ouverture erga omnes à la satisfaction de la réciprocité, soit de lier la libération des flux de capitaux à la libéralisation des services financiers ou à la liberté d'établissement. En conséquence, en poussant le raisonnement à la limite, on pourrait concevoir une situation de confrontation caractérisée aussi bien par une interdiction d'inves- tissement exportateur ou importateur, liée à l'absence de réciprocité en matière d'établisse- ment, que l'interdiction d'établissement, motivée par des restrictions à l'importation de capitaux. Ainsi l'on peut imaginer qu'un établissement de crédit établi dans le territoire de la Communauté, et filiale d'un pays tiers, se voie refuser l'agrément unique pour le motif que les capitaux en provenance de ce pays menacent, de façon grave, la politique monétaire et de change, soit de la Communauté prise dans son ensemble, soit d'un des Etats membres. On peut imaginer de même que l'agrément fasse l'objet d'une mesure de suspension totale ou partielle. A l'inverse, on peut imaginer que l'ouverture vers les pays tiers et particulièrement vers son pays d'origine soit refusée à cette filiale alors même qu'elle continue à jouir de tous ses droits au sein même de la Communauté. Rien n'empêche à nos yeux d'imaginer un autre cas de figure dans lequel le retour de l'investissement vers un pays tiers serait temporairement 174 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX suspendu, au plan des dividendes ou du remboursement, dans le but de négocier une ouverture nouvelle en faveur de la Communauté. Une action concertée des pays membres est parfaitement envisageable par ailleurs dans le but de la seule défense des intérêts d'un seul Etat membre, procédure qui donne infiniment plus de poids à la partie communautaire dans toute structure de coopération-confrontation. 8.2.4. Le rapprochement des législations fiscales «Si les modalités de libération du flux de capitaux, ..., se révèlent assez simples dans leur formulation, elles comportent cependant de très importantes conséquences au plan de la fiscalité de l'épargne dans les Etats membres et tout particulièrement pour la France, comme le démontre le rapport du Conseil national de Crédit dit «Rapport Lebègue» de juin 1988. » (cf. bibliographie N0 65) Les risques de délocalisation de l'épargne sont évidents dès lors que la structure des taux d'intérêt constitue un ensemble hétérogène dans la Communauté. Il ne sera en effet plus établi de différence entre résident et non-résident d'un des douze Etats membres, et chacun pourra ouvrir un compte, au moins dans une monnaie communautaire de son choix. Le rôle de l'ECU demeure en l'occurrence réservé, dans la mesure où il s'agit d'une unité de compte et non pas d'une monnaie, encore qu'il faille s'attendre, selon nous, à un élargissement rapide de son utilisation, tant au niveau privé que commercial. Théoriquement, l'anticipation du taux de change à terme ne suffit pas à générer la propension à investir, puisque le coût du déport (soit de la prime payée pour un engagement contractuel portant sur une livraison future d'une monnaie à un prix convenu) compense mathématiquement le différentiel d'intérêt qui existe entre les deux monnaies concernées. Pratiquement, les flux de capitaux sont déterminés dans une structure libéralisée par l'anticipation des gains à court terme devant être générés, soit par le rendement nominal, soit par le gain de change, soit, cas échéant, par ces deux éléments cumulés. En conséquence, la volatilité, qui accompagne nécessairement la libération des flux de capitaux, sera davantage et vraisemblablement essentiellement fonction de l'anticipation du gain, par opposition à la prévision d'une plus-value, concrétisée par un investissement à moyen ou long terme, qui est la caractéristique d'un investissement productif en termes de plus-value économique. Il est évident, par ailleurs, que l'autorité nationale risque de perdre la maîtrise de l'assiette fiscale de ses résidents, dès lors que ceux-ci investissent en dehors de sa circonscription administrative. C'est la raison pour laquelle la création d'un Espace économique européen implique une démarche législative appropriée en matière fiscale. Les efforts déployés par la Commission, pour aboutir à une harmonisation de l'appareil fiscal et un renforcement de l'appareil de contrôle, sont connus et nous n'y reviendrons pas. L'absence d'une obligation de libération «erga omnes» des flux de capitaux représente une contrainte d'autant plus importante que les garanties de revenu d'un Etat donné sont directement mises en cause. C'est d'ailleurs à propos du dispositif fiscal que le législateur européen renvoie les pays tiers «notamment dans le cadre de l'OCDE et du Conseil de l'Europe» (cf. bibliographie N0 48, p. 8). 175 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Le fait de ce renvoi revient à déléguer le problème vers une instance tierce et plus élargie, ce qui pourrait entraîner, à nos yeux, un alourdissement de la procédure de consultation, puis de négociation, avec des retards importants par rapport aux échéances de la CE. Comme il s'agit de lutter contre la fraude fiscale, on comprend que le débat, pour un pays comme la Suisse qui, encore une fois, n'a pas à ce jour adopté les mêmes définitions en l'occurrence que ses partenaires, peut d'autant plus déboucher sur une structure de confrontation, avec déclen- chement d'un mécanisme de réciprocité négative, dans le seul cadre de la libération des flux de capitaux. Il apparaît donc que la Suisse court un risque de régression, dans la globalisation et l'internationalisation de ses marchés avec la CE, par rapport à la situation actuelle, et non pas seulement un risque de retard par rapport à la dynamique européenne d'intégration. De plus, comme l'exprime Dibout (cf. bibliographie N0 53), le «régime des relations avec les pays tiers n'est pas dépourvu d'ambiguïtés». En effet, la Directive portant sur la libération des flux de capitaux prévoit que les Etats membres «s'efforcent» de libéraliser leurs relations financières avec les pays tiers, ce qui nous paraît être tout sauf contraignant, et ne précise pas s'il s'agit d'une démarche «collective et concertée ou s'il peut s'agir de comportements individuels des Etats» (cf. ibidem). 8.2.5. L'affirmation de l'identité monétaire de la Communauté Le législateur pose le principe de l'indissociabilité du monétaire et du financier, dans l'approche d'un Espace financier européen intégré par la voie de la libéralisation des services financiers et de la libération des flux de capitaux. Il constate que de ce principe découle le caractère à la fois inéluctable et urgent d'un saut qualitatif interne, défini par l'instauration d'une monnaie européenne commune, la création d'une banque centrale commune, l'application d'une stricte convergence de la discipline de change (cf. bibliographie N0 48, p. 9). Motivant sa démarche, le législateur dénonce de façon explicite les risques de désinté- gration que comporte un Espace financier européen en voie d'intégration, qui ne concrétise- rait pas, concomitamment à un processus de libéralisation, une tendance à une union économique et monétaire réelle et crédible. Mentionnons à titre d'exemple les risques suivants évoqués par le législateur: — «les déséquilibres actuels du SME risquent d'être aggravés par la libération complète des capitaux ; — les dispositions ... pour la régulation des flux monétaires internationaux, ainsi que les clauses de sauvegarde spécifiques, sont sans commune mesure avec l'ampleur des difficultés financières et monétaires auxquelles la Communauté pourrait être confrontée; — les risques d'accentuation des divergences économiques, de fractionnement de la Communauté ... que comporte la seule libération des capitaux ; — les risques de dilution dans le marché mondial» (cf. bibliographie N0 48, p. 9). Il nous paraît en conséquence évident que, dans son esprit, le législateur européen conditionne le droit à la libéralisation à l'obligation d'une re-régl ementati on dont le contenu le plus actuel est défini dans le Rapport Delors (cf. bibliographie N0 28). 176 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX Il nous paraît par ailleurs intéressant de noter que les flux financiers internationaux, à savoir ceux qui procèdent de pays tiers, voire des Etats membres vers des pays tiers, font l'objet d'une mention spécifique dans le catalogue des risques de désintégration. Quelles pourraient être les conséquences d'une telle approche pour les pays tiers comme la Suisse ? Le législateur européen, nous le constatons à nouveau, se donne le droit du protection- nisme, dans la mesure où ses intérêts propres priment en matière de libération des flux de capitaux. Et c'est précisément ce risque qu'un pays tiers devrait, à nos yeux, prendre en considération dans l'analyse du comportement obligé dont il doit faire preuve vis-à-vis de la CE, dans l'idée de structurer une relation de coopération basée sur la coordination des mesures à prendre, puisqu'il y a nécessaire concomitance entre la re-réglementation monétaire et financière, et la libération des mouvements de capitaux. Il s'agit de réaliser que l'ouverture éventuelle de l'Espace économique européen se trouve, dans l'esprit du législateur, subordonnée à la concrétisation prioritaire de l'identité monétaire de la Communauté, laquelle passe par la création prospective d'une monnaie commune et d'une banque centrale. En d'autres termes, le scénario d'une dynamique de la coopération avec la CE ne passe pas par une stratégie de la réciprocité en matière de libération des flux de capitaux comme c'est le cas en matière de libéralisation des services financiers et notamment du droit d'établissement. Il n'en reste pas moins cependant qu'il passe par le biais d'une stratégie de la coopération qui porte, non pas nécessairement sur l'expression d'une volonté commune de convergence vers une Union économique et monétaire, mais vers la mise en place de dispositifs de coordination permettant à la déréglementation de s'accomplir dans le respect des objectifs finals de la CE. 8.3. L'appareil législatif 8.3.1. Références Pour le bon ordre, nous proposons de passer brièvement en revue le dispositif avancé par la CE pour réaliser la dernière étape de la libération des mouvements de capitaux. Nous nous référons essentiellement aux commentaires relatés dans «Création d'un espace financier européen» (cf. bibliographie N° 65, pp. 281 et suivantes). 8.3.2. Directive pour la mise en œuvre de Ia libération complète des mouvements de capitaux II s'agit de la Directive du Conseil du 24 juin 1988pour la mise en œuvre de l'article 67 du TR (88/361/CEE) (cf. bibliographie N" 52), qui se substitue à la Directive 72/156/CEE du Conseil du 21 mars 1972, qui entrera en vigueur le 1er juillet 1990 pour huit des Etats membres, au 31 décembre 1992 au plus tard pour les quatre autres Etats (Grèce, Espagne, Irlande, Portugal), la Belgique et le Luxembourg ayant jusqu'à cette dernière date pour supprimer leur système de double marché des changes. 177 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE L'objet de la directive consiste à étendre la libération déjà en cours à l'ensemble des flux de capitaux, soit principalement aux opérations de prêts et crédits de nature financière, aux opérations en comptes courants et de dépôts, ainsi qu''auxplacements en titres à court terme. Les trois étapes qui d'expérience correspondent schématiquement au processus de libération progressive des flux de capitaux auront dès lors été atteintes, à savoir: — les opérations en capital directement liées à l'exercice réel des trois autres libertés fondamentales, comme les crédits commerciaux liés à la libre circulation des marchan- dises, aux investissements directs ou divers mouvements à caractère privé liés à la liberté d'établissement et à la libre circulation des personnes; — les opérations sur titres, qu'elles soient effectuées par les émetteurs ou les investisseurs, et qui conditionnent la création d'un marché financier dont le contenu porte sur le commerce des obligations, des actions et des autres titres d'investissement; — les opérations de crédit financier qui, avec le marché monétaire et notamment les NIF, conditionnent la création d'un marché unifié. Le principe général repose donc sur l'instauration d'un régime de libération incondition- nelle de l'ensemble des opérations en capital qui sont générées par le fait de la libre circulation des biens, des services et des personnes. Dans son annexe 1, la directive donne une nomenclature des mouvements de capitaux qui constituent le champ d'application de la directive. Le principe d'une nomenclature ne saurait donner lieu à une interprétation limitative de la volonté de libération puisqu'elle est qualifiée de non exhaustive par la mention (rubrique XIII F) «Autres opérations de capitaux: Divers». Ainsi d'après l'annexe I, la nomenclature comprend «l'accès à toutes les techniques financières ... par exemple toutes les techniques de négociation disponibles : opérations à terme, opération à option ou à warrants, opérations d'échange contre d'autres actifs, etc..» Relevons, dans le cadre de cette présentation générale, quelques plates-formes de coordination qui nous paraissent présenter un potentiel d'incompatibilité dans l'application indirecte de l'obligation de réciprocité au travers de la directive sous revue. La directive s'appliquant expressis verbis aux investissements directs, l'actionnaire d'un pays tiers aura à compter avec deux contraintes nouvelles, à savoir les clauses de sauvegarde et l'intention d'ouverture. Les premières, d'application limitée et quant à leur durée (6 mois) et quant à leur objet (perturbation grave de la situation monétaire ou financière interne de chaque Etat membre), relèveront de la compétence de chaque Etat membre. Les secondes, de portée générale et non limitative dans le temps, et relevant également de la coopération individuelle des Etats membres, leur permettront de conditionner la libéralisa- tion à la réciprocité dans des domaines aussi sensibles pour la Suisse que l'accès au capital des sociétés, l'accès à la bourse et, à nouveau, l'entraide administrative notamment en matière fiscale. Il en ira de même pour les investissements immobiliers puisqu'ils sont également mentionnés expressis verbis et que le principe de leur libération se heurtera à la politique de contingentement des sols et des immeubles en Suisse (Lex Friedrich). 178 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX En conclusion, il nous paraît que la réciprocité négative existe potentiellement sous forme induite dans le dispositif communautaire portant sur la libération des flux de capitaux. Ce potentiel nous paraît tout particulièrement important dans un scénario de crise monétaire, sans parler de celui de crise économique. L'objection n'a bien sûr qu'une portée formelle dans la mesure où le marché monétaire est intégré. Dans un cas de crise majeure, il pourrait y avoir instauration d'un contrôle des capitaux à l'égard de pays tiers par le biais des clauses de sauvegarde. Quoi qu'il en soit, crise majeure ou non, le principe d'une ouverture intentionnelle et non obligatoire, son cumul possible avec la contrainte de la réciprocité, peuvent être à nos yeux qualifiés d'éléments régressifs dans la structure de la coopération et impliquent, en tous les cas, une remise en cause de l'acquis, soit un réexamen attentif du type de relation existant entre chaque pays tiers et chaque pays membre pris individuellement. 8.4. L'équilibre instable du Marché financier unique 8.4.1. Généralités La réalisation du Marché unique peut être décrite comme un processus auto-accélérateur qui condamne ses protagonistes à l'alimenter par des transferts de souveraineté à son profit toujours plus lourds de substance politique, sous peine qu'il s'enraye et se désintègre. Le Marché unique, et notamment le marché financier, se trouve en position d'équilibre instable, au carrefour de l'alternative accélération - désintégration. Cette dynamique reflète une évolution de nature quantitative sur un fond de sauts qualitatifs, dans le cadre d'une stratégie globale qui paraît maîtrisée à ce jour et qui, selon le consensus général, est devenue crédible et irréversible. Il s'agit, d'une part, d'un acte politique volontariste et non pas d'un processus historique tirant sa loi de l'ordre naturel. Il consiste, d'autre part, par l'action de la stratégie, à transcender le progrès économique en intégration politique, l'un ne pouvant se faire sans l'autre et vice versa. En d'autres termes, la dynamique d'intégration européenne nous paraît inéluctablement transformer l'acquis économique en intégration politique. Telle paraît, à nos yeux, la position de notre partenaire dans l'approche d'une négociation dont le but consiste à instituer une structure de comportement de coopération, basé sur une stratégie de la réciprocité. Un partenaire qui parle économique, mais qui entend politique, et dont la structure relationnelle avec les tiers est en cours de mutation accélérée de façon permanente, et dont la dynamique propre demeure assez fragile pour justifier une tendance protectionniste à la mesure de cette fragilité. C'est ainsi que l'objectif du 31 décembre 1992 n'est qu'une péripétie dans le déroulement d'un processus encore long, mais dont l'irréversibilité a été proclamée par voie de consensus politique en décembre 1988 par le Conseil européen à sa réunion de Rhodes. Ainsi, pour nous, 1992 n'est qu'une étape dans le cours d'un processus à long terme, depuis longtemps engagé, et qui nécessite de la part des partenaires de la Communauté une prise de position politique à longue échéance s'ils veulent se mettre ou se maintenir en phase de coordination avec cette dynamique. 179 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Le caractère instable du Marché financier unique se reflète dans la volonté de passer d'un accord de coopération monétaire, le SME, à un organe institutionnel, l'Union économique et monétaire. 8.4.2. Les sauts qualitatifs de l'intégration financière 8.4.2.1. Définition et champ d'observation Par définition, nous admettons qu'un saut à caractère qualitatif est une étape de la dynamique d'intégration européenne susceptible d'entraîner, à la limite, une structure de relation de confrontation avec des Etats très fortement imbriqués dans le tissu socio- économique européen, dans la mesure où ces derniers ne se mettent pas simultanément en phase de coordination, par une mutation concomitante de leurs propres structures. 8.4.2.2. L'expression d'une volonté commune d'Union économique et monétaire Le premier saut qualitatif consiste dans l'expression d'une volonté politique commune aux Etats membres de créer par étapes une Union économique et monétaire dans le cadre de la Communauté. Cette initiative, prise par les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à La Haye en 1969, a été proclamée par ces mêmes instances en mars 1971, à la suite du Rapport Werner. Il s'agit d'une décision charnière, puisqu'elle sanctionne la fin d'une période qualifiée de transitoire, aboutissant à d'importantes réalisations telles que la mise en vigueur d'une union douanière, le déploiement d'une politique agricole commune et la création d'un système de ressources propres, avec à l'horizon le déclin du système de Bretton Woods. La CE annonçait sa volonté d'effectuer un saut, de l'union douanière à l'union économique et monétaire, dont le différentiel porterait nécessairement sur un transfert de souveraineté substantiel des Etats membres vers les instances supra-étatiques. Le contenu de la négociation interne ne porterait plus seulement sur des paramètres quantitatifs, mais également sur les structures et les orientations politiques. A titre d'observation personnelle, et sans formuler de jugement de valeur, nous voulons en outre relever que le mécanisme décisionnel commençait à se vider de sa substance démocratique au profit de son efficacité, puisqu'un groupe d'experts entamait un processus qui revenait à les doter d'un pouvoir de décision de nature politique, dans le but d'imprimer à la dynamique son caractère irréversi- ble. C'est ainsi que l'on parle du «vide démocratique» de la CE. Dès lors, il nous paraît évident que, dans l'optique d'une échéance qualitative, les partenaires les plus directement concernés, soit les pays de l'AELE, se devaient, pour rester en phase de coordination et assurer ainsi une structure de relation basée sur la coopération, de procéder à une mutation de type qualitatif, et cela dans une optique à long terme, car l'échéance nouvelle ne pouvait, pour se concrétiser, que se décomposer en un sous-ensemble d'échéances multiples réparties dans le temps. Parmi les mesures prises par la CE mentionnons la mise en place du « Serpent monétaire européen» en 1972, la création du Fonds européen de coopération monétaire (FECOM) en 1973, l'adoption d'une politique commune visant à un «degré de convergence élevé» dans la CE, et la Directive concernant la stabilité, la croissance et le plein emploi. 180 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX 8.4.2.3. La création d'une zone de stabilité monétaire (le SME) Le second saut à caractère qualitatif consiste dans la création du Système monétaire européen (le SME) et de l'unité monétaire européenne (l'ECU), en 1979. La dimension politique de la décision lui est conférée par le type des organes qui l'ont prise, à savoir le Conseil des Ministres, sur la base d'une résolution du Conseil européen, et suite à un accord entre les banques centrales participantes. Si nous nous référons au Rapport Delors, chapitre I, section 2 (cf. bibliographie N" 28), les acquis à mettre au compte du SME ainsi que son «potentiel» restant à atteindre peuvent être résumés comme suit : Les acquis : • réalisation d'une meilleure coordination des politiques monétaires, et suivi à un niveau multilatéral de leurs efforts, en utilisant le SME comme pivot pour l'application des politiques et comme référence pour la surveillance ; il s'agit d'un instrument de travail qui a permis l'application d'une politique de monnaie forte, ancrée sur le Deutsche Mark; • création progressive d'une zone de stabilité monétaire résistant avec succès aux attaques consécutives à la volatilité du dollar américain ; • libéralisation progressive des flux de capitaux internes à la CE ; • orientation convergente de l'ensemble des politiques, notamment monétaires, vers l'objectif de la stabilité des prix, entraînant une réduction de la croissance des prix et une amélioration de la performance économique de l'ensemble; • instauration d'une coopération accrue entre banques centrales. Le potentiel à réaliser: • adhésion de l'ensemble des Etats membres; • convergence des politiques budgétaires marquées encore par la persistance des déficits budgétaires et ses effets de tension sur la politique monétaire ; • réalisation du Fonds monétaire européen ; • rôle joué par l'ECU dans les mécanismes de gestion du SME et prédominance persistante du mécanisme d'interventions intramarginales ; • prédominance du rôle de l'ECU limitée aux opérations interbancaires, intérêt encore modeste de son utilisation en tant que monnaie de réserve de liquidités, alimentation des règlements des transactions commerciales en ECU ne dépassant pas 1 % du commerce extérieur de la CE, percée de cette unité de compte sur le marché obligataire, le portant au cinquième rang par ordre d'importance, mais ne dépassant pas 6% du marché. Selon Jacques Delors, c'est néanmoins grâce au «succès qu'a connu le SME dans la poursuite de ses objectifs de stabilité monétaire interne et externe» que la nouvelle échéance qualitative que constitue «l'adoption en 1985 du programme d'achèvement du Marché intérieur et la signature de l'Acte unique européen» a pu être réalisée (cf. bibliographie N0 28, chap. I, section 1, ch. 3 in fine). 181 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE 8.4.2.4. L'adoption d'une nouvelle stratégie, marque du caractère irréversible du processus d'intégration Il n'est pas dans notre propos de revenir sur le processus engagé par le Livre blanc (cf. bibliographie N0 29) et l'Acte unique (cf. bibliographie N05 21 et 66) dès 1985, mais de souligner que le caractère d'irréversibilité conféré au processus (Conseil européen de Rhodes, décembre 1988) n'est pas seulement à nos yeux un acte de foi politique mais également une observation objective reposant sur le fait que la moitié du programme législatif nécessaire à la mise en place du Marché unique était à cette date pratiquement déjà réalisée. La création d'un Marché unique et notamment du Marché économique européen ou, plus précisément dans la perspective de l'objectif du 31 décembre 1992, d'un Marché financier unique ne constitue qu'une étape intermédiaire. Elle revient, nous l'avons vu, à éliminer les barrières physiques, fiscales et techniques en limitant l'harmonisation des normes à l'essentiel et en instaurant le principe du contrôle par le pays d'origine. Le résultat consistera en un Marché unique dans lequel producteurs et consommateurs auront le droit d'évoluer comme s'il s'agissait d'une seule et même place de rencontre économique. Néanmoins, les disparités subsistantes créeront des entraves prati- ques à la concrétisation de ce droit, et les disparités risquent de s'aggraver par le jeu de la concurrence libéralisée. L'intégration économique, à l'échéance de 1992, «entraînera également de profonds changements structurels dans les économies des pays membres. Les mutations offriront des possibilités considérables de progrès économique», en même temps que l'intégration «réduira l'autonomie de manœuvre et amplifiera les effets transfrontaliers de développement émanant de chaque pays membre» (Rapport Delors, chapitre I, section 4, ch. 10, cf. biblio- graphie N0 28). Il nous paraît évident qu'il s'agit bien là également d'un saut à caractère qualitatif puisqu'il implique, de par la nature structurelle de la mutation, une remise en question de la structure de relation des pays tiers économiquement fortement imbriqués dans la CE. C'est la raison pour laquelle l'AELE tente de concevoir avec la Commission un concept d'Espace économique européen. Comme nous l'avons déjà souvent relevé, il s'agit pour ces pays tiers, s'ils désirent se mettre en phase avec cette étape spécifique de l'intégration européenne, en trouvant une plate-forme de coordination sur laquelle se baserait une stratégie de la réciprocité, d'admet- tre, et d'afficher qu'ils admettent, la remise en question de leurs structures fondamentales, soit en conséquence que chacun des Six affiche sa volonté de réexaminer ses propres structures fondamentales sans pour autant s'engager déjà dans une contrainte quelconque, que ce soit sous forme d'adhésion, d'association ou d'accord multilatéral, et cela dans l'optique d'une coordination à long terme. Pourquoi ne pas envisager, par simple mesure de prudence, la politique du pire, qui consisterait à prendre acte que la CE, mettant les disparités qui la caractérisent au comble de la tension, au bord de la rupture jusqu'en 1992 et certainement au-delà se trouvera condamnée à utiliser l'arme du protectionnisme pour assurer «en couveuse» l'achèvement du processus d'intégration? C'est d'ailleurs bien là la politique appliquée actuellement, 182 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX puisque la priorité de l'achèvement du Marché unique, soit le 31 décembre 1992, exclut officiellement toute négociation avec des pays tiers jusqu'à cette date. La stratégie de la réciprocité négative, telle qu'elle a été potentiellement mise en place, n'a plus qu'à être appliquée, au cas pas cas et de façon progressive, pour justifier un tel protectionnisme. Partant d'une telle hypothèse de travail, que le sens commun qualifiera comme étant la plus prudente, et qui est peut-être la plus courante dans l'opinion publique, il apparaît vital qu'un pays tiers comme la Suisse prenne des dispositions en conséquence, et dans le sens d'une remise en question courageuse et complète, sans qu'il soit pour autant nécessaire de prendre aucun engagement définitif à ce stade. 8.4.2.5. L'Union économique et monétaire A supposer que l'échéance de 1992 soit tenue en substance, même si un certain nombre de programmes n'auront peut-être pas été menés à terme, les pays tiers vont se trouver et se trouvent probablement déjà devant une nouvelle échéance à caractère qualitatif, soit celle de l'Union économique et monétaire. Nous référant encore au Rapport Delors (cf. bibliographie N0 28), nous constatons que cette Union «va bien au-delà du programme du Marché unique». Cette étape passerait par le transfert du pouvoir de décision à la Communauté « surtout dans les domaines de la politique monétaire et de la gestion économique» et nécessiterait, de par le saut qualitatif qu'elle représente, la signature d'un nouveau traité. Si les deux premières conditions posées par le Plan Werner pour la réalisation d'une telle étape, à savoir la convertibilité totale et irréversible des monnaies entre elles et la libération complète des flux de capitaux avec l'intégration complète des marchés bancaires et financiers, sont, ou sont sur le point d'être réalisées, il reste à satisfaire à la troisième et dernière, soit l'élimination des marges de fluctuation et la fixation irrévocable des parités. Selon le rapport Delors, il resterait de surcroît à réaliser une politique monétaire commune, et d'en attribuer la responsabilité à une nouvelle institution unique, avec l'appui d'une monnaie unique, d'adopter une politique de la concurrence à l'échelle communautaire assurant le bon fonctionnement de l'économie de marché, et d'assurer la coordination macro- économique, soit la coordination des politiques économiques, visant la stabilité des prix et la croissance économique. Il y aurait par ailleurs nécessité d'instituer des règles contraignantes, notamment dans le domaine budgétaire. Pratiquement, un organe supracommunautaire aurait compétence pour décider des politiques d'émission, de comportement vis-à-vis des monnaies tierces, en utilisant l'ECU et les monnaies communautaires en parallèle, jusqu'à rapprochement suffisamment marqué des autres politiques pour que l'Union soit réalisable. Il est évident que cette échéance de l'Union économique et monétaire comporte un caractère de saut qualitatif. 8.4.2.6. La désatellisation des pays de l'Est et son impact sur la relation CE-AELE Nous pensons opportun de relever, à ce stade, la prise de position de Jacques Delors à propos du processus nouveau et rapide de libéralisation dans l'Est européen, à savoir que 183 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE cette dynamique contient un potentiel de désintégration pour la CE dans son ensemble et que le seul moyen à disposition de la Communauté pour l'éviter consiste à accélérer le processus d'intégration. Le président de la Commission a fait état («AGEFI», 14 novembre 1989) de trois obstacles à l'intégration : l'échec de la politique gorbatchévienne, les risques de balkanisation de l'Europe à plus long terme et l'incapacité de la CE à « accélérer le pas » afin de relever les défis. Le risque immédiat consiste dans le possible changement des priorités pour la RFA, dans la perspective d'une réunification allemande. A nos yeux, cela ne fait que renforcer la nécessité d'un comportement coopératif de la Suisse et de l'AELE, car les risques de repli de la CE sur elle-même s'en trouvent renforcés. Il s'agit en effet, à notre sens, de devancer la provocation à la dépendance capitaliste que constitue l'actuel mouvement de désatellisation des pays de l'Est, soit que l'Europe soit amenée pour des raisons politiques, culturelles ou éthiques à payer une facture très lourde pour ses ressources, soit que la RFA soit amenée au choix douloureux d'une réunification avec la RDA, arbitrée par une sortie de la CE. Loin de vouloir prétendre à une vision divinatoire de l'Europe élargie à l'Oural, nous tenons à souligner que nous nous trouvons vraisemblablement confrontés à une nouvelle échéance qualitative qu'une simple adaptation de rythme ne suffira pas à remplir. Il reste bien entendu le scénario de l'adhésion de l'un ou l'autre de ces pays à l'AELE, laquelle pourrait être sollicitée dans ce sens par la CE en échange d'un module d'intégration au Marché unique défini par exemple par un Espace économique européen. Sans vouloir approfondir un tel sujet qui déborde le cadre de notre étude, nous pensons donner un reflet fidèle de notre thème général en évoquant à ce propos l'idée d'un atout supplémentaire que l'AELE pourrait saisir par le biais d'une initiative limitée à un examen de faisabilité. Ce serait à nos yeux montrer un comportement de coopération dans une structure de relation basée sur la réciprocité. Quoi qu'il en soit, le processus de désatellisation des pays de l'Est ne peut que renforcer et rendre plus urgente, pour un pays tiers comme la Suisse, la nécessité de trouver une plate- forme de coordination avec la CE. Il faut notamment anticiper l'éventuelle adhésion de la monnaie est-allemande au SME et l'évolution monétaire récente démontre que le franc suisse souffre davantage que les monnaies communautaires de l'appréciation du DM consécutive notamment au potentiel économique apporté par la RDA. Le poids du DM ainsi se renforce notablement et plus sensiblement par rapport au franc suisse, diminuant d'autant l'efficacité du lien qui existe de facto entre les deux monnaies par le truchement du contrôle de leur cours de change. 8.5. Le centre de gravité du marché financier suisse Il est bien connu que l'un des facteurs déterminants de la prospérité de la Suisse consiste dans Fattractivité de sa place financière. On admet généralement que le caractère déterminant de ce facteur tient dans le fait que le surplus des liquidités disponibles a permis d'allier une politique d'argent bon marché à une politique de change stable. 184 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX Or, les avantages comparatifs de notre place financière se trouvent, dans une certaine mesure, remis en question, précisément et notamment de par la dynamique de la coopération suivie par la CE. La Commission se concentre sur les effets positifs que la libération entraînera sur les investissements des pays tiers dans la Communauté. Partant de l'hypothèse que la libération renforcera la crédibilité de la politique économique, elle rendra plus attrayante les monnaies concernées. Dans un contexte général de globalisation, de déréglementation et de titrisation, le degré de substituabilité va augmenter en faveur des monnaies européennes, et le processus de diversification des portefeuilles va s'étendre aux valeurs européennes. Dans la ligne des citations des avis de la Commission, nous ne voulons pas manquer de mentionner la suivante qui résume, à nos yeux, la position dans laquelle seront placés les pays tiers par la libération: «La déréglementation financière entraînera une affectation plus efficace des capitaux dans les pays européens. Il est probable qu'après la suppression du contrôle des changes une partie des fonds prêtables investis à l'étranger, notamment aux Etats-Unis et en Suisse, restera dans les pays de la Communauté. » (cf. bibliographie N0 65, p. 92). On constate, par ailleurs, un phénomène de dégradation dans la congruence en matière d'allocation des ressources financières en Suisse. Le recul constant du franc suisse, selon l'indice pondéré par les devises des quinze principaux partenaires de la Suisse, est relevé notamment par l'«AGEFI» du 6 novembre 1989 qui précise que cet indice a perdu en termes réels 6,3% de sa valeur à cette date par rapport à janvier 1988. Citant Robert A. Jecker, président de la Direction générale du Crédit Suisse, l'«Hebdo» du 21 septembre 1989 rapporte que de 1975 à 1988 la place financière suisse a perdu la moitié de sa part mondiale d'avoirs étrangers qui a passé de 6% à moins de 3 %, et la moitié de sa part d'engagements à l'étranger, qui a passé de 4% à moins de 2%. Selon le «Mois économique et financier» de la Société de Banque Suisse de novembre 1989, les fonds d'épargne et de dépôt détenus par les 359 banques suisses s'élevaient à 182 milliards de francs à fin 1988, couvrant ainsi 67% des hypothèques consenties contre 70% en 1987. Or, une des particularités du marché des hypothèques en Suisse consiste dans le fait qu'elles sont financées par les fonds d'épargne et de dépôt, lesquels sont caractérisés par la stabilité que leur confère leur large répartition sur l'ensemble de la population. Cette stabilité est d'autant plus nécessaire que, dans leur grande majorité, les premiers rangs hypothécaires ne font pas l'objet d'un remboursement, plus particulièrement en Suisse orientale. Enfin, la Suisse compte au nombre des emprunteurs les plus endettés, si ce n'est le plus endetté au monde en matière hypothécaire (selon ibidem: Fr. 50 400.— par habitant au 31.12.1988 contre Fr. 45 500. — une année plus tôt). La dégradation continue que connaît cette structure de financement s'explique en partie par le fait que l'épargne se détourne vers des formes de rémunération plus attractives, telles que les dépôts à terme. Il est à ce propos intéressant de relever l'évolution que les taux ont suivie entre 1979 et 1989 (ibidem): hypothèques: 4,5-6% fonds d'épargne: 2,25 - 4% euro-taux à 6 mois: 0,25 - 10,8% 185 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE En conclusion, la congruence de l'épargne et de l'investissement immobilier en Suisse présente pour le moins des symptômes de dégradation qui nous permettent de diagnostiquer, pour notre part, la rupture latente d'une structure vitale de réallocation des ressources dont l'une des causes consiste dans le regain d'attractivité d'autres formes d'investissement. Il serait à nos yeux imprudent d'écarter l'hypothèse d'une rupture de la structure de réallocation des capitaux en Suisse dans un environnement communautaire défini par la convergence progressive de la stabilité des taux de change et des taux d'intérêt, la maîtrise de l'inflation, le développement boursier, alors que la Suisse ne partage avec la CE nul dispositif de sauvegarde, ni de cadre institutionnel pour la nécessaire et concomitante re- réglementation. En ce qui nous concerne, nous sommes d'avis que, dans le contexte ci- dessus décrit, la Suisse devra trouver de nouvelles voies pour que sa place financière reconstitue le capital d'attrait qui la caractérisait jusqu'à la fin des années septante. Les études faites sur les conséquences de la libération des flux de capitaux, dans le cadre de petits pays avancés à économie ouverte, nous paraissent mériter d'être relevées ici de par les analogies qu'ils présentent avec la Suisse. Les experts consultés par la Commission ont observé l'existence d'implications spécifi- ques aux petits pays avancés du SME (cf. A. Steinherr et G. de Schrevel: «Libération des opérations financières dans la Communauté: le cas de la Belgique, du Danemark et des Pays- Bas» in bibliographie N0 65, pp. 67 et suivantes). Tout d'abord ces pays sont très tributaires, et davantage que les grands, du commerce extérieur et, par voie de conséquence, de prix stables et prévisibles. S'ils laissent leurs prix intérieurs augmenter plus vite que ceux de la Communauté, leurs produits seront rapidement remplacés par des produits étrangers, tant chez eux qu'à l'extérieur. Un déficit courant se crée et l'anticipation d'un réalignement monétaire se profile. C'est pourquoi, selon les experts, «toute politique financière ou monétaire qui affecte les prix est vouée à l'échec dans un petit pays qui vise à maintenir les taux de change du SME». Deuxièmement, pris individuellement, ces petits pays n'ont pas beaucoup d'influence sur la détermination globale des objectifs monétaires. Ce genre de décision doit être prise dans le cadre du SME, et soit l'ensemble s'aligne sur un pays phare, soit les membres prennent conjointement une décision. Ainsi la problématique de la coordination concerne moins les petits pays que les grands. Le SME représente l'opportunité de conduire une politique monétaire globale, dont le taux d'efficacité est supérieur à celui qui résulterait de l'addition des différentes politiques monétaires des pays concernés. Troisièmement, de par le caractère forcément très ouvert de leur économie, les petits pays sont beaucoup plus vulnérables aux chocs extérieurs. Le coût d'amortissement de ces chocs est élevé. Son financement au niveau du solde courant est assuré non seulement par des capitaux privés, mais aussi par des capitaux publics sous forme de réserves de change ou d'emprunts internationaux contractés pour protéger ces dernières. L'expérience montre que les «autorités ont beaucoup de difficultés à surveiller le financement du solde courant au bon moment et par des actions adéquates» (cf. bibliographie N0 65, p. 187). C'est pourquoi, selon les experts, tous les petits pays avancés ont déjà libéré leurs flux de capitaux avec 186 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX l'étranger. Le fait d'aligner leur politique monétaire sur celle de l'Allemagne, soit de pratiquer résolument une politique de monnaie forte, explique également la nécessité de libérer les flux de capitaux. L'exemple de ces trois pays nous a paru présenter des analogies intéressantes avec le cas de la Suisse. Les similarités structurelles peuvent être considérées comme fortes. Ils sont très fortement tributaires de leur commerce extérieur et comptent l'Allemagne au rang de principal partenaire commercial. Bien que cette dépendance à l'égard de l'Allemagne ait été gérée de façon différente, on peut, avec les experts précités, tirer un certain nombre de comparaisons et de considérations, valables pour l'ensemble de ces trois pays, et nous proposons, ci-après, d'étendre à la Suisse leur champ d'application. Une parfaite mobilité des flux de capitaux rompt la structure de corrélation entre épargne et investissement intérieurs, les rendant totalement indépendants l'un de l'autre. L'investissement porte à l'endroit de la meilleure rémunération, et les ressources intérieures ne conditionnent pas l'investissement intérieur. Le différentiel entre euro-taux et taux intérieurs tend à se réduire et à disparaître. Nous ajoutons, pour notre part, que ceux-là tendent à devenir les taux indicateurs pour l'orientation de ceux-ci, et non plus l'inverse. Avec l'ouverture des marchés extérieurs, le potentiel de marché s'accroît. Les banques belges et danoises ont considérablement développé leurs activités étrangères, par exemple. Le renforcement de la concurrence, assuré par l'apport des banques étrangères, a pour effet de réduire le différentiel entre taux d'intérêt créancier et débiteur. Les contraintes inhérentes à la maîtrise des politiques internes spécifiques à de petits pays ont été renforcées par la libération, mais sans entraîner pour autant de changement spectaculaire. Une de ces contraintes porte sur la nécessaire tendance à l'alignement des politiques budgétaire et monétaire sur celles de l'Allemagne, qu'implique l'alignement des politiques monétaires sur le DM. Il s'agit là d'un effet stabilisateur. Si la politique monétaire tend à perdre de son efficacité, la politique budgétaire tend à en gagner en tant qu'instrument de la gestion de la demande. Des économies d'échelle appréciables sont réalisées, renforçant la compétitivité des banques indigènes. Le principal gain de bien-être général est considéré comme étant la réduction du différentiel entre taux d'intérêt débiteur et créancier, tendance qui profite immédiatement aux épargnants comme aux investisseurs et qui devrait favoriser la croissance des revenus. La rente de monopole des banques se trouve diminuée. Ajoutons à cet ensemble d'observations les deux remarques suivantes. L'épargne nationale traditionnelle tend à disparaître en tant qu'instrument indigène de financement et de réallocation des ressources. Elle tend à perdre, et nous devons certes le regretter, son caractère de facteur déterminant pour le niveau du taux d'intérêt national, et cela quel que soit le niveau de l'investissement. En bref, l'épargne nationale devient à la limite une épargne mondiale, si elle n'est pas contrôlée par des moyens sociologiques comme au Japon. 187 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Le succès de la libération dépend en grande mesure de l'harmonisation réglementaire. Au plan fiscal, le caractère hétérogène de l'ensemble constitue un handicap non seulement des marchés indigènes par rapport aux euromarchés, mais également des marchés indigènes entre eux. De plus, la Commission, qui partage en cela l'opinion générale des experts, définit sa ligne de conduite dans le sens d'un transfert nécessaire de souveraineté dans le cadre de la libération des flux de capitaux et nous citerons, en guise d'illustration, l'ouvrage «Création d'un espace financier européen», à la page 62 (cf. bibliographie N0 65): «La stabilité des taux de change, rendue plus nécessaire et plus difficile par la libération complète des mouvements de capitaux, implique de veiller beaucoup plus attentivement aux compatibilités entre la politique monétaire et la politique budgétaire, que ce soit au niveau de chaque Etat membre dans le dosage des moyens d'action de leur politique économique ou au niveau d'une coordination communautaire. » Nous nous rallions par ailleurs à l'opinion reprise de De Boissieu dans ibidem, p. 93, selon laquelle les flux de capitaux « seront de moins en moins déterminés par les écarts de rendement après impôt corrigés des anticipations de variations de taux de changes», et qu'ils «seront de plus en plus sensibles aux services offerts». Une réserve cependant: si une telle affirmation nous paraît devoir se vérifier dans un ensemble de convergences des agrégats économiques, elle ne nous paraît guère applicable dans l'hypothèse d'une divergence substantielle. En effet, le fait de considérer le différentiel de taux d'intérêt comme une estimation biaisée des services rendus se justifie dans la mesure où le différentiel d'intérêt ne s'explique pas essentiellement par l'imputation de la prime de risque, encore que dans ce dernier cas, nous l'avons vu, la volatilité à court terme non seulement demeure mais se trouve encore renforcée. Il nous paraît capital de constater que, dans l'hypothèse d'une libération, la qualité du service prend une importance d'autant plus grande qu'elle tend à devenir le principal élément de disparité dans un monde convergent, et que c'est bien également vers un objectif de qualité que tend le processus d'intégration financière, renforçant ainsi l'importance de cet élément de disparité qui tend à la limite à devenir unique. Ainsi, dans le cadre d'une libération des flux de capitaux, la qualité du service et des produits prend une part prépondérante dans le choix d'allocation des ressources, sous réserve d'une convergence des agrégats monétaires. Or, si la Suisse a libéré depuis longtemps ses flux de capitaux avec l'étranger, la Communauté est sur le point de le faire en son sein ainsi que d'y tendre vers l'extérieur. Donc le phénomène de la libération présente pour la Suisse un double caractère nouveau, à la fois qualitatif et quantitatif. C'est pourquoi elle doit, selon nous, ne pas se contenter de placer le combat sur le plan de la qualité des services et produits bancaires, comme c'est actuellement le fait notamment des grandes banques, mais elle se doit également d'instaurer les instruments propres à assurer la convergence de ses agrégats monétaires avec ceux de la CE. En conclusion, nous avons voulu illustrer notre réflexion par l'exemple de trois petits pays à économie largement ouverte, marqués par une dépendance au moins monétaire vis-à- vis de l'Allemagne, pour souligner le fait qu'une adhésion au SME, tout spécialement dans le 188 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX cas de petits pays tels que ceux passés en revue, peut ne pas être interprétée comme un acte de perte d'autonomie ou de souveraineté, mais bien au contraire, comme la décision d'entériner une dépendance structurelle existant de facto, et de retrouver, soit au niveau des politiques budgétaires, soit au niveau de l'ensemble économique, une autonomie certaine si ce n'est une certaine souveraineté. L'examen des analogies avec la Suisse débordant du présent exercice, nous proposons de nous contenter de soumettre l'alternative suivante à une réflexion plus approfondie. Ou bien l'analogie entre le Suisse et les trois cas ci-dessus décrits présente suffisamment de consistance dans le cadre d'une économie ouverte de petit pays, et ce qui est valable pour les uns devrait l'être pour les autres, mutatis mutandis. Ou bien l'analogie ne présente pas suffisamment de consistance, notamment en raison de la puissance relative de la banque et de la finance suisses, et ce pays a tout intérêt à jouer cette puissance comme un atout dans le cadre d'une ouverture institutionnelle, par exemple au niveau du SME. Il s'agirait en fait d'entériner une situation existant de facto, soit la dépen- dance monétaire du franc à l'égard du DM, et la nécessaire tendance à la convergence de la politique budgétaire suisse vers l'allemande. Entériner cet état de fait serait utilisé comme un atout dans le cadre d'une négociation bilatérale dont le but consisterait à dynamiser la structure de la coopération avec la CE en se basant sur une stratégie de la réciprocité déclenchée par la coordination au niveau monétaire. Il nous semble que se profile, en l'occurrence, un segment de coopération dans lequel la Suisse dispose d'un atout majeur. 8.6. De l'isolationnisme à Ia coopération en termes de politique monétaire Dans la perspective d'une dynamique de la coopération basée sur une stratégie de la réciprocité en matière de politique monétaire, il s'agit de déterminer à qui appartient l'initiative pour adapter son comportement en conséquence. Selon l'école Milton Friedmann, le régime des taux de change flottants conduit à l'absolue souveraineté en matière monétaire. Le modèle Mundell-Fleming démontre que les flux de capitaux constituent le correctif des déséquilibres des termes des balances courantes. La pratique nous fait constater le contraire. Le caractère à la fois mobile et instantané- ment volatil des flux de capitaux dans un marché libéralisé, l'importance relative des investissements directs, la part grandissante des opérations à caractère purement financier représentent autant d'éléments qui enlèvent à la politique monétaire une partie de son efficacité. A cela s'ajoute le fait que la propension à investir dépend, pour une part de plus en plus prépondérante, des anticipations à court terme portant sur les taux d'intérêts nominaux en premier lieu, l'évolution du taux de change en second lieu, éventuellement sur l'effet cumulatif de ces deux facteurs. De plus, une part au moins équivalente aux 90% de la balance courante est déterminée par le flux monétaire. 189 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Enfin, les termes de la balance commerciale perdent de leur potentiel de référence dans la mesure où l'on assiste à une tendance marquée du retour au protectionnisme. Dans un tel contexte, à quelle instance revient la compétence de prendre l'initiative en termes de politique monétaire ? Cette compétence ne revient pas aux USA dans la mesure où leur marge de manœuvre est réduite par leur niveau d'endettement. Elle ne revient pas non plus, à nos yeux, au Japon, car ce pays ne nous paraît pas raisonner en termes de vision globale mais en termes de volonté de puissance. Cette volonté de puissance se trouvait strictement limitée, tant que le respect des règles pouvait laisser espérer un équilibrage des balances de paiement. Mais, dès lors que les pays s'habituent à vivre avec leurs surplus, l'expression de la volonté de puissance porte bien davantage d'effets que le processus de libéralisation. C'est, à nos yeux, à la CE qu'il va appartenir de prendre l'initiative de poser le problème des équilibres dans des termes qui reflètent le retour à ce que nous voulons appeler une éthique économique, et c'est le SME, évoluant dans la perspective d'une Union économique et monétaire, qui représente l'instrument de cette évolution. Ainsi, en termes généraux d'équilibres globaux, il nous paraît que, en tant que pays tiers, et de surcroît petit pays à économie largement ouverte, la Suisse, non seulement ne détient pas les moyens d'une politique autonome en matière monétaire, mais a fortiori ne jouit pas de l'avantage de l'initiative, et a donc tout intérêt à passer de l'isolationnisme à l'intégration dans le cadre du SME. L'étude parue dans une revue spécialisée de la Société de Banque Suisse (cf. bibliogra- phie N° 67) nous paraît aborder le problème de l'existence d'une corrélation de facto entre DM et franc dans une perspective intéressante. Selon cette étude, de nature empirique, on observe une double corrélation dans la relation de change franc/DM et dans les indices de prix de gros entre la Suisse et l'Allemagne. L'étude porte de 1960 à 1984 et montre un accroissement de la dépendance suisse dès le passage au régime de taux flottants. Il apparaît également clairement que la variation du taux de change ne compense pas celle de l'indice des prix de gros. Nous nous rallions, pour notre part, à la conclusion de cette étude, selon laquelle: — l'indice suisse des prix se trouve sous forte influence des variations des cours de change franc/DM ; — la détérioration de cette variable entraîne une augmentation générale des prix en Suisse. Nous parlerons d'inflation importée de 1988 à ce jour, et de déflation importée de 1973 à 1988. Une seconde étude de la même grande banque (cf. bibliographie N0 68), également de nature empirique, nous conforte dans notre sentiment d'une dépendance de facto vis-à-vis de l'Allemagne. Cette étude porte sur une période allant de 1974 à 1985 et constate que les pressions domestique et étrangère ont tendance à réduire la BNS à une position défensive, de contrainte. Un franc fort aura été utilisé comme bassin d'accumulation pour les stimuli 190 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX inflationnistes des principaux partenaires commerciaux de la Suisse, protégeant ses réseaux économiques de leurs effets submergeants. Dans un environnement d'inflation résurgente, avec une monnaie faible, cette barrière tombe. Selon cette étude (ibidem p. 7), la valeur pondérée du franc s'est dépréciée de 10,3 % entre décembre 1987 et mars 1989. Quant aux pressions domestiques, elles ressortissent évidemment à l'ordre social spécifi- que à la Suisse et notamment à la vulnérabilité du résident suisse, qu'il soit locataire ou propriétaire, aux augmentations des taux hypothécaires. En ce qui concerne la relation franc/DM, l'équilibre qui a prévalu pendant des années s'est rompu, en 1988, lorsque les taux d'intérêt du franc ont dépassé leurs équivalents allemands, alors que le franc restait faible. De l'avis général des spécialistes de la pratique, le franc se trouve encore en situation de surévaluation, avec les conséquences inflationnistes que cette situation de fait implique inévitablement. Ainsi, nous croyons justifié l'avis général selon lequel non seulement la politique monétaire a perdu son caractère autonome, mais qu'en plus la politique économique est amputée dans sa souveraineté de façon substantielle. Ces conclusions, tirées d'une démarche empirique, nous paraissent corroborées par l'opinion des cambistes professionnels et nous sommes pour notre part de l'avis que l'autonomie de nos autorités se trouve de facto largement limitée par la prépondérance étrangère, et particulièrement allemande. La souveraineté, en matière de politique économi- que doit être examinée à nos yeux sous l'angle des contraintes de marché que dessine une économie ouverte dépendant essentiellement de, et alignée sur celle de, la RFA, au lieu d'être examinée sous l'angle du dogme politique de la souveraineté. Pour ce faire, il nous paraît que la voie la plus convenable passe par l'institutionnalisation de cet état de fait sur une base négociée de réciprocité. Or, le phénomène de l'alignement maîtrisé existe de façon déjà institutionnalisée sous la formule du SME, et nous ne voyons pas qu'il existe, pour notre part, de formule plus adaptée en l'occurrence qu'une association à ce système. En tout état de cause, les moyens de coordination actuellement à notre disposition dans le cadre du Groupe des Dix et de la BRI, pour efficaces qu'ils se soient révélés peut-être jusqu'à fin 1988, nous paraissent inadaptés par rapport à un processus d'unification économique et monétaire en cours chez nos principaux partenaires. Cette démarche reviendrait à donner à une situation de facto de dépendance vis-à-vis du DM et de la politique monétaire allemande un caractère institutionnalisé permettant à la Suisse de participer aux travaux de consultation et de coordination de l'intérieur, et de faire valoir sa voix, même minoritaire. De plus, il n'existe pas de garantie contre un retour à une situation de crise majeure, telle que celle du début des années septante par exemple, et l'entrée du franc dans le SME constitue le seul moyen d'éviter de tomber dans le scénario de la petite monnaie isolée, que la spéculation considère comme forte et qui fait peser son poids sur elle dans un domaine qui aura été libéralisé. A cela s'ajoute le problème de la réallocation des ressources. En raison de son surplus commercial, la RFA est condamnée à voir augmenter dans la longue période, soit son taux de change, soit son taux d'intérêt. Cela est vrai tant que ce pays donne à sa politique 191 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE économique un caractère restrictif, politique qui serait erronée si la RFA poursuivait en l'occurrence des objectifs communautaires en lieu et place des siens propres. Ses partenaires suivent en effet une politique moins restrictive que la sienne. Quelle est la position officielle de la Suisse en ce qui concerne une entrée dans le SME? Selon le Rapport du CF (cf. bibliographie N0 13, p. 100), l'appréciation portée par la Suisse sur le SME est «en général positive», et nos autorités se déclarent «disposées à approfondir leur coopération avec lui, dans la mesure où et aussi longtemps que cette coopération répondra à l'intérêt des deux partenaires et sera compatible avec la poursuite résolue de notre politique de stabilité», et d'ajouter (cf. ibidem p. 101) que «dans ce contexte, la participation aux mécanismes du SME en matière de change constitue une option qu'on ne saurait exclure d'emblée». La question de l'adhésion de la Suisse au SME a été examinée encore assez récemment par le CF et la BNS, soit à la session des Chambres du printemps 1988, par le biais d'un postulat et d'une interpellation: — le postulat du groupe Parti démocrate chrétien concernant l'adhésion de la Suisse au SME (cf. bibliographie N0 69) ; — l'interpellation Dobler sur: «Politique monétaire. Le SME» (cf. bibliographie N0 70). Il a été résolu d'une part qu'une adhésion au SME n'entrait pas en ligne de compte et, d'autre part, que les buts poursuivis par le SME, à savoir la stabilisation des cours de change et de l'indice des prix, constituait, également pour la Suisse, la politique à suivre. De plus, la BNS a reçu le statut de tiers dépositaire officiel pour l'ECU («other holder») en tant que monnaie de réserve, statut dont seule la BRI bénéficiait depuis la réforme de 1985. La décision de la BNS de jouer le rôle de dépositaire officiel de l'ECU en tant que monnaie de réserve «souligne la disponibilité pour une coopération avec l'Europe au plan de la politique monétaire» (cf. G.A. Colombo, chef de section du Bureau de l'intégration à Berne, in bibliographie N" 12, 8-VIII, 6). Pour un conseiller fédéral comme Otto Stich, les conséquences logiquement tirées de cet état de fait ont conduit à une relation DM/franc stable, et le statut de «other holder», conféré à la BNS comme dépositaire de l'ECU en tant que monnaie de réserve, témoigne à satisfaction de notre volonté de coopération en matière de politique monétaire en Europe. Comme le déclare Stich, la disponibilité de la Suisse à approfondir la collaboration avec l'association monétaire de la CE dès 1992 existe, pour autant et aussi longtemps qu'elle comporte un intérêt réciproque et se base sur la ligne politique d'une économie de la stabilité. Pour nous, l'évolution actuelle des termes financiers sonne la fin de la période de collaboration et la nécessité de passer à l'intégration, ce qui suppose une structure hiérarchi- sée des compétences et la fin de la souveraineté en la matière. En d'autres termes, la collaboration avec le SME doit s'inscrire dans une stratégie de la réciprocité basée sur un échange d'avantages. Il reste la question de savoir si la Suisse est en mesure de rester en position de force avec une monnaie s'affaiblissant et une inflation plus élevée que celle de l'Allemagne ou égale à celle de la France. Dans le même ordre d'idée, il nous paraît justifié de se demander dans quelle mesure un comportement basé sur une stratégie de la réciprocité ne deviendra pas notamment plus difficile pour la Suisse lorsque la 192 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX livre sterling aura adhéré aux mécanismes de change et d'intervention, issue à laquelle cette monnaie paraît, selon les spécialistes de la pratique, condamnée. L'intégration des politiques européennes implique que des pans entiers de structures normatives deviennent caducs. A titre d'exemple la Banque de France sera légalement tenue de financer le déficit extérieur, la situation inverse étant vraie pour la RFA. Ce processus est vrai pour les Etats membres. Pour les pays tiers, on observe que l'émission monétaire ne peut plus se pratiquer en fonction du taux d'inflation, lequel est conduit par la politique monétaire des autres pays. Nous nous référons, notamment, à une étude spécialisée (cf. bibliographie N0 71) de la Société de Banque Suisse selon laquelle «la politique monétaire est en moyenne plus restrictive en Suisse qu'en Allemagne; elle donne cependant un peu moins de résultats». L'étude relève en effet que la masse monétaire Ml a augmenté en valeur nominale et sur base annuelle de 5,2% par mois en moyenne en Suisse, contre 7,6% en Allemagne de janvier 1970 à juillet 1989, alors que le taux annuel moyen de renchérissement s'est fixé à 4% en Suisse et 3,8% en Allemagne. De plus, les oscillations autour de la valeur moyenne de Ml ont été presque deux fois plus fortes en Suisse qu'en Allemagne, ce qui tend à indiquer que la politique monétaire allemande marque davantage de constance que celle de la Suisse. Tant que le franc se raffermissait par rapport au DM (contraction du cours franc/DM de plus de 25% au cours de la période sous revue), l'anticipation d'un bénéfice de change compensait en moyenne la moindre rémunération perçue en francs par les investisseurs allemands. Or, de juillet 1989 à ce jour, la tendance s'est renversée, «de sorte que le nivellement des taux d'intérêt n'est pas pour étonner» selon cette même étude, dont nous voulons reprendre ci-après la conclusion in extenso pour la raison qu'elle nous paraît apporter à notre propos l'illustration de la pratique. « Compte tenu de l'intégration des marchés financiers et de la stabilité tant économique que monétaire au sein de la CEE, l'écart entre le niveau des taux d'intérêt en Suisse et en Allemagne fédérale ne devrait désormais plus être aussi sensible. L'avantage détenu par la Suisse sur le plan de la stabilité économique et politique s'estompe. En outre, l'étranger fournit des efforts plus marqués en vue de libéraliser les marchés des capitaux, ce qui fait fondre l'avance que possédait la Suisse jusqu'ici. L'attrait du franc suisse en tant que monnaie de placement s'amoindrit. La progression des investisseurs institutionnels aux dépens des parti- culiers fait que les objectifs de placement immatériels (tels que la sécurité politique, le secret bancaire, etc.) jouent de plus en plus un rôle secondaire. Ces investisseurs étant contraints de maximaliser le rendement, ils ne sont pas disposés à supporter un désavantage de rémunération pendant une période prolongée. Les frais de transaction, la liquidité et l'efficience du marché comptent de plus en plus; or, sur ce point, nombreux sont, dans une optique internationale, les arguments en faveur du deutsche mark et contre le franc suisse. » Pour Otto Stich (nous nous référons toujours à l'interpellation Dobler, cf. bibliographie N0 69), le fait que le SME puisse évoluer en direction d'une structure comportant une banque centrale d'émission, et peut-être une monnaie commune, suffit à laisser envisager des facteurs d'incompatibilité avec notre neutralité. 193 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Il nous semble quant à nous que la problématique d'une coopération accrue en matière monétaire avec la CE peut s'envisager en deux étapes, sans que la première ne préjuge en quoi que ce soit de la seconde. La première, qui consisterait en une association avec le SME, ne comporterait aucune incidence sur le statut de notre neutralité puisque le SME n'est pas un organe de la CE. La seconde consisterait à examiner alternativement deux options, à savoir le maintien d'un accord de coopération type SME nonobstant la constitution d'une Union économique et monétaire, ou l'association à cette Union. Cette dernière option nécessiterait, avant toute prise de position, un examen sérieux de ses incidences sur le statut de neutralité de la Suisse. Au plan pratique, et nous nous référons en l'occurrence à l'entretien échangé en date du 17 janvier 1990 avec Etienne Grisel, professeur à l'Université de Lausanne, notre concept de neutralité n'est pas incompatible avec les politiques monétaire et économique, de la même manière qu'il ne l'est pas avec les équilibres actuels des différents termes de l'échange avec l'ensemble du monde, pour la simple raison qu'il ne comporte aucun élément commun à une économie qui se déploie dans un régime de libre-échange. Il nous paraît opportun de relever à ce propos la position du secrétaire général de l'ASB, Jean-Paul Chapuis (entretien du 13 novembre 1989), selon lequel une intégration de la Suisse au SME, du moins aux mécanismes de change, peut être considérée comme parfaitement envisageable, à la condition que sa négociation soit intégrée dans celle d'un Espace économique européen et qu'elle intervienne à l'issue d'un accord portant sur cet Espace. La création d'un Espace économique européen est évidemment considérée comme une démarche prioritaire par rapport à une adhésion au SME. D'une part elle procède du cadre institutionnel érigé par le suivi de la Déclaration du Luxembourg, tel que précisé et confirmé par la Déclaration commune des Etats membres de l'AELE et de la CE et des représentants de la Commission européenne le 2 février 1988 à Bruxelles, et d'autre part elle porte sur la structure complète de l'ensemble des rapports économiques. Or, nous pensons justifié, pour notre part, de partir de l'idée que la Suisse dispose, avec l'approche spécifiquement monétaire, d'un atout privilégié par rapport aux autres membres de l'AELE. La dimension internationale de sa place financière et son poids relatif, la présence de ses banques et de ses sociétés multinationales dans la CE, le rôle international joué par le franc, le caractère libéralisé de ses transactions financières, la constance de sa politique de lutte pour la stabilité des cours de change et des prix, l'importance relative de son économie pour la CE (la Suisse, absorbant 3,9% des exportations de la CE était, en 1986, son deuxième client après les USA (cf. bibliographie N0 37, p. 48) constituent autant d'éléments qui nous paraissent conférer à la Suisse une position privilégiée, et justifier le caractère opportun d'une démarche bilatérale ou, au moins, l'examen approfondi de son opportunité. La création d'une plate-forme commune avec la Commission européenne, dont le but consisterait à permettre l'étude de la faisabilité d'un rapprochement dans le cadre du SME, contribuerait grandement à nos yeux à positionner notre pays dans un comportement officiellement coopératif, le mettant ainsi de façon concrète dans une structure de relation dynamique caractérisée par un fort potentiel de réciprocité positive avec la CE. 194 LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX Ce point de vue, relevons-le en passant, est également celui de Paolo Clarotti, directeur de l'Unité Banques et Etablissements financiers de la Commission de la CE, selon qui la mise sur pied d'une étude de faisabilité portant sur une démarche d'intégration de la Suisse au SME serait non seulement saluée de façon très positive par la Commission européenne, mais devrait encore être considérée comme hautement souhaitable (cf. entretien des 24- 25 octobre 1989, à Anvers). Or il est évident que la Suisse est souveraine en la matière, comme elle est institutionnel- lement et théoriquement souveraine en matière de politique monétaire, et pratiquement aussi dans la mesure où elle est libre d'orienter sa politique dans un sens inflationniste ou anti- inflationniste. Son autonomie réelle dans le cadre d'une politique de stabilité des cours de change et des prix est, nous l'avons vu, à nos yeux, sujette à caution et sera d'autant plus remise en cause dans une dynamique généralisée de libération et de déréglementation. En conclusion, dans l'optique d'une dynamique de la coopération basée sur une stratégie volontariste de la réciprocité, il nous paraît que la Suisse pourrait et devrait jouer la carte d'une démarche officielle d'adhésion au SME, au moins au niveau du mécanisme de change, avant d'entamer la négociation portant sur un Espace économique européen. Quoi qu'il en soit, nous partageons pour notre part l'avis de G.A. Colombo (cf. bibliographie N° 12, 8-VIII, 7) selon lequel «la part croissante de la convergence de la politique de l'argent à l'intérieur de la CE et de la politique monétaire commune à l'extérieur de la CE font apparaître comme étant inéluctable un accroissement de la coopération de la Suisse avec les institutions du SME. Dans la négative, les fluctuations du franc contre le DM et les principales monnaies du SME pourraient atteindre une ampleur non souhaitable». Selon le même auteur, la BNS a maintenu «de facto» le franc dans une relation stable avec les monnaies du SME, sans être passée cependant par le biais d'un processus institutionnel (cf. ibidem p. 5). Quant à l'opinion encore récente de nos autorités monétaires, elle consistait dans la constatation d'une pleine autonomie en matière de politique monétaire, grâce à laquelle «le franc s'est établi un statut solide de monnaie de réserve, comme monnaie internationale, en compagnie d'autres monnaies fortes telles que le DM et le yen, sans oublier le dollar américain. Malgré cette internationalisation, et grâce à la politique restrictive menée par la BNS, l'inflation a été contenue et l'épargne stimulée, faisant bénéficier la Suisse de bas taux d'intérêt qui ont favorisé l'investissement et la croissance, tandis que le cours du franc évoluait parallèlement à celui du DM, monnaie de notre principal concurrent» («Journal de Genève» du 21 novembre 1989). Suite aux circonstances, cette opinion semble avoir, depuis fin 1989, évolué, dans la mesure où il était constaté que le franc était à son niveau le plus bas des six derniers mois par rapport au DM, soit Fr. 88.83, alors que depuis six mois environ la BNS faisait flotter le taux lombard, se situant depuis le mois de mai jusqu'au mois de novembre 1989 dans une fourchette comprise entre 75/s et 9%, le taux d'escompte étant relevé dans l'intervalle deux fois de 1 % chaque fois jusqu'à 6%. D'ailleurs la pratique constatait en novembre 1989 que le franc était « supposé rester relativement stable par rapport au DM si l'on part du fait que les taux du franc sur le marché monétaire resteront cantonnés à peu près au niveau des taux du DM correspondants» (cf. étude spécialisée, bibliographie N° 72). 195 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE L'opinion de Markus Lusser, président du Directoire de la BNS, est claire: «Je ne vois aucune nécessité, en matière de politique de l'argent, à normaliser l'internationalisation du franc. Notre autonomie en la matière ne sera pas tellement limitée par l'internationalisation, mais bien davantage par les fluctuations de cours qui sont le résultat direct de la divergence existant entre les stratégies de politique économique des pays industrialisés. » (cf. bibliogra- phie N0 12, VIII-7, 2) En d'autres termes, si nous comprenons bien, dans la mesure où la Suisse applique les mêmes politiques économique et monétaire que ses principaux partenaires, elle n'a pas besoin d'autonomie en la matière. Cette opinion nous paraît exacte au plan juridique, mais sujette à caution au plan économique, comme nous l'avons exprimé tout au long de ce chapitre. Illustrant l'évolution suivie par l'opinion de la BNS, le «Journal de Genève» du 17 janvier 1990 annonçait qu'elle était prête à discuter le rattachement du franc au SME. On peut maintenant se demander dans quelle mesure une véritable politique d'intégration au niveau de la CE est encore compatible avec l'intégration de tiers mineurs. Il nous faut également observer que, pour demeurer crédible vis-à-vis de ses partenaires, la RFA ne pourra plus défendre la Suisse uniquement sur la base de simples rapports de bons voisinages, en raison de l'intersection intervenue entre les processus de libéralisation en RDA et d'intégration communautaire. C'est ainsi que, plus que jamais, il nous paraît vital que la Suisse se hisse à pied d'égalité sur l'axe faible-fort, dans une structure de coopération avec la CE basée sur l'obligation de réciprocité, en affichant un comportement du type «TIT for TAT», et qu'elle fasse jouer, sans tarder, un segment de coopération dans lequel elle paraît disposer d'un atout, en faisant acte de rattachement de sa monnaie au SME, et reprenant par ce biais l'avantage de l'initiative qu'elle paraît avoir perdu. 196 9. Conclusion Le comportement de la Suisse, face au processus d'intégration européenne, répond-il aux exigences d'une dynamique de la coopération basée sur la réciprocité ? En d'autres termes, la structure de la relation entre la Suisse et la CE dispose-t-elle des plates-formes de coordination lui permettant de se maintenir en phase avec la dynamique européenne? Enfin, quelle dimension donner en priorité à notre approche de la coopération : universelle dans une approche globale par le GATT, régionale dans une approche multilatérale par l'AELE, dans le cadre d'un futur Espace économique européen, ou bilatérale avec la CE dans des segments de la coopération sélectionnés ? Les réponses, que nous avons tenté de donner à ces questions fondamentales et d'une brûlante actualité, tiennent davantage de la perspective ouverte à la réflexion que de la panacée. L'expression politique du comportement de la Suisse a évolué de façon radicale entre le 24 août 1988 (date du Rapport du Conseil fédéral sur la position de la Suisse dans le processus d'intégration européenne) et le 19 décembre 1989 (date de la Conférence commune des ministres de la CE et de l'AELE). D'un comportement marquant le refus d'une remise en cause de la structure de la coopération, et limitant la plate-forme de coordination à l'établissement de passerelles ponctuelles avec la CE, la Suisse est tombée en position de défensive et paraît avoir perdu toute marge d'initiative, condition nécessaire pour qu'elle puisse se hisser à pied d'égalité sur l'axe faible-fort de la structure de la relation. Plus grave, à nos yeux, le Gouvernement suisse laisse se développer le sentiment que, dépassé par l'accélération des événements, notamment depuis la promulgation de l'Acte unique en 1985, il n'a pas à ce jour encore mis en place, vis-à-vis du souverain, une politique d'information adéquate. C'est, nous semble-t-il, en effet un sentiment généralisé de pessimisme qui prévaut, tant face aux réalisations et au potentiel de réalisation de l'intégra- tion européenne que face à l'apparente inéluctabilité d'une remise en cause de nos fondements constitutionnels, de nos acquis socio-économiques, et de notre dignité de citoyen d'un pays respecté et cité en exemple. 197 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE Nous avons voulu montrer combien un tel sentiment s'avérait peu justifié, et que la Suisse pouvait, au contraire, bénéficier largement du plus qualitatif apporté à l'Europe par le processus d'intégration en cours. Il s'agit pour cela d'avoir le courage de se remettre en cause au niveau du pays, à l'instar de ce que chaque homme responsable doit faire périodiquement dans sa vie professionnelle pour demeurer en phase avec son environnement, de définir l'ordre des priorités, les objectifs concrets et mesurables, la stratégie qui permettra de les concrétiser, d'allouer les ressources nécessaires au processus et de pratiquer une politique de l'information qui réponde aux critères devenus universels de la transparence et du professionnalisme. En termes concrets, nous avons été amené, au cours de notre analyse, à nous poser les questions suivantes: — Notre vocation européenne n'est-elle pas prioritaire, par rapport à notre vocation universelle ? — Notre objectif n'est-il pas d'assurer, et si possible de développer, notre bien-être socio- économique, en termes de revenu net réel par habitant? — Notre stratégie ne devrait-elle pas consister en l'adoption d'un comportement du type «TIT for TAT», basé sur la réciprocité diffuse et intersectorielle, déployé au plan bilatéral avec la CE en priorité, tout en jouant de façon concomitante le jeu aux doubles plans multilatéraux de l'AELE et du GATT? — Nos ressources ne consistent-elles pas en l'inventaire des segments de coopération, dont nous pourrons nous servir comme atouts dans la négociation? Face à la position de défensive dans laquelle nous placent à la fois les conditions de base émises par la CE pour un round prochain de négociations exploratoires et les divergences d'intérêt qui se creusent entre la Suisse et ses partenaires dans le cadre de l'AELE, nous nous devons de reprendre l'initiative. La libéralisation des services financiers, la libération des flux de capitaux nous en donnent l'occasion. Alors que l'autonomie et la souveraineté des nations se trouvent remises en cause par le déséquilibre des balances courantes, que la globalisation, la déréglementation et le progrès technologique contribuent à aggraver ce déséquilibre, que l'expression de la volonté de puissance japonaise tend à se substituer à la voix économique et libérale des USA, il nous faut rassembler les philosophies identiques, sans oublier que les nationalités demeurent et s'exacerbent selon les régions. Dans un monde qui bascule vers un rapport de forces, davantage qu'il se maintient dans une marge de volonté de rapprochement, par la nature des choses, le multilatéralisme semble toucher à ses confins, cédant du terrain au bilatéralisme. Les avantages marginaux, que nous obtiendrons par le multilatéralisme, seront sanctionnés par davantage de sacrifices, en termes de perte d'autonomie et de souveraineté, que ceux que nous obtiendrons par un bilatéralisme redéfini en fonction de notre environnement immédiat. Parmi nos atouts majeurs, nous disposons d'un segment de coopération dans le domaine financier, et nous proposons de déclencher la dynamique d'une coopération bilatérale avec la CE, en procédant à la coordination prioritaire de nos structures dans ce domaine. 198 CONCLUSION En termes tout à fait concrets, nous proposons l'ouverture immédiate de négociations pour un rattachement de notre monnaie au Système monétaire européen, accompagné par une politique adéquate d'information, tant à l'égard de nos partenaires que du souverain, au titre de facteur déclenchant de la dynamique de la coopération basée sur la réciprocité. Parallèlement, nous proposons qu'un processus général d'harmonisation sur les règles essentielles dans ce même domaine financier, et particulièrement bancaire, soit entamé avec IaCE. Pourrons-nous prétendre à bénéficier des avantages d'un Marché financier unique sans revoir et adapter notamment notre secret bancaire, la philosophie de nos réserves latentes, la politique de transparence de notre place financière, et en maintenant le caractère discrimina- toire de notre politique de la main-d'œuvre étrangère? Une ouverture en matière d'entraide administrative et fiscale, même limitée à des profils de clientèle bien définis, ne témoignerait-elle pas de façon décisive que nous voulons nous intégrer à une Europe en pleine maturité économique, de la même façon que nous avons su tirer avantage d'une Europe en pleine reconstruction après guerre et à la recherche de son identité et de sa puissance propre dans les années qui suivirent ? 199 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages de référence spécifique (par ordre de numérotation mentionné dans le texte) N° 1 AXELROD Robert, The Evolution of Cooperation. Basic Books Inc., Publishers, New York 1984 (GATT Library Geneva). 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L'axe fort-faible dans la théorie des jeux...................... 21 2.3.3. L'ombre du futur — Introduction de la notion de réciprocité............. 26 2.3.4. Le nombre des protagonistes — La problématique de la sanction .......... 29 2.3.5. Le résultat lié................................... 30 2.3.6. La segmentation de la coopération......................... 31 2.4. CONCLUSION.................................. 33 3. LA RÉCIPROCITÉ. DÉFINITION ET ÉVOLUTION............ 35 3.1. INTRODUCTION................................ 35 3.2. DÉFINITION DE LA RÉCIPROCITÉ....................... 36 3.3. RÉCIPROCITÉ SPÉCIFIQUE .......................... 37 3.4. RÉCIPROCITÉ DIFFUSE............................ 38 3.5. LA RÉCIPROCITÉ SELON LA LOI FÉDÉRALE SUR LES BANQUES...... 39 3.5.1. Introduction................................... 39 3.5.2. La LFB du 8 novembre 1934. Evolution de la réciprocité.............. 39 3.5.3. Définitions et formes de la réciprocité bancaire selon la doctrine........... 43 3.5.4. La réciprocité dans la LFB et l'OLFB. Esquisse.................. 43 3.5.5. Evolution récente et conclusion.......................... 46 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE 4. L'ÉVOLUTION DU GATT.......................... 49 4.1. INTRODUCTION................................ 49 4.2. LEPRINCIPEDENON-DISCRIMINATION................... 50 4.3. UNE APPLICATION DE LA RÉCIPROCITÉ................... 50 4.4. LA CLAUSE DE LA NATION LA PLUS FAVORISÉE (NPF)........... 51 4.5. LES EXCEPTIONS RÉGIONALES........................ 52 4.6. LACLAUSEDUTRAITEMENTNATIONAL(TN)................ 54 4.7. LA NOUVELLE APPROCHE DE l'URUGUAY ROUND............. 55 4.8. LE RÉGIME DES TAUX DE CHANGE: PARAMÈTRE DE LA RÉCIPROCITÉ . . 57 4.8.1. Introduction................................... 57 4.8.2. L'obligation de réciprocité en régime de change fixe................ 57 4.8.3. L'obligation de réciprocité en régime de change flottant............... 58 4.9. CONCLUSION.................................. 59 5. LA SUISSE ET L'ÉVOLUTION DES TENDANCES À L'INSTITUTION- NALISATION ET À LA COOPÉRATION .................. 61 5.1. LES CONTRAINTES DE L'ÉCONOMIE PLURINATIONALE.......... 61 5.2. LES COMPORTEMENTS COOPÉRATIFS DE LA SUISSE............ 63 5.2.1. La Suisse et le Conseil de l'Europe......................... 63 5.2.2. La Suisse et l'AELE ............................... 67 5.2.2.1. Introduction historique.............................. 67 5.2.2.2. Les buts et moyens de l'AELE........................... 68 5.2.2.3. Le contexte actuel de l'Acte unique européen.................... 69 5.2.2.4. Conclusion.................................... 73 6. LA STRATÉGIE EUROPÉENNE DE COOPÉRATION AVEC LES PAYS TIERS DANS LE DOMAINE BANCAIRE.................. 75 6.1. INTRODUCTION................................ 75 6.2. LA DEUXIÈME DIRECTIVE DE COORDINATION BANCAIRE: EXEMPLE D'APPLICATION D'UNE STRATÉGIE DE LA RÉCIPROCITÉ ......... 78 6.2.1. Importance de la Deuxième Directive....................... 78 6.2.2. La philosophie de la réciprocité dans la Deuxième Directive de coordination bancaire 79 6.2.3. Les «cercles »de la réciprocité........................... 81 6.2.3.1. Le cercle du partenariat commercial........................ 81 6.2.3.2. Le cercle du traitement national.......................... 83 6.2.3.3. Le cercle des accès réels, effectifs et faciles .................... 85 6.2.3.4. Le cercle des équivalences ............................. 88 6.2.3.5. Le cercle des conditions de concurrence........'.............. 89 6.2.3.6. Conclusion.................................... 90 210 TABLE DES MATIÈRES 7. LESPLATES-FORMESDECOORDINATION............... 93 7.1. LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA DÉMARCHE COMMUNAUTAIRE 93 7.2. L'HARMONISATION PRÉALABLE DES RÈGLES ESSENTIELLES DE SUR- VEILLANCE................................... 95 7.2.1. Le capital minimum................................ 96 7.2.1.1. Normes de la CE (cf. Deuxième Directive, art. 4 et 10)............... 96 7.2.1.2. Normes de la Suisse................................ 97 7.2.2. La surveillance des principaux actionnaires..................... 98 7.2.2.1. Normes de IaCE (cf. Deuxième Directive, art. 5 et 11)............... 98 7.2.2.2. Normes de la Suisse................................ 100 7.2.3. La surveillance des participations non bancaires.................. 101 7.2.3.1. Normes de la CE (cf. Deuxième Directive, art. 12)................. 101 7.2.3.2. Normes de la Suisse................................ 102 7.2.4. La comptabilité et le contrôle interne........................ 110 7.2.4.1. Les exigences communautaires.......................... 110 7.2.4.2. Les répercussions pour la Suisse.......................... 112 7.2.5. Les fonds propres................................. 114 7.2.5.1. NormesdelaCE................................. 114 7.2.5.2. UAccord de convergence du Groupe des Dix.................... 115 7.2.5.3. Normes de la Suisse................................ 117 7.2.6. Le ratio de solvabilité............................... 119 7.3. MESURES FISCALES.............................. 122 7.4. LA DYNAMISATION DU MOUVEMENT DE CONCENTRATION........ 131 7.4.1. Les facteurs de dynamisation........................... 131 7.4.1.1. Le facteur politique................................ 131 7.4.1.2. Le facteur du marché............................... 132 7.4.1.3. Conclusion.................................... 135 7.4.2. Le dispositif normatif............................... 136 7.4.2.1. Champ d'application............................... 136 7.4.2.2. U objectif poursuivi................................ 138 7.4.2.3. Laréciprocité .................................. 139 7.4.2.4. Contenu de la réciprocité............................. 140 7.4.3. La position de la Suisse.............................. 144 7.4.3.1. Engénéral.................................... 144 7.4.3.2. Les conditions cadres réglementant les OPA.................... 144 7.4.3.3; Le Code suisse des Offres publiques d'achat.................... 145 7.5. LA BOURSE SUISSE À LA CROISÉE DES CHEMINS.............. 147 7.5.1. Ledécor..................................... 147 7.5.2. Structure atomisée de la bourse suisse....................... 149 7.5.3. Le manque de transparence.........................". . . 150 7.5.4. La contrainte de l'action «liée».......................... 152 7.5.5. Le caractère protectionniste des règlements boursiers................ 154 7.5.6. La dissuasion cartellaire.............................. 155 211 LES ATOUTS DE LA SUISSE FACE À L'EUROPE 7.5.6.1. Engénéral.................................... 155 7.5.6.2. La position de VOCDE.............................. 156 7.5.6.3. La position de la CFC............................... 157 7.5.6.4. La position delASB ............................... 160 7.5.7. L'accès réel et effectif au marché......................... 161 7.5.7.1. Généralités.................................... 161 7.5.7.2. La libre circulation des travailleurs........................ 161 7.5.7.3. La compétence juridictionnelle de la Cour de justice européenne (CJE)....... 166 8. LA LIBÉRATION DES FLUX DE CAPITAUX............... 171 8.1. GÉNÉRALITÉS................................. 171 8.2. LA VOLONTÉ POLITIQUE DU LÉGISLATEUR EUROPÉEN.......... 171 8.2.1. Crédibilité et maîtrise du Marché financier unique................. 171 8.2.2. Compatibilité, harmonisation et équivalence.................... 172 8.2.3. Réciprocité et ouverture« erga omnes» ...................... 173 8.2.4. Le rapprochement des législations fiscales..................... 175 8.2.5. L'affirmation de l'identité monétaire de la Communauté.............. 176 8.3. L'APPAREIL LÉGISLATIF........................... 177 8.3.1. Références.................................... 177 8.3.2. Directive pour la mise en œuvre de la libération complète des mouvements de capitaux..................................... 177 8.4. L'ÉQUILIBRE INSTABLE DU MARCHÉ HNANCIER UNIQUE......... 179 8.4.1. Généralités.................................... 179 8.4.2. Les sauts qualitatifs de l'intégration financière................... 180 8.4.2.1. Définition et champ d'observation......................... 180 8.4.2.2. L'expression d'une volonté commune d'Union économique et monétaire....... 180 8.4.2.3. La création d'une zone de stabilité monétaire (le SME)............... 181 8.4.2.4. L'adoption d'une nouvelle stratégie, marque du caractère irréversible du processus d'intégration................................... 182 8.4.2.5. L'Union économique et monétaire......................... 183 8.4.2.6. La désatellisation des pays de l'Est et son impact sur la relation CE-AELE...... 183 8.5. LE CENTRE DE GRAVITÉ DU MARCHÉ FINANCIER SUISSE......... 184 8.6. DE L'ISOLATIONNISME À LA COOPÉRATION EN TERMES DE POLITIQUE MONÉTAIRE.................................. 189 9. CONCLUSION................................. 197 BIBLIOGRAPHIE............................... 201 Ouvrages de référence spécifique (par ordre de numérotation mentionné dans le texte) 201 Ouvrages de référence générale (non mentionnés dans le texte)........... 205 212 Imprimé en Suisse Achevé d'imprimer le 8 mai 1990 sur les presses de l'Imprimerie Corbaz S.A. Montreux